

Imaginez que vous allez faire vos courses chez Auchan, que vous achetez les fringues chez Kiabi, une perceuse chez Leroy Merlin, un accessoire auto chez Norauto. Patrick Mulliez est le patron de l’enseigne Kiabi… Arrêtons là l’énumération et la description de la zone commerciale : vous avez contribué à la fortune de la famille Mulliez. Au total, une quarantaine d’enseignes, 40 milliards d’euros de chiffre d’affaires en France (90 dans le monde). Le fondateur de la dynastie, Louis, créateur de la filature Saint-Liévin et de Phildar, a fait école. Gérard, que l’on vit récemment entrer dans une assemblée de jeunes communistes du Nord parce qu’il était mécontent d’une affiche le représentant en profiteur, a eu l’idée de créer à Roubaix une petite supérette en « démocratisant la consommation du whisky » pour constituer sa clientèle. Ainsi est né le groupe Auchan. Cet inventeur de la galerie marchande en escadre a fait le bonheur des 600 actionnaires, tous membres de la famille – c’est une règle – et descendants de Louis. Le montage est unique au monde, tout est dans tout. L’association familiale Mulliez y veille jalousement.
Pour son documentaire, Nicolas Vescovacci s’est heurté à une loi du silence imposée par la famille. À part Gonzague Mulliez, le patron de Saint Maclou, qui, sans trahir de secret de famille, avoue tout de même n’avoir jamais rempli de déclaration d’impôts de sa vie. « Ça m’énerve, il y a quarante lignes à remplir », confie-t-il depuis sa propriété de Néchin, petite ville belge bien connue des exilés fiscaux français. Comme Patrice Mulliez : 1,1 milliard de revenus, 135 euros d’impôts. Cela s’appelle optimiser. L’atypique maire socialiste de la ville relève 18 familles Mulliez dans sa ville. Le journaliste sonne à chaque porte. Mais dans cette famille catholique qui a fait de l’encyclique de Jean XXIII, Mater et Magistra (1961) son credo, c’est l’un des fondements de la famille. Et on ne communique pas. Mais Gonzague reconnaît tout de même que « Jean XXIII n’a jamais tenu une épicerie ». Donc on s’arrange avec l’encyclique et même avec les autorisations. Comme cette ouverture d’un magasin Auchan en Ukraine, où le groupe est n° 2 (n° 1 en Russie) et où « tout se résout avec de l’argent ». « Des allégations contraires aux valeurs du groupe », selon Vianney Mulliez, le n° 1 d’Auchan.