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Donald Trump président ...Pourquoi ?

franceinfo

Warren ou l'Amérique désenchantée comment une petite ville de l'Ohio a basculé d'Obama à Trump

Le comté de Trumbull était un bastion démocrate depuis les années 1930. Mais après avoir plebiscité Barack Obama, les habitants ont choisi en novembre dernier de se tourner vers Donald Trump. A l'occasion de l'investiture du milliardaire, franceinfo est allé dans cette région sinistrée pour comprendre le choix des électeurs.

Euh, eh bien… Bienvenue à Warren, Ohio ?" Quand la réceptionniste d’un hôtel vous souhaite la bienvenue d'un ton interrogatif, vous savez que vous n’êtes pas dans un haut lieu du tourisme américain. Warren, capitale du comté de Trumbull, dans le nord-est de l’Ohio, dispose pourtant de quelques musées historiques, d’un joli parc le long de la rivière Mahoning, de bâtiments officiels massifs et coquets, rassemblés dans le centre-ville. Dans une ruelle étroite, coincée derrière un parking vide, on peut même y voir les "baguettes de batterie les plus grandes du monde", exposées là en hommage à Dave Grohl, ancien batteur du groupe Nirvana et natif de la ville. Bref, une cité à l’intérêt limité, si elle n’était pas devenue un symbole : celui d’une Amérique usée qui voit en Donald Trump la possibilité d’une renaissance.

La ville est pourtant un bastion démocrate depuis les années 1930, à une exception près, un vote pour Richard Nixon, en 1974. Rendez-vous compte : il y a huit ans, Barack Obama avait été plébiscité à 60% dans le comté, quand son rival républicain de l'époque, John McCain, devait se contenter de 37,6%. La commune et ses environs ont rompu avec la tradition en novembre, en  adhérant à 51,2% aux promesses du milliardaire new-yorkais, contre seulement 44,8% pour Hillary Clinton. Cette victoire a contribué à porter le candidat des républicains en tête dans cet Etat-clé, quasi-essentiel à la conquête de la Maison Blanche. Le résultat a beau être inhabituel, il est moins surprenant qu’il n’y paraît. Bienvenue à Warren, Ohio.

L'USINE ? "ELLE A FERMÉ"

Sur la voie de chemin de fer désaffectée, Randy Law marche lentement. "Dans les années 1930, on disait qu’il était impossible de braquer une banque à Warren, raconte Randy Law, les mains enfouies dans sa veste. Il y avait tellement de trains qui arrivaient et partaient des aciéries que les voitures étaient tout le temps coincées pendant de longues minutes aux passages à niveau", explique ce natif de la ville. Manifestement, ce temps est révolu.

Derrière lui, un immense terrain vague s’étend là où s’élevait l’usine WCI Steel, dernière mouture d’une aciérie en marche depuis 1913. Un siècle plus tard, le dernier repreneur, RG Steel, a cessé toute production. Pendant trois ans, les cheminées, les entrepôts en tôles bleu ciel et le bâtiment d’origine, un imposant bloc en briques rouges, sont restés debout derrière les grilles.

Il y a quelques mois, ils ont décidé de tout raser. C’est impressionnant, n’est-ce pas ? Ce vide, là où 2 600 personnes venaient travailler tous les jours.

Randy Law

Randy Law n’est pas un de ces ouvriers. Il possède "un petit business", répond-il sans s’attarder. Surtout, il préside l’antenne locale du parti républicain, le Grand Old Party (GOP). Et pour lui, la victoire de Donald Trump dans le comté représente une opportunité unique de construire sur un tout autre genre de terrain vague : le GOP local, jusqu’alors insignifiant, incapable de présenter le moindre candidat dans cette région emmenée par de puissants syndicats.

