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L’INFLUENCE de « la GAUCHE de la gauche » en recul en milieu POPULAIRE : POURQUOI ?

Evariste

 

Comme déjà indiqué dans une précédente chronique (1), la gauche de la gauche voit reculer son influence en milieu populaire (qui représente 53 % de la population. Elle semble incapable de penser la fracture sociale qui s’est opérée. Mais cela ne suffit pas à comprendre la mutation en cours dans les recompositions politiques. Car la mutation sociale des partis s’accompagne d’une nouvelle ségrégation spatiale. C’est la fracture spatiale. Cet autre phénomène qui accompagne le précédent est le phénomène de gentrification en cours depuis plusieurs décennies largement soutenu par le mouvement réformateur néolibéral. La cécité de la gauche de la gauche a été également encouragée par les élus de toutes les gauches (y compris le PC) et par leurs conseillers, urbanistes et architectes, bureaucrates de la politique de la ville, qui ont accompagné ce mouvement dont la cause principale est la dynamique intrinsèque de la formation sociale capitaliste en crise du profit.

Fractures spatiale et sociale

Ce phénomène montre qu’il y a trois dynamiques principales dont le fil conducteur à l’œuvre est de voir, petit à petit, les couches populaires partir vers la périphérie et les classes bourgeoises reconquérir les villes centre et même certaines banlieues. Bien évidemment, tout cela a été accéléré par la volonté de désindustrialisation de l’oligarchie capitaliste, par la suppression progressive des grandes concentrations ouvrières, et par la dissuasion du marché immobilier en forte hausse lié au fait que les le mouvement réformateur néolibéral a toujours favorisé la rente.

D’abord la dynamique des métropoles, regroupant de plus en plus les gagnants de la mondialisation (ou qui se considèrent comme en faisant partie), soit la majorité des couches moyennes supérieures, une partie des non-salariés aisés et une partie des couches moyennes intermédiaires. C’est l’une des conséquences des actes I, II, III de la décentralisation qui s’est concrétisée récemment avec la loi Notre et la loi Mapam. De ce point de vue, chaque gouvernement a fait pire que le précédent. C’est aussi là que se crée l’emploi. A noter que c’est la première fois dans le capitalisme que la majorité des salariés ne vivent pas là où sont créés les emplois !

Puis, la France périphérique, composée des zones péri-urbaines (regroupant les villes qui ne sont pas des métropoles) et rurales, qui font vivre 60 % de la population française. C’est cette France qui voit augmenter fortement les couches populaires abandonnées par les dirigeants nationaux des partis néolibéraux de droite et de gauche mais aussi de la gauche de la gauche. Malgré beaucoup de publicité, cette France ne crée que peu d’emplois par rapport aux métropoles. Le fait que de nombreux endroits de cette France périphérique sont des zones dortoirs de plus en plus éloignées des métropoles où se trouvent le plus d’emplois, modifie bien plus l’aménagement du territoire que d’autres sujets dont on parle beaucoup plus.

Et, enfin, les banlieues, qui regroupent de moins en moins de couches populaires stabilisées dans leurs territoires. Car de plus en plus, les banlieues sont, pour de plus en plus de couches populaires, un lieu de transit provisoire entre les métropoles et la France périphérique. Mais c’est aussi, dans certaines villes de banlieue, un endroit de regroupements identitaires : français juifs sépharades, français d’origine arménienne, français de culture musulmane. Pour les uns, ces regroupements identitaires sont directement le produit des politiques municipales. Pour d’autres, c’est un « mix » entre des politiques municipales, la cherté de la vie et le coût du logement. D’autant qu’aucun gouvernement jusqu’ici n’a osé obliger les villes riches à construire des logements pour les couches populaires. Tout se passait comme si les gouvernements acceptaient la getthoïsation exponentielle des gagnants de la mondialisation dans les villes centres et les banlieues bourgeoises et ne poussaient au mieux l’idée de la mixité sociale que dans les villes à majorité populaire. La loi SRU est de ce point de vue notoirement insuffisante et peu contraignante.

