Réseaux, influence, fortune... : comment Marc Ladreit de Lacharrière, l'homme révélé par l'affaire Fillon, a construit son empire ?2/2
7Investir dans la culture
Aujourd’hui, Marc Ladreit de Lacharrière investit principalement dans le domaine culturel et le divertissement avec deux pôles, le numérique et les spectacles vivants. Côté numérique, l’homme d’affaires a racheté le groupe Webedia qui pèse très lourd dans le chiffre d’affaires de Fimalac. Il possède, par exemple, Allociné, Jeuxvidéo.com ou le site culinaire 750g.com. Ces sites permettent d’attirer les annonceurs publicitaires. "C’est un modèle bâti sur la publicité, explique la spécialiste de la presse en ligne, Danielle Attias. Il a réussi à en faire une activité rentable. C’est une manière de faire de la publicité avec de la production de contenus. C’est l'une des raisons pour lesquelles Webedia a racheté Mixicom qui possède des chaînes Youtube de stars comme Norman et Cyprien. Ça lui permet de s’adresser à des cibles plus jeunes."
Marc Ladreit de Lacharrière a également des participations dans des sociétés de production qui s’occupent d’artistes à succès comme Johnny Hallyday, Patrick Bruel, Laurent Gerra ou Grand corps malade dont Marc Ladreit de Lacharrière a produit le dernier film.
L’homme d’affaires possède aussi des salles de spectacle, il contrôle notamment le circuit des Zénith, ainsi que des salles de théâtre parisiennes prestigieuses. "Il a racheté les théâtres Marigny, Comedia et la Madeleine, indique le journaliste Michaël Moreau, co-auteur du livre "Main basse sur la culture" (Editons La Découverte). Il a récupéré également la concession de la salle Pleyel, ce qui est énorme en termes d’image. Ce nouveau business culturel lui permet d’être proche d’artistes mais aussi d’étendre ses réseaux avec le monde politique."
Enfin, il est également actionnaire du groupe Lucien Barrière, qui exploite des hôtels, des casinos et investit dans les spectacles et les jeux en ligne.
8Faire du mécénat
Marc Ladreit de Lacharrière est un mécène très actif, notamment avec les musées du Louvre à Paris et à Abu Dhabi et le musée du quai Branly, "le musée Jacques Chirac" dont l’homme d’affaires est proche. Une plaque avec le nom Fimalac figure d’ailleurs au musée du Louvre. La sculpture grecque la Victoire de Samothrace fait notamment partie des œuvres d’art restaurées grâce au mécène Marc Ladreit de Lacharrière. Il faut préciser que, depuis la loi Aillagon de 2003, le mécénat d’entreprise donne droit à un abattement fiscal de 60% sur l’impôt sur les sociétés (avec un plafond de 0,5 % du chiffre d’affaires).
Marc Ladreit de Lacharrière fait également partie du comité artistique des musées nationaux. "Ce sont les membres de ce comité qui choisissent les tableaux et les sculptures que vont par exemple acheter le Louvre ou le Musée d’Orsay, détaille la sociologue Monique Pinçon-Charlot. Ils sont au cœur des grandes décisions dans le domaine de l’art. On y trouve également Michel David-Weill, associé gérant de la banque Lazard, ou Maryvonne Pinault, l’épouse de François Pinault."
9S'approcher d'institutions prestigieuses pour accroître son influence
Cette "légitimation culturelle" de Marc Ladreit de Lacharrière passe aussi par l’appartenance à différents cercles comme l’Académie des beaux-arts ou par l’acquisition de revues prestigieuses, comme La Revue des deux mondes.
Cette revue a embauché Pénélope Fillon, la femme de François Fillon, comme conseillère littéraire de mai 2012 à décembre 2013 pour un salaire de 5 000 euros brut par mois, soit un total de 100 000 euros. La justice enquête actuellement sur cette embauche. La Revue des deux mondes a permis à Marc Ladreit de Lacharrière d’accroître encore un peu plus son influence. "Cette Revue l’a fait sortir de son univers financier, témoigne son ancien directeur, Jean Bothorel. Cela lui a donné une image d’hommes intéressé par la culture, la politique étrangère ou la littérature. La Revue publie beaucoup d’écrivains, elle est proche de l’Académie française. C’est important pour lui."
