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Des forces politiques françaises étaient-elles complices de l’attentat contre Charlie Hebdo ?
Des forces politiques françaises étaient-elles complices de l’attentat contre Charlie Hebdo ?

De nouvelles révélations sur la surveillance intensive des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly par les services de renseignement français soulèvent les questions les plus sérieuses sur l’origine politique des attentats qu’ils ont commis contre Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher, il y a un an.

Déjà en 2015, il était difficile de comprendre comment des individus connus par le renseignement avaient pu préparer les attentats sans se faire détecter. La révélation que Coulibaly avait reçu des armes de Claude Hermant, un indic de la police lié au Front national (FN), a suscité davantage d’interrogations sur une éventuelle complicité de forces politiques en France qui auraient pu y avoir intérêt. La réaction publique aux attentats ont en effet accéléré la normalisation du FN et renforcé les pouvoirs de la police, élément central de la politique du Parti socialiste (PS).

Des documents auxquels ont eu accès les magistrats chargés de l’enquête sur les attentats de janvier 2015 soulèvent à présent encore plus d’interrogations sur d’éventuelles complicités.

Les frères Kouachi ont été surveillés de près entre 2010 et 2015 en raison de leurs contacts directs avec les dirigeants d’Al Qaïda dans la Péninsule Arabe (AQPA), branche d’Al Qaïda souvent décrite comme étant la plus dangereuse au monde depuis la mort d’Oussama ben Laden. Selon une quarantaine de notes de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure (DGSI) obtenues par Le Monde, les renseignements français ont bien arrêté de surveiller Chérif et Saïd Kouachi quelques mois avant l’attentat contre Charlie Hebdo.

Cette décision de ne pas surveiller des individus liés à la direction d’AQPA est inexplicable. Les membres d’AQPA au Yémen font l’objet régulièrement de tentatives américaines d’assassinat par drone s’ils sont identifiés, prétendument pour les empêcher de s’établir et de commencer à agir en Europe ou en Amérique.

Les renseignements se sont intéressés à Chérif Kouachi et à Amedy Coulibaly en mars 2010. A partir de cette date, selon Le Monde, ces derniers se sont rendus à plusieurs reprises chez Djamel Beghal. Le Monde observe que Coulibaly fréquentait donc « ce que le djihadisme hexagonal compte de plus dur, sans que cela ne suscite autre chose que de l’indifférence ».

Par contre, dès cette date, les renseignements français suivaient les frères Kouachi de près. Beghal était assigné à résidence après avoir purgé dix ans de prison pour des projets d’attentat contre des intérêts américains en Europe. A l’époque, Beghal est sur écoute par la DCRI (futur DGSI) et ciblé par une enquête de la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ).

Entre 2011 et 2013, les notes de la DCRI font état d’un rapprochement entre les frères Kouachi et Peter Cherif, lui aussi mis en examen avec Chérif Kouachi dans le dossier des « Buttes-­Chaumont » pour être parti combattre en Irak au début des années 2000. Peter Cherif a réussi à fuir avant son jugement en mars 2011 et ensuite obtenir un poste élevé au sein d’AQPA. Chérif Kouachi a quant à lui été interpellé avant de prendre l’avion.

Le Monde rappelle que « Cest justement au nom dAQPA que les frères Kouachi vont revendiquer lattaque de Charlie Hebdo. ». Et continue : « Àpartir de janvier 2012, les contacts avec Peter Cherif se font par téléphone. Des échanges que Saïd Kouachi prend soin de dissimuler en utilisant plusieurs puces et boîtiers téléphoniques. Cest de là que Saïd entre à son tour dans le viseur de la DGSI. En particulier, à la suite dun renseignement de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) qui fait état dun possible séjour au Yémen, datant de lété 2011. ».

Selon Le Monde, « A partir d’avril 2012, les frères Kouachi sont considérés comme tellement dangereux, qu’ils font l’objet d’investigations communes entre DCRI et DGSE. Un mois plus tôt, Chérif a même été placé sur la liste des ‘objectifs prioritaires’ de la DCRI. Les enquêteurs s’inquiètent notamment de sa méfiance et de sa rencontre avec des ex-membres du ‘groupe de Francfort’. Ces anciens combattants d’Afghanistan ont été condamnés pour un projet d’attentat contre le marché de Noël de Strasbourg en 2000. Saïd Kouachi, de son côté, reprend discrètement contact avec Farid Benyettou, tête pensante de la filière des ’Buttes-Chaumont’. Les flux Internet des Kouachi sont interceptés et montrent leur intérêt constant pour AQPA et le Yémen. »

En tant que cibles « prioritaires », les frères Kouachi ont fait l’objet d’une surveillance intensive, que les services de renseignement ont ensuite abandonné. Saïd a été mis sur écoute huit mois en 2012, deux mois en 2013 et cinq mois en 2014, de février à juin. Chérif a été suivi pendant deux ans, de 2011 à 2013.

On peut se demander quels impératifs ont motivé la décision d’arrêter de surveiller les frères Kouachi. L’analyse du Monde, qui traite cette décision de « mauvais coup du sort » et de « rendez-vous manqué », n’explique rien du tout.