On peut rajouter à cela la politique néolibérale de désertification dans la France périphérique mais aussi dans les banlieues de tout ce qui procède de la sphère de constitution des libertés (école publique, protection sociale, services publics). Ce n’est pas avec 1 000 maisons de service au public (MSAP), qui ne sont plus des maisons de services publics (MSP) que l’on inverse la politique de désertification de l’oligarchie capitaliste. Et ce n’est pas en fermant les yeux sur les trous percés de la sectorisation scolaire utilisés par les couches moyennes supérieures par les options linguistiques et autres, que l’on réglera les problèmes d’aménagement du territoire.

Autres fractures

Le résultat des élections régionales de décembre 2015 a mis au jour une fracture générationnelle. Les jeunes de moins de 35 ans ont voté très majoritairement à droite et à l’extrême droite : 61 % pour les moins de 25 ans et 56 % pour les moins de 35 ans. Et comme ce chiffre est moyen et que, de plus, le vote de la jeunesse est différencié entre les jeunes des métropoles et ceux de la France périphérique, les chiffres précédents sont bien plus forts dans la France périphérique et bien moins forts dans la jeunesse des métropoles. Disons-le, ce sont les personnes âgées qui ont empêché la victoire totale du FN aux élections régionales de 2015Triste perspective, non ?

De plus, l’incapacité de la gauche de la gauche, comme des solfériniens d’ailleurs, de penser également le besoin de protection sociale, d’école laïque et républicaine, de sûreté et de sécurité des citoyens français est en partie responsable de la fracture identitaire qui favorise aussi bien le FN que les communautarismes (la percée de l’Union des démocrates musulmans de France dans certaines villes des Yvelines et de Seine-Saint-Denis et le développement des groupes dits citoyens mais en réalité communautaristes alliés à la gauche de la gauche, au PS ou à la droite) ou encore tous les intégrismes, dont celui de la Manif pour tous, des indépendantismes et de l’islamisme.

Car aujourd’hui, vu la crise du profit de l’économie réelle capitaliste, en l’absence d’un projet alternatif au capitalisme crédible au yeux des couches populaires et du peuple, le refus des conséquences du capitalisme (aujourd’hui celles du mouvement réformateur néolibéral) peut prendre le chemin de l’extrême droite, comme dans les années 30, ou celui aussi d’une néo-féodalisation intégriste, obscurantiste et pré-capitaliste (soutenue par une partie de la gauche de la gauche d’ailleurs) tout en étant branché Internet 2.0, ou encore celui encore d’une revendication ethniciste de type indépendantiste comme en Corse.(2)
Dans le premier cas, cela peut permettre comme dans les années 30, une alternative fascisante proposée par une alliance entre droite de la droite et FN, pour le plus grand bonheur de l’oligarchie capitaliste. Dans le deuxième cas, cela conduit à une régression sociale et sociétale doublée d’une insécurité dangereuse. Dans le troisième cas, à une modification géopolitique régionale car il n’y a plus de place aujourd’hui pour des petits pays indépendants. Il n’y a pas un petit pays qui ne fasse pas partie d’un ensemble géopolitique dominé par un impérialisme.

Ainsi, il ne suffit pas de se déclarer « frondeur » sans alternative ou de déclarer que l’ennemi du Front de gauche est le FN et qu’il faut mener une bataille front contre front, encore faut-il répondre à toutes les fractures sociale, spatiale, générationnelle et identitaire. Cela implique de mener la bataille pour une nouvelle hégémonie culturelle contres les causes de ces fractures, mais aussi de proposer, comme dans la stratégie de l’évolution révolutionnaire (Karl Marx 1850, puis Jean Jaurès), des solutions à court, moyen et long terme cohérentes entre elles. Dire que telle ou telle proposition de François Hollande n’est pas bonne est une chose, mieux est de dire comment faire pour qu’à court terme d’abord et à long terme ensuite, les citoyens français se sentent protégés, en sûreté, en sécurité.

Mais pour cela, il faudrait utiliser la stratégie jaurésienne de l’évolution révolutionnaire qui est la stratégie de la République sociale. Ce qui est difficile pour la partie de l’Autre gauche qui reste anti-républicaine et anti-laïque, sans aucun projet et modèle d’avenir en dehors d’un gauchissement du communautarisme anglo-saxon. D’où la décomposition de la gauche de la gauche.

