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Témoignage : les héros anonymes du Donbass, par Laurent Brayard.
Témoignage : les héros anonymes du Donbass, par Laurent Brayard.

Le blog de Lucien PONS

 

 

Ils sont quatre devant moi, nous sommes dans les environs de la petite ville minière et industrielle de Kirovskoe, une localité nichée dans le Donbass libre qui fut l’objet des attaques de l’Armée ukrainienne dans l’été 2014. Natacha, Iaroslav, Sacha et Evguéni.

Nous nous sommes installés dans le petit parc central de la ville, le soleil brille car le printemps s’installe vite dans le Donbass, voilà déjà longtemps que les dernières traces de neige ont disparues. Ils étaient de simples habitants et travailleurs lorsque l’Armée ukrainienne a agressé le Donbass lors d’un autre printemps, il y a déjà deux ans. Ils étaient parmi les premiers dans la rue pour les manifestations contre le Maïdan, ils avaient compris le danger de la situation et que rien de bon ne sortirait de cette Révolution colorée que les Etats-Unis eux-mêmes ne se cachent pas d’avoir financé par les déclarations de Victoria Nuland ou de John McCain, les fameux cinq milliards de dollars investis pour répandre le désordre dans l’Ukraine désormais utilisée comme une arme braquée contre la Russie.

 

« Au début nous n’étions pas nombreux dans la rue, quelques dizaines à peine et nous étions serrés de près par la police locale, nous avons bien failli être arrêtés à plusieurs reprises. Ce qui est triste c’est que ces policiers sont d’ici pour la plupart, de Kirovskoe et beaucoup sont encore ici alors qu’ils ont obéis aux ordres de Kiev qui étaient à l’époque évidemment contraire à la raison et au principe de liberté d’expression. J’ai servi comme coordinatrice dans les milices au début de l’invasion. Je servais dans un Etat-major improvisé, avec nos téléphones nous recevions des appels des habitants des alentours pour nous indiquer les positions et les actions des troupes de représailles de l’Ukraine. Nous rassemblions les informations que nous traitions ensuite par priorité pour les communiquer de la même manière aux unités insurgées qui s’étaient levées spontanément. Je n’avais aucune expérience politique avant la guerre, ni même militaire, je suis une simple habitante de Kirovskoe, j’ai passé ma vie ici, tranquillement avec mes enfants, mon fils est un cadet de la nouvelle armée de République populaire de Donetsk, regardez ses photos ! ». Natacha me montre en effet avec fierté les photos de son garçon en uniforme blanc posant fièrement pour la postérité.

 

« Lorsque les soldats de l’Ukraine se sont approchés de la ville après la chute de Slaviansk, nous avons réagi et formé des unités de volontaires. Nous n’avions rien, que des bâtons, des armes de fortunes, des fusils de chasse, c’était dérisoire. Nous avons construit des bunkers de fortune, des blocs-posts sur les points de passage et en avant de la ville pour surveiller et défendre les abords et les entrées. Les avions de chasse ukrainiens survolaient la zone, ils volaient si bas que nous avions parfois l’impression que nous allions les prendre en pleine face. Et puis les obus ont commencé à tomber sur la ville, au départ sporadiquement, puis méthodiquement. Lorsque nous avons formé nos unités de volontaires, nous n’étions pas cinquante, et beaucoup sont morts par la suite. Nous avons combattu pour notre terre, pour notre pays jusqu’à Minsk 2 en février 2015 et puis nous avons été démobilisés, ce n’était plus le temps de l’insurrection mais de la création d’une armée. Nous avons quand même l’impression d’avoir été oubliés, mais nous avons fait notre devoir, quelques récompenses honorifiques seraient les bienvenues » poursuit ensuite Sacha qui peut avoir environ 40 ans.

 

« Lorsque nous avons organisé les premiers meetings contre le Maïdan beaucoup de gens du lieu ne comprenaient pas l’utilité et l’importance de ces actions. Certains disaient que cela finirait mal, d’autres préféraient ne pas voir et de toute façon la plupart d’entre nous avions un travail, nous nous occupions d’organiser les manifestations dans notre temps libre, les jours de repos ou le soir. C’était un temps très particulier, il y avait un air de liberté et à la fois nous retrouvions aussi notre fierté et nous avons gagné des convictions, c’était un beau moment. Pour le fameux référendum pour la fédéralisation et finalement vers le chemin de l’indépendance que nous n’avions pas encore entrevu, c’était extraordinaire, les gens sont venus par centaines, je n’ai jamais vu autant de monde venir aux urnes, c’était dans une ambiance de fête et bon enfant. Ils en venaient de partout, certains étaient déçus de n’être arrivés qu’après la fermeture des bureaux de vote, ils criaient, ils voulaient aussi voter, nous avons dû beaucoup argumenter pour expliquer que la loi était la loi, que nous ne pouvions rouvrir les bureaux, qu’il fallait faire le référendum dans les normes pour qu’il soit incontestable pour tous. Pour tous, mais pas pour Kiev hélas, nous n’avons pas été entendu et ensuite nous avons dû défendre notre ville, nos familles et nos vies » continue Iaroslav qui aujourd’hui milite toujours dans le sein d’un syndicat où il travaille à l’organisation d’actions patriotiques et pour les familles des plus démunis et des volontaires au front, blessés ou tués.

 

« La guerre a commencé alors que nous avions compris qu’elle serait terrible, les hélicoptères de l’Armée mitraillaient les voitures civiles sur les routes, Sacha et Natacha ont raconté comment les avions survolaient la ville en rase motte. Nous n’avions presque pas d’armes pour nous défendre, nos amis nous disaient : « mais vous êtes fous, vous n’avez pas la moindre arme pour les arrêter, ils ont des armes automatiques, des canons et des chars ! ». « Et alors ? » je répondais, et j’expliquais que nous allions prendre les armes dont nous avions besoin dans leurs mains. En effet les premiers soldats que nous avons rencontré c’était l’Armée ukrainienne. Beaucoup des officiers étaient totalement affolés, ils étaient venus pour tuer des terroristes, c’est ce qu’on leur avait dit et ils trouvaient en face d’eux des civils, des grands-mères, des femmes. Les soldats étaient des appelés, ils avaient 18 ou 20 ans, alors nous en avons désarmé des dizaines, ils se laissaient faire parce que sinon ils auraient dû tuer de simples gens qui ressemblaient étonnamment à leurs parents, à leurs frères et sœurs, à leurs familles. Nous nous sommes même emparés de véhicules blindés de cette façon, parfois ils passaient aussi de notre côté. Cela n’a pas été la même chose par la suite, l’artillerie a commencé à bombarder et les bataillons de nazis sont arrivés, la mort, le pillage, le viol dans leur sillage et nous nous sommes défendus » complète Evguéni qui lui aussi travaille maintenant pour un syndicat de défense des soldats et des familles de soldats.

 

Tous les quatre sont nés dans le Donbass, ils ont la trentaine ou la quarantaine, ils ont vu le jour durant la période de l’Union soviétique. Evguéni est fier de me montrer le béret de marin de son grand-père, un héros de l’autre guerre, cette Grande Guerre patriotique comme l’appellent les Russes et ceux des pays qui ont participé à ce conflit titanesque contre l’envahisseur nazi. D’un envahisseur nazi à un autre, ceux-là n’auront pas oublié que s’ils n’étaient pas devenus des esclaves du Reich allemand, ils ne le seraient pas plus de l’Union européenne.

La simple évocation de leur futur et également de l’Union européenne déclenche les rires et les plaisanteries. « Si vraiment ceux de l’Ouest de l’Ukraine veulent vivre dans le sein de l’Europe et selon les règles et les lois qui la régissent, bien leur en fasse, ils le peuvent, mais nous ici nous n’avons rien à faire avec ces gens, nous sommes Russes, nous sommes du Donbass, ce que sera le futur je n’en sais rien, quelque part nous ne sommes pas d’accord sur notre futur, il y en a qui pensent que l’Ukraine c’est la Russie jusqu’aux Carpates, d’autres jusqu’au Dniepr, d’autres que nous pourrons reconstruire l’Ukraine en chassant ces nazis et les créatures de l’Occident, d’autres encore que le Donbass sera dans la Fédération de Russie, une chose est sûre, nous n’avons ni besoin de l’UE, ni besoin des Américains, ni de Porochenko et toute sa clique, les oligarques c’est fini ! »

 

Evguéni regrette toutefois que les entreprises de Rinat Akhmetov, le célèbre milliardaire de Donetsk qui a fui en Ukraine mais qui par le fonds qui porte son nom envoie de l’aide humanitaire dans le Donbass, paye toujours ses impôts à Kiev. « Vous comprenez beaucoup des plus grandes entreprises qui restent sont les siennes, pensez-vous qu’il paye ses impôts à la RPD ? Non ! Cet homme nous a trahi comme d’autres avant lui, l’aide qu’il envoie sert juste à le garder populaire dans les couches les plus pauvres et les plus nombreuses du Donbass. Les Ukrainiens n’ont pas bombardé ses entreprises ou ses usines, ni même le stade de son club de foot à Donetsk, étrange non quand ils bombardaient tout autour ? Nous nous sommes battus pour notre pays et nous ne le regrettons pas, mais j’espère que nous arriverons à les pousser dehors jusqu’au dernier, les patriotes se sont ceux qui sont restés pour défendre le Donbass, les autres je vous laisse conclure ! »

 

Laurent Brayard pour DONi.Press

Tag(s) : #Contre l'impérialisme
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