Il s’est lui-même proposé de faire visiter Warren. Enfin, ce qu’il en reste. Au volant de sa voiture, il pointe un bâtiment : "Là, c’est l’usine GM-Packard. Elle a fermé en 2014, mais on y faisait des ampoules électriques depuis 1890 !"  De la famille Packard, reste un musée et une salle de spectacle, témoignage de son influence. Elle a employé jusqu’à 18 000 personnes dans la ville : les hommes fraîchement sortis du lycée n’avaient qu’à envoyer leur CV pour être embauchés. Ce temps est bien révolu. Désormais, pas une fenêtre de l'usine n'a été épargnée par les jets de pierres.

Malgré une telle hécatombe, continue depuis le début des années 1980, le taux de chômage à Warren est à peine plus élevé que la moyenne nationale : 5,8%, contre 4,7% à l’échelle du pays. "Ah ! Ces chiffres ne signifient rien", souffle le républicain. Pourquoi ? "Parce que les gens partent, tout simplement."

Les chômeurs partent et les jeunes du coin vont à la fac et ne reviennent jamais. Pourquoi reviendraient-ils ? Ce n’est pas ici qu’ils trouveront les moyens de rembourser leurs prêts étudiants.

Randy Law

La ville ne compte plus que 40 000 âmes, contre plus de 60 000 dans les années 1960. Randy Law roule encore quelques mètres et, d’un coup de menton, désigne une maison en ruine. "Regardez ça. C’est un manoir, ça", lance-t-il en soupirant. Il faut un petit peu d'imagination pour penser que la résidence a pu être celle d’une famille aisée. Le bois de la façade est en mauvais état, la peinture bleue est décrépie et les fenêtres sont recouvertes de planches…

Comme dans la plupart des villes américaines désertées après la fermeture des usines, les maisons et commerces abandonnés se fondent dans le paysage, en attendant, elles aussi, de disparaître. D’autres habitations, parfois en plus mauvais état, sont encore occupées et, à travers une bâche crasseuse posée sur une vitre brisée, on peut apercevoir les clignotements d’un sapin de Noël. Ils restent des familles – et des électeurs – à Warren. Et certains n’ont pas l’intention de disparaître sans faire de bruit.

"ON N'EN PEUT PLUS DE WASHINGTON !"

Demandez aux habitants d’analyser ce coup de pied aux fesses donné au parti démocrate et vous obtiendrez une réponse inattendue. Ils sont plusieurs ici à citer Einstein pour justifier l'issue du scrutin.

La définition de la folie, c’est de refaire toujours la même chose, et d’attendre des résultats différents.

 
"Les démocrates pensaient que nous leur étions acquis. On leur a montré que non", confirme Joe Shrodek avec son accent du Midwest. Retraité des aciéries, il a voté toute sa vie pour le parti de Barack Obama, mais l’année dernière, cet habitant d’Howland, dans la banlieue de Warren, a poussé la porte du parti républicain local et a demandé à Randy Law de lui fournir une pancarte "Trump-Pence", à installer devant sa maison. Cet acte politique planté dans sa pelouse a valu à Joe Shrodek de se fâcher avec sa voisine, pro-Hillary, mais il assume. Et pour cause. "Parmi les anciens de l’usine, je suis loin d’être le seul !", glisse-t-il comme une confidence. En effet : le GOP local a fourni 10 000 pancartes au total, contre seulement 1 000 pour la campagne de Mitt Romney en 2012.

Sa femme, institutrice, a voté Clinton, mais ses deux grands enfants, dont sa fille, partie à Cleveland, ont été séduits par le discours du milliardaire. "Ici, depuis toujours, il suffit de mettre un D pour démocrate devant son nom pour être élu. Il n’y a même pas d’opposition. En 2008 et 2013, j’ai voté Obama sans réfléchir, comme tout le monde, ce n’était même pas une question. Mais il n’a pas bougé le petit doigt pour supprimer l’Alena", peste le retraité. Alena, du nom du traité d’échanges commerciaux entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique signé par Bill Clinton, "c’est un gros mot dans le coin", explique-t-il, en pointant également les accords commerciaux signés avec la Chine : "En 1975, j’ai acheté un magnétoscope 500 dollars. Deux ans plus tard, les Chinois en vendaient pour 100 dollars. Aujourd’hui, tout ce que je possède chez moi est fabriqué en Chine. J’ai une télé de la taille d’une baie vitrée ! Vous croyez qu’elle vient d’où ?" Exactement ce que Donald Trump promet de changer, en renégociant ces accords et en se protégeant de la concurrence extérieure, notamment venue de Pékin.