Quid du sursaut citoyen possible des abstentionnistes ?

C’est la pensée magique de la majorité de la petite bourgeoisie. Celle qui aime se battre avec la peau des autres. C’est celle qui est reprise par les médias néolibéraux. Il n’a donc aucune chance de se produire. Car les abstentionnistes ne sont pas en tant que tels une catégorie avec une composition représentative de la société française, tant les couches supérieures et mêmes intermédiaires votent en rangs serrés. Comme l’a montré la chronique d’Evariste citée plus haut,le gros des abstentionnistes est formé par les couches populaires qui, dans les circonstances actuelles et tant qu’une gauche de gauche n’effectue pas son surgissement, si elles ne s’abstiennent pas, voteront FN comme elles ont commencé à le faire aux élections régionales de 2015. Il ne reste comme solution que d’agir sur les causes, ce que le mouvement réformateur néolibéral ne veut à aucun prix, bien sûr !

Le slogan « rassemblons-nous autour des valeurs de la République » est-il efficace ?

Ce slogan, répété à satiété par les dirigeants de l’oligarchie capitaliste (grands patrons, responsables des grandes organisations internationales, prêtres médiatiques des chaînes néolibérales radio et télévisuelles) sans jamais définir quelles elles sont, n’engage que ceux qui veulent y croire, c’est-à-dire la petite bourgeoisie ballottée entre des positions contradictoires, mais sûrement pas les couches populaires bien plus nombreuses. Dire que le Front national n’est pas un parti républicain paraît juste, mais est-ce que LR, le PS et leurs alliés le sont davantage ? Là est la question !

Si on définit la République sociale, comme nous l’avons fait (3) comme celle qui respecte les principes (et non les valeurs) de liberté, d’égalité, de fraternité, de laïcité (4), de solidarité, de démocratie, de souveraineté populaire, de sûreté, d’universalité, de développement écologique et social, force est de répondre non à la question posée. Si la république est un fourre-tout sans définition précise autre que celle de ne pas être une monarchie, alors tout le monde peut se targuer de l’être puisque personne ne la définie sérieusement. Il ne suffit pas de répéter que telle « valeur » est à poursuivre ni même que tel « principe » est celui qui convient. L’enjeu est le contenu que l’on met derrière les mots de liberté, d’égalité et de fraternité, comme de ceux qui les prolongent : laïcité, solidarité, souveraineté populaire… C’est leur usage pratique, non le slogan, qui importe, et le projet politique que ces mots sont censés exprimer.

Quelles recompositions possibles ?

Sans éclatement ou nouvelle recomposition des organisations existantes, les mêmes causes produisant les mêmes effets, la ligne néolibérale de plus grande pente pourrait être, si un nouvel élément de crise économique advenait, la poursuite de la montée du FN, des identités communautaristes et intégristes et des velléités indépendantistes avec en fin de parcours une recomposition droite de la droite/FN sous l’égide du grand patronat comme dans les années 30.

Une variante de cette ligne de plus grande pente, au moins dans un premier temps, pourrait être une recomposition PS/droite centriste, si LR venait à se disloquer avant tout élément nouveau de crise économique. C’est cela que vise François Hollande, qui a définitivement abandonné les quelques mesures sociales et laïques promises durant la campagne de 2012 et qui travaille cette recomposition en commençant par la réforme constitutionnelle du début février négociée avec des parties de la droite néolibérale. Parions que toute la fin de son quinquennat sera marquée par la volonté de recomposition avec une partie de la droite néolibérale.

Le mouvement progressiste pourrait quant à lui se développer, vu que le PS abandonne de plus en plus la position d’un parti de gauche. Trois possibilités stratégiques s’offrent à lui. Nous ne parlons pas là de ligne politique mais de stratégie politique :

- La première est une stratégie de type Syriza 2013 qui consiste à supprimer tout cartel ou collectif (de type Front de gauche qui empêche le débat démocratique entre les adhérents au profit de compromis entre dirigeants) par une fusion des petites organisations.
– La deuxième suppose une manifestation populaire préalable de type Indignés avec une sortie politique de type Podemos, avec
 une référence autour du « peuple » et non de la « gauche ».
– La troisième est une recomposition qui fait suite à des formes d’éclatement des partis traditionnels et de la politisation d’acteurs associatifs et syndicaux ou de citoyens éclairés suite à une droitisation constante du PS et de ses alliés.

