La propagande déversée par les médias hexagonaux lors du putsch fomenté par la France en 2010-2011 contre l'administration Gbagbo, se révèle, passées cinq années, plus grossière, vulgaire et mensongère qu'elle ne le fut en son temps.
À chaque étape du coup de force décidé par Nicolas Sarkozy, avaient correspondu un badigeonnage d'éléments de langage, une désinformation méthodique reprise par la quasi-totalité des médias hexagonaux, agrémentés d'un bâillonnement des voix discordantes. Il était apparu, avec une acuité renouvelée, que la France pays des droits de l'homme, songe pour le citoyen français demeurait un mensonge et un cauchemar éveillé pour les africains.
Le 10 avril 2011, veille de la capture par les troupes françaises du président élu Laurent Gbagbo, il était question, sur les ondes de RFI, de France Info, d'Europe1, sur les plateaux d'ITélé, de BFMTV, de TF1, de France 2, de Canal +, dans les colonnes du Monde, de Libération, du Figaro et l'ensemble des médias de désinformation de masse, d'armes lourdes utilisées contre des populations civiles démunies, de combats entre loyalistes ouattaristes et mercenaires pro-Gbagbo, de la destruction de blindés se trouvant dans l'enceinte de la résidence présidentielle. Une inepte compilation de contresens sémantiques qu'il convenait alors, et qu'il convient toujours, de désigner comme étant un chapelet de mensonges.
Cinq ans en arrière, jour pour jour, nous étions des milliers à manifester notre soutien à une Côte d'Ivoire libre, souveraine et débarrassée de l'emprise de la France dans les rues de Paris. Ce fut une marche pacifique, rassemblant ivoiriens et africains de la diaspora, que nul média hexagonal n'avait daigné utile de couvrir. Pendant que l'armée française, sous couvert d'une résolution factice de l'ONU, bombardait la résidence d'un chef d'état africain légalement élu et s'apprêtait à le mettre au arrêts, il n'était plus utile d'étouffer les voix discordantes. Celles-ci niées, n'existeraient ni dans le récit indigeste que des médias d'abrutissement de masse se chargeaient, alors, de faire ingurgiter à l'opinion publique, ni dans le récit historique subséquent.
En effet aujourd'hui qui, à part les participants à la marche ou les quelques badauds arpentant les rues de la capitale ce dimanche et ayant croisés ces citoyens en colère, a su que des milliers d'afro-français, d'africains résidant en France, de ressortissants des Dom-Tom, et quelques français dit de souche (détestable distinction dégoulinant d'un racisme qui n'est pas le nôtre) avaient manifesté pacifiquement, parfois en famille, ce dimanche 10 avril 2011 contre le retour de la barbarie coloniale à la française?
En ce bel après-midi, chaud et ensoleillé, épuisés par des mois d'un combat médiatique asymétrique se livrant pour certains sur internet, soucieux pour les autres de la sécurité de proches restés au pays, mais tous ulcérés et révoltés par l'ingérence de la France dirigée par un Nicolas Sarkozy plus arrogant et méprisable que jamais, nous nous étions fraternellement réunis afin de communier.
A travers cette marche, nous souhaitions nous encourager mutuellement, nous qui ici ne pouvions que très peu, et démontrer notre soutien indéfectible au peuple ivoirien, pris entre le marteau de la barbarie française et l'enclume de la traîtrise d'arrivistes indigènes à la solde de l'impérialisme.
Nous ne le savions pas encore à ce moment, mais la mal nommée "crise ivoirienne", ayant rassemblé de façon surprenante la diaspora en France et soudés les peuples africains au-delà des frontières imposées par la colonisation, était sur le point de changer de dimension.
D'un banal conflit électoral, devenu guerre civile attisée et téléguidée par la France, la bascule allait se faire vers un vaste mouvement de recolonisation qui s'étend aujourd'hui du Mali à la Centrafrique.
Ce 10 avril, les marcheurs ayant achevé leur périple parisien sur la place de la Nation, eurent comme récompense et réconfort d'être harangués par William Attéby, à l'époque député de Yopougon, qui leur transmit un message émanant du président Gbagbo lui-même. Il nous était demandé de poursuivre la mobilisation et de tenir bon pour ceux, notamment dans l'enceinte du palais présidentiel, subissant le feu des bombardements français. Ce message, ne disait rien de l'épuisement s'emparant des reclus de la résidence présidentielle et de la précarité de leur situation, mais il eu pour effet de nous galvaniser, et nous redonner l'allant nécessaire pour qui continuer à écrire, qui continuer à sensibiliser, qui continuer à prier pour des proches confrontés à la guerre.
Nous ne le savions pas à ce moment, mais dès le lendemain, le président Gbagbo serait remis aux rebelles par des militaires français et débuterait dans la foulée la curée contre les membres du FPI. Nous ne le savions pas à ce moment, mais nous venions de vivre les derniers instants d'un printemps ivoirien à Paris.
Nous ne le savions pas à ce moment, mais nous venions de vivre l'automne et l'hiver d'une mobilisation unique, d'un type jusqu'à lors jamais expérimenté par la diaspora africaine, ignorante de son potentiel de mobilisation et d'action.
Nous ne le savions pas à ce moment, mais venait de naître à la conscience politique toute une génération d'afro-français, enfin témoins oculaires de la réalité du prétendu « lien historique existant entre la France et ses ex-colonies ».
Le voile masquant la relation de soumission entre l'ancienne métropole et ses ex-colonies, déchiré le lendemain du 10 avril 2011 a été remplacé par les statues de marbre de l'hypocrisie et de la duperie constitutives de toute action française en Afrique.
Beaucoup se sont réveillés à cette occasion, d'autres dans un premier temps paralysés par la colère et submergés par la rage froide de l'impuissance, renforcés dans leurs convictions ont repris le chemin du combat, avec les armes qui étaient et demeurent les leurs.
Cinq ans ont passé et les plaies, loin d'avoir cicatrisé, nous rappellent le chemin parcouru et celui restant à parcourir.
Si Laurent Gbagbo est toujours retenu prisonnier à La Haye, tout a déjà été dit sur la parodie de justice que nous servent Fatou Bensouda et la CPI.
Argumenter en droit ou d'après la morale est une erreur dialectique, il n'est dans cette affaire, uniquement question que de rapports de force et de domination relevant de l'héritage colonial, de leur pérennisation par les structures organiques d'un ordre mondial à la botte de l'Occident.
Nous assistons tout simplement à l'application du statut de l'indigénat dans sa forme raffinée du 21ème siècle.
Si cinq années ont passé, nous souvenons des résolutions d'alors comme s'il s'agissait d'hier.
La lutte que nous avons alors décidé d'engager, loin d'être achevée, est plus que jamais d'actualité.
Et parce que nous nous en souvenons comme s'il s'agissait d'hier, nous nous devons de la poursuivre...
Ahouansou Séyivé
http://alternativesetcoherence.blogspot.fr/