LA TRIBUNE
Aux Pays-Bas, l'autre référendum
qui inquiète l'Union européenne
Le 6 avril, les Néerlandais sont appelés à se prononcer par référendum sur l'accord d'association avec l'Ukraine. Un prétexte pour beaucoup pour faire part de son rejet de... l'UE.
C'est un référendum dont on parle moins que celui sur le maintien du Royaume-Uni dans l'UE le 24 juin prochain, mais qui pourrait néanmoins révéler encore une fracture au sein de l'Union. Le mercredi 6 avril prochain, les Néerlandais seront appelés à se prononcer sur l'accord d'association entre l'UE et l'Ukraine de 2014. Et pour le moment, le camp du rejet de cet accord est largement en tête. Ceci poserait un véritable casse-tête à la Haye d'abord, à Bruxelles ensuite et à Kiev enfin.
Un accord symbolique
Cet accord d'association, rappelons-le, a été l'élément déclencheur de la révolution ukrainienne en novembre 2013. L'annonce de l'abandon des négociations par le président ukrainien d'alors, Viktor Ianoukovitch, le 21 novembre, une semaine avant un sommet à Vilnius où il devait être signé, avait déclenché des manifestations qui avaient abouti à la destitution et à la fuite de ce dernier en février 2014. L'accord d'association avait ensuite été conclu entre Kiev et Bruxelles en mars et juin 2014. Adopté par le parlement ukrainien, la Rada, en septembre 2014, il a été ratifié par tous les pays européens et il est entré pleinement en vigueur le 1er janvier dernier.
La loi néerlandaise
Aux Pays-Bas, cependant, la ratification n'est pas définitive. La loi de ratification a en effet été adoptée par le 28 juillet 2015 par la chambre basse du parlement néerlandais, la Deuxième Chambre des Etats Généraux (Tweede Kammer), assez largement d'ailleurs par 119 voix à 31. Mais depuis le 1er juillet 2015, une loi est entrée en vigueur dans le plat pays qui permet d'appeler à un référendum consultatif sur un texte législatif si l'on a pu recueillir 300.000 signatures. Le groupe eurosceptique Geenpeil (« aucun niveau ») a lancé une campagne de collectes des signatures qui a abouti puisque, rapidement, il a obtenu 470.000 paraphes. D'où ce vote du 6 avril.
L'abstention, élément clé
Selon la loi, le résultat du vote sera validé uniquement si 30 % des 12,5 millions d'électeurs inscrits se rendent aux urnes. Dans ce cas seulement, il y aura un réexamen parlementaire du traité. Les derniers sondages laissent penser que cette limite sera aisément franchie. Selon le sondage I&O Research de début mars 2016, 37 % des personnes interrogées sont « certaines » d'aller voter, cinq points de plus qu'en février. Il faudra néanmoins observer cette participation de près. Validé, le vote est, comme on l'a précisé, « consultatif. » Il oblige néanmoins la Tweede Kammer à revoter sur le sujet. En cas de rejet de l'accord, les partis politiques, à un an des nouvelles élections générales prévues le 15 mars 2017, devront donc assumer de rejeter la décision des électeurs.
Qui appelle à voter pour quoi ?
Sur le plan politique, les partis traditionnels appellent largement à voter en faveur de l'accord. C'est le cas des deux partis de la coalition au pouvoir, les Libéraux du VVD du premier ministre Mark Rutte et les Travaillistes du ministre des Finances Jeroen Dijsselbloem, mais aussi des Chrétiens-démocrates de la CDA, les Chrétiens-Sociaux de la Christenunie, les Libéraux de gauche du D66 ou encore des écologistes de gauche de la GroenLinks et les partis calvinistes SGP. En face, deux grands partis appellent à rejeter l'accord, les eurosceptiques xénophobes du parti pour la Liberté (PVV) de Geert Wilders, allié au parlement européen du Front National, et la gauche radicale du Parti Socialiste (SP). Deux petits partis, les Libertariens du VNL et le parti animaliste du PvdD, ont aussi appelé à voter contre l'accord.