Dans tous les cas, la recomposition ne pourra se faire, de notre point de vue, que dans la poursuite culturelle des grandes avancées historiques de l’histoire de France depuis la Révolution française, seule à avoir pu mobiliser les couches populaires puis le peuple entier. Donc par fusion entre un modèle de refondation républicaine et un projet progressiste capable de mobiliser d’abord les couches populaires pour mobiliser ensuite les forces progressistes du peuple. Donc en s’écartant du groupuscularisme, de la marginalisation volontaire, du gauchisme, du solipsisme, du sectarisme, toutes ces dérives étant des maladies infantiles de la pensée progressiste.

Mieux connaître le réel concret

Pour aller à l’idéal, il faut partir du réel concret et ne pas vouloir construire un avenir tel un professeur Tournesol indépendamment du réel et du processus pour l’atteindre. Pour cela, il faut comprendre des choses souvent mal connues des militants, comme le fonctionnement de la monnaie en système capitaliste, les lois tendancielles d’une formation sociale capitaliste, les doctrines de la démocratie, les lois tendancielles de notre écosystème, le fonctionnement des institutions sociales, la nécessité de penser une nouvelle industrialisation, etc. En un mot, il faut développer une théorie globale pour clarifier le complexe, tout en refusant les simplifications abusives de slogans qui fonctionneraient comme des déclencheurs sociaux et politiques, ce qui n’a jamais été le cas dans l’histoire sauf au « café du commerce ».

Par ailleurs, connaître le réel concret exige aussi de connaître les hommes et les femmes et notamment leurs besoins en fonction des différentes couches sociales en vue de la construction d’une convergence de projet. Ainsi on ne peut pas, par exemple, ne pas tenir compte des couches populaires (53 % de la population) qui ont bien d’autres besoins que les politiques d’assistance indispensables. Ils ont des besoins culturels, de pouvoir d’achat, de lutte contre le chômage et la précarité, d’une sphère de constitution des libertés de haut niveau (école, services publics, protection sociale), des besoins démocratiques, féministes (pour toutes les femmes ouvrières et employées, pour les deux millions de femmes élevant seules leurs enfants, largement oubliées aujourd’hui), laïques (car les ouvriers et les employées ne sont pas en France pour le gauchissement du communautarisme anglo-saxon ni pour le relativisme culturel cher aux couches moyennes supérieures de la mondialisation) et d’une cohérence anti-système par rapport aux oligarchies patronale, LR et PS.

Engager de nouvelles pratiques sociales

Sauf à vouloir s’enferrer continuellement dans les pratiques sociales anciennes qui ne marchent plus et sont aujourd’hui perdantes et de continuer à dire que l’on a toujours raison, mais que la communication manque de pédagogie, il serait plus utile d’engager le travail militant sur des nouvelles pratiques plus efficaces, tout en sachant que travailler à les élaborer et à les rendre démocratiques est chronophage.

Pensons à développer les pratiques d’éducation populaire « ascendantes », qui viennent des citoyens eux-mêmes, diversifier les formes de l’éducation populaire(5)refuser les meetings où les « tunnels » d’intervention de tous les petits et grands chefs des organisations participantes et les phrases jargonnantes toutes faites, applaudies par les thuriféraires mais qui ennuient ou exaspèrent la majorité de l’assistance, aller vers ceux que l’on veut mobiliser (porte à porte, théâtre d’intervention, théâtre image, distribution uniquement si elle est massive, visuelle et que le cadre est propice à la discussion, moments de lutte de masse, etc.), favoriser les contacts avec les têtes de réseaux, travailler les rassemblements et les convergences (à l’exception des relativistes culturels), etc.

 

Évariste

le 14 janvier 2016

 

Tag(s) : #Politique française
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