Le Monde indique que, selon les services de renseignement, « aucune surveillance technique ou physique n’a permis de matérialiser la moindre préparation d’une action violente ». Cette conclusion est en contradiction flagrante avec le reste du dossier. Les frères Kouachi étant des « objectifs prioritaires », que les services français estimaient être « extrêmement dangereux » et au cœur du dispositif d’AQPA en France.

Quant à Coulibaly, malgré ses relations avec les frères Kouachi et un parcours sensiblement similaire, il n’aurait jamais été considéré comme un objectif prioritaire. Il a purgé une peine de prison entre 2010 et 2014, selon Le Monde, « pour son implication dans le projet d’évasion de Smaïn Aït Ali Belkacem, autre personnage important du terrorisme, condamné à perpétuité pour l’attentat à la station RER Musée-D’Orsay en 1995, à Paris ».

Incroyablement, même après la participation de Coulibaly dans une tentative d’évasion d’une des principales personnalités du djihadisme algérien en France, les services de renseignement ne l’ont pas considéré comme un islamiste. « Amedy Coulibaly n’a jamais été considéré par la DGSI comme un membre de la mouvance islamiste radicale. Il n’a donc jamais été un objectif … Jusqu’au bout, il a été considéré comme un second couteau et a gardé son étiquette de délinquant de droit commun », écrit Le Monde.

Ceci est particulièrement étonnant vu que les services de renseignement avaient repéré en 2013 un contact direct entre Coulibaly et les frères Kouachi, pourtant « dangereux » et manifestement liés à l’islamisme. Ce contact passait par le téléphone de la femme de Coulibaly, Hayat Boumedienne, pour déjouer l’interdiction de contact direct entre les frères Kouachi et Coulibaly après sa sortie de prison.

Sous ces conditions, on peut se demander comment les services français avaient décidé que Coulibaly n’était pas un islamiste. Vu qu’il a entretenu une relation amoureuse avec une adjutante gendarme, qui selon Le Canard Enchaîné et Le Figaro porte le nom d’Emmanuelle, on peut se demander s’il avait accepté de travailler pour la police ou la gendarmerie françaises.

La passivité de l’État à l’encontre d’individus liés à la branche d’Al Qaïda la plus virulente et qui avait fait de la France une cible n’est compréhensible que dans le contexte des relations qui existent entre le terrorisme islamiste et l’impérialisme.

Depuis 2011, la France, les Etats-Unis, et les autres puissances de l’OTAN se servent d’Al Qaïda et d’autres groupes islamistes radicaux comme L’Etat islamique (Daech), qui a revendiqué les attentats du 13 novembre, dans des guerres néo-coloniales au Moyen Orient. Ces guerres ont débuté en Libye. Après la chute du régime libyen, l’OTAN a instrumentalisé ces mêmes forces en Syrie afin de renverser Assad et d’isoler l’Iran. Les puissances impérialistes ont prétexté que les forces menant la guerre par procuration en Libye et en Syrie étaient démocratiques et progressistes.

Les services du renseignement des pays de l’OTAN n’ont pas fait de zèle pour surveiller les frères Kouachi et Coulibaly ; dans l’analyse finale, la classe dirigeante n’y avait pas intérêt. Ces terroristes faisaient partie des mêmes réseaux que les combattants islamistes qui mènent les guerres pro-impérialistes en Libye et en Syrie.

En même temps, les crimes des Kouachi et de Coulibaly ont servi à justifier un politique intérieure voulue par le PS et par l’ensemble de l’aristocratie financière. A la fin de 2014, le PS était aux abois, sa politique d’austérité était à 3 pour cent dans les sondages, et il commençait à craindre une désintégration totale du parti aux élections présidentielles de 2017. Le premier ministre, Manuel Valls, avait évoqué le danger d’une « mort » de la « gauche » en France.

Les attentats de janvier 2015 ont permis au PS de se stabiliser en faisant dévier l’atmosphère politique encore plus à droite, en mettant 10.000 soldats dans les rues, en accélérant les attaques contre les droits démocratiques, et en promouvant l’intégration du FN dans la classe politique.

Les attentats du 13 novembre, qui ont fait plus d’une centaine de morts, ont permis au PS de renforcer les mesures policières en établissant l’état d’urgence, en menant des perquisitions en masse sans décision judiciaire, et en proposant la déchéance de nationalité pour les binationaux, mesure promue par le FN. Ces actes terroristes bénéficient aux forces politiques les plus étroitement liées à la police, ainsi qu’au FN, et servent à justifier la mise en place d’un Etat autoritaire et la présentation de Hollande sous un nouveau jour, en tant que « chef de guerre ».

Il est permis de se demander si pareilles considérations antidémocratiques ont joué un rôle dans les décisions de suspendre la surveillance de Coulibaly et des frères Kouachi, qui leur ont ensuite permis de préparer leurs attentats.

Anthony Torres

 

 

Tag(s) : #Politique française
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