Peu importe les écarts du milliardaire. Son discours hostile envers les immigrés ? "On ne peut pas laisser rentrer n’importe qui dans le pays." Ses propos outranciers à l'égard des femmes ? "Ce n’est pas très fin, mais c’est comme ça qu’on parlait à l’usine." Et son équipe, qui compte des grandes fortunes et des financiers ?

S’il les a nommés, c’est qu’ils peuvent faire le job. Je ne les connais pas, mais au moins, ce ne sont pas les mêmes têtes de cons que d’habitude. On n’en peut plus de Washington !

Joe Shrodek

D’ailleurs, Joe Shrodek n’aurait jamais voté pour un "autre" républicain. Certainement pas pour Jeb Bush, le frère de : "L’essence n’a jamais été aussi chère que sous Bush !" Ni pour John Kasich, pourtant gouverneur de l'Ohio. Ni pour Marco Rubio, Ted Cruz, Ben Carson… "Ce ne sont que des politiciens, républicains ou démocrates, ça ne change rien", glisse-t-il avec une pointe de mépris. Car Warren n’a pas viré de bord. Warren a choisi Trump, "l’outsider" de la politique.

UN MILLIARDAIRE "COMME NOUS"

L'homme d'affaires n'a pourtant que peu de points communs avec les habitants du coin. Une jeunesse dorée, une fortune estimée à 3,7 milliards de dollars, une tour à son nom au cœur de Manhattan, des appartements meublés façon Versailles, une villa somptueuse à Mar-a-Lago, en Floride. Rien à voir avec les conditions de vie des classes moyennes désenchantées du comté de Trumbull. Dans le pavillon de Dan Moore, point de dorures et de marbre, mais un petit salon bas de plafond, une épaisse moquette et des murs chargés de cadres. Sans sourciller, il répond que Donald Trump "est comme nous".

Donald Trump parle comme un type normal. Mais avec de l’argent.

Dan Moore

Son pavillon de Newton Falls, village tranquille aux portes de Warren, se trouve au milieu d’une jolie allée, traversée par les écureuils qui courent d’arbre en arbre. C'est dans ce petit quartier idyllique qu'en 2008, il a fait du porte-à-porte pour vanter les mérites d’un certain Barack Obama, alors le candidat de "l’espoir" et du "changement""Il était où quand GM-Packard est parti pour le Mexique ?" demande-t-il aujourd’hui. Le plan de relance de l’industrie automobile mis en œuvre par le gouvernement en 2009 a pourtant permis de relancer la productivité de nombreuses usines du groupe. Barack Obama est même venu à l'époque parler aux ouvriers de GM à Warren, mais cela n’a pas suffi à Dan, qui reproche tout de même au président de "de n’avoir jamais tenté d’empêcher les emplois de partir". "En réalité, je me sens mal pour lui. Je pense qu’il voulait bien faire, mais il a été très mal conseillé. Il s’est retrouvé à devoir gérer des questions de politique étrangère", estime Dan, la larme à l’œil en évoquant "l’Etat islamique et ces gens qui détestent l’Amérique et viennent pour nous tuer".

Résultat : huit ans plus tard, il a fait campagne avec une casquette "Make America Great Again" vissée sur la tête. Le militant raconte comment il s’est chargé de vendre la candidature Trump aux syndicalistes locaux, lui, membre de l’Union Steel Workers depuis seize ans, lui l’ouvrier d’aciérie, au boulot tous les après-midis.

Tag(s) : #Etats-Unis
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