Le rejet en tête dans les sondages
Le PVV et le SP ont le vent en poupe dans les sondages, le PVV étant même donné régulièrement en tête devant le VVD. Mais ces deux partis ne font pas une majorité. Dans le dernier sondage de l'institut Ipsos du 31 mars, le PVV est crédité de 17 % des intentions de vote et le SP de près de 10 %. De plus, les Néerlandais ont été traumatisés par l'explosion de l'avion MH370 au-dessus de l'Ukraine, qui a fait majoritairement des victimes néerlandaises et dont la responsabilité a été attribuée par l'opinion néerlandaises aux forces pro-Russes et à Moscou. En théorie, l'accord devrait donc avoir toutes les chances d'être adopté aux Pays-Bas. Mais, en réalité, le rejet de cet accord est largement en tête. Le sondage d'I&O Research attribuait 44 % des voix au rejet, 33 % à l'adoption, avec 23 % d'indécis. Un sondage de l'institut Peil du 20 mars, donne 60 % de rejet en excluant les indécis ( à 57 % pour le sondage I&O Research). Fait notable : il semble que plus l'abstention recule, plus le rejet gagne du terrain.
Un rejet de l'UE plus que de l'accord
Que se passe-t-il ? Ce vote de rejet n'est en réalité qu'en partie lié à l'accord ukrainien. Certes, à gauche, on s'inquiète de l'implication de l'UE dans le conflit ukrainien et de l'éventuelle concurrence des produits ukrainiens. A droite, on refuse toute pensée d'élargissement à l'est. Mais, même si Mark Rutte fait campagne sur le fait que cet accord serait « bon pour les Pays-Bas » et que « l'Ukraine n'a pas vocation à entrer dans l'UE », l'essentiel semble être ailleurs. A travers cet accord, les Bataves veulent surtout, comme en 2005, sanctionner une Union européenne qu'ils désapprouvent de plus en plus. Du reste, un des leaders de la campagne pour le rejet de l'accord, l'historien Arjan van Dixhoorn, l'a reconnu dans une interview au quotidien NRC Handelsblad : « l'Ukraine nous est égal ». Ce qui motive les opposants au référendum, c'est bien la sanction de l'UE. « Un référendum sur la sortie de l'UE n'a pas été possible jusqu'à présent, c'est pourquoi nous utilisons toutes les options dont nous disposons pour mettre sous pression les relations futures entre les Pays-Bas et l'UE », a-t-il ajouté.
Un euroscepticisme ancien
Ce référendum serait donc en réalité, un référendum pour ou contre l'UE. Et c'est bien ainsi que les électeurs néerlandais pourraient l'entendre. L'euroscepticisme néerlandais n'est pas une nouveauté : en 2005, les Néerlandais avaient rejeté le projet de constitution européenne le 1er juin, quatre jours après le « non » français, par 61,5 %. Ce sentiment s'est maintenu.Dans un sondage paru voici quelques jours sur le site Atlantico et réalisé par Elabe, on remarque que seuls 25 % des Néerlandais voient plus de bénéfices que d'inconvénients à être membre de l'UE. Le plus bas niveau avec les Belges, parmi un choix de six pays.
Les nouveaux griefs néerlandais contre l'UE
Et les griefs nouveaux ne manquent pas. A droite, la crise des réfugiés a provoqué une vague d'euroscepticisme, tandis que la politique très accommodante de la BCE suscite beaucoup de critiques. Outre les électeurs du PVV, le sondage Peil montre que 35 % des électeurs du VVD et 49 % de la CDA voteront contre l'accord. A gauche, le rejet s'appuie sur celui de l'austérité très dure qu'a connu le pays sous le gouvernement actuel. Jeroen Dijsselbloem n'a pas la main lourde que sur la Grèce, il a procédé à de sévères coupes dans le budget néerlandais. Si l'économie s'est redressée en 2015 avec une croissance de 2 %, elle n'a cru que de 3,1 % depuis 2010, contre 4,3 % pour la France et 7,9 % pour l'Allemagne. En termes de PIB par habitant en parité de pouvoir d'achat, le niveau actuel reste inférieur de 5 % au niveau de 2008.
Cette politique assumée par le parti travailliste (PvdA) a conduit à un affaiblissement radical de ce dernier qui est donné à 8,5 % des intentions de vote selon Peil contre 25 % lors des élections de 2012. Ces électeurs perdus sont allés au SP et à la GroenLinks, mais aussi au PVV. Comme ailleurs en Europe, l'austérité a alimenté l'euroscepticisme. Et c'est ce que le vote du 6 avril devrait démontrer, comme sans doute celui de mars 2017.