Autre outil d’influence : les dîners mensuels de La Revue des deux mondes. Ils se déroulent dans un grand hôtel parisien, le Georges V, avec des invités triés sur le volet qui payent leur couvert pour écouter un grand patron ou un responsable politique. François Fillon est un habitué de ces dîners.
Dans son discours de janvier 2011, le Premier ministre s’en prend à ceux qui critiquent le rôle joué par les agences de notation financière : "Nous ne pouvons pas ignorer les avertissements que nous envoient les marchés et les agences de notation, dit François Fillon. Je m’étonne toujours lorsque j’entends déplorer que les États se laissent aujourd’hui dicter leur politique par les agences de notation. Ceux qui disent cela confondent peut-être la souveraineté avec l’inconséquence. Emprunter tant et plus, sans se soucier de sa capacité à rembourser, me semble, au contraire, un chemin qui mène tout droit à la servitude politique. La souveraineté passe aujourd’hui par la maîtrise de nos comptes." Un discours qui va droit au cœur de Marc Ladreit de Lacharrière, actionnaire de l’agence de notation Fitch ratings.
Dans son livre publié en 2012, Le droit de noter (éditions Grasset), l’homme d’affaire se fait, lui aussi, l’avocat des agences de notation et rend un hommage appuyé à François Fillon. "En septembre 2007, écrit-il, François Fillon choisit de s’adresser aux médias pour tirer la sonnette d’alarme. Il affirma qu’il se trouvait 'à la tête d’un État en faillite' et qu’une politique de rigueur devrait être probablement mise en œuvre. Nicolas Sarkozy, rouge de colère, lui passa un savon légendaire et lui assena qu’il ne comprenait rien à la situation. C’était pourtant François Fillon qui avait raison. Il avait eu le courage de faire fi de la langue de bois et de dire la vérité."
Selon nos informations, l’un des enfants de l’ancien Premier ministre, Edouard Fillon, a fait un stage de trois mois, en 2012, au sein de l’agence de notation Fitch.
10Des prix très politiques
Derrière le mécénat, la politique n’est jamais très loin. C’est ainsi qu’en 2014, Marc Ladreit de Lacharrière fait venir François Hollande à Trappes (Yvelines) pour assister à des matchs d’improvisation organisés par le comédien Jamel Debbouze, soutenu par l’homme d’affaires.
En 2013, le même Jamel Debbouze se retrouve à l’Élysée lors de la remise d’un prix créé par Marc Ladreit de Lacharrière, le prix de l’audace créatrice et culturelle. Le prix, créé en 1996 et parrainé par les ministères de l’Éducation et de la Culture récompense un chef d’entreprise lors d'une cérémonie organisée sous les ors de l'Élysée, sauf sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy où, à l’exception de 2007, il a été remis à Matignon par François Fillon. Il a également créé le prix de la photographie ou encore les prix du livre d’économie et du livre politique, parrainés par son association Lire la société qu’il co-préside avec son ami Louis Schweitzer.
Ces prix permettent de peser sur le "petit monde" politico-médiatique. "C’est une bonne introduction auprès de personnes dont il faut avoir l’oreille au bon moment, analyse Benjamin Lagues du site Acrimed, qui a consacré plusieurs articles à ces prix. En sponsorisant ce genre de prix, il bénéficie de l’influence de ces milieux politiques, économiques et médiatiques, qui s’auto-consacrent, et de promouvoir plus largement ses idées libérales, comme seule pensée 'autorisée'."
Le dernier lauréat du prix du livre économique est le journaliste François Lenglet. Quant au lauréat du livre politique, il s’agit du sondeur Brice Teinturier (par ailleurs, membre du jury de ce prix) qui sera l’invité d’honneur, avec le politologue Olivier Duhamel, du prochain dîner de La Revue des deux mondes, le 19 avril prochain, juste avant le premier tour de l’élection présidentielle. Le monde est vraiment petit.