La malheureuse intervention de Jean-Claude Juncker
A gauche comme à droite, on critique fortement le caractère peu démocratique et bureaucratique de l'UE. Une critique qui a été alimentée par les interventions de la Commission européenne dans la campagne. Jean-Claude Juncker, le président de cette Commission, dont l'appel au « oui » en Grèce en juillet dernier avait été très mal ressenti par la population hellénique, n'a pas retenu la leçon. Il a menacé les électeurs néerlandais : un rejet du texte provoquerait une « crise continentale qui déstabiliserait l'Europe. » Alors que le gouvernement néerlandais tente de limiter la campagne au sujet ukrainien, ces déclarations ont en réalité servi le camp du rejet qui y a vu une preuve de la peur de la démocratie de la part des institutions de l'UE...
Un dilemme pour le gouvernement néerlandais en cas de rejet
Que se passera-t-il alors en cas de rejet de l'accord le 6 avril ? Officiellement, la ratification des Pays-Bas a été suspendue avec l'annonce du référendum. La loi du 28 juillet n'a donc pas force de loi. Or, sans ratification néerlandaise, l'accord ne peut entrer en vigueur entièrement. Si la Tweede Kammer décide de suivre l'avis des électeurs, la ratification de l'accord UE-Ukraine sera rejetée. Un rejet le 6 avril sera donc d'abord un casse-tête pour les partis politiques néerlandais favorables à l'accord. Ratifier l'accord malgré un rejet de la population sera une démarche fort difficile, surtout à un an des élections générales de mars 2017 et alors que les grands partis sont en recul notable. Les Travaillistes qu'on a vu à l'agonie politiquement ont déjà annoncé qu'ils suivront le résultat du vote populaire. Si Mark Rutte décide néanmoins de soutenir la ratification, il risque de devoir faire face à de rudes critiques.
Des conséquences concrètes réduites
Si la Tweede Kammer suit le peuple néerlandais et ne ratifie pas l'accord UE-Ukraine, celui-ci ne sera pas entièrement caduc. Les éléments relevant de la compétence exclusive de l'UE, parmi lesquels on trouve le commerce, et qui sont précisément en vigueur depuis le 1er janvier dernier de « façon temporaire » pourront rester en place. Seule une décision du Conseil européen peut suspendre ces éléments. Ce « temporaire » pourrait rester en vigueur longtemps et ainsi annuler de facto le vote néerlandais. Pour faire bonne figure, le gouvernement de La Haye pourrait négocier des clauses d'exclusions sur des sujets comme l'immigration ou le bien-être animal, avant de ratifier le texte. En bref, il n'y aura pas de « crise majeure » comme l'affirme Jean-Claude Juncker, même si, évidemment, la Russie y verra un succès et la preuve que l'appui de l'UE à l'Ukraine est très fragile. Mais il n'est pas certain que ce succès ait un impact géopolitique majeur.
Une défaite pour l'UE
En réalité, c'est bien l'UE qui sera le perdant d'un rejet de l'accord puisque les partisans de cette option auront axée leur campagne sur une critique du fonctionnement de l'union. Un nouveau « non » néerlandais le 6 avril pourrait apporter une nouvelle preuve de l'impopularité de l'Union européenne et des élites politiques en Europe, les deux étant souvent confondues dans le même rejet. Ce serait donc une poussée pour le mouvement eurosceptique dans le reste de l'UE et sans doute aussi au Royaume-Uni où les partisans du « Leave EU » pourraient bien utiliser ce vote néerlandais dans leur campagne pro-Brexit.
« guérilla électorale »
A terme, les Eurosceptiques néerlandais pourraient donc utiliser ce succès pour « perturber » la participation des Pays-Bas à l'Union européenne, en utilisant la nouvelle loi référendaire pour provoquer des votes sur l'ensemble des lois de ratification ou de mise en place des décisions prises au niveau européen. Une telle « guérilla électorale » n'est pas à exclure et elle pourrait fortement perturber le fonctionnement de l'Union européenne. Pour l'UE, une nouvelle défaite le 6 avril serait un nouveau coup de semonce pour l'inviter à changer radicalement. Mais le peut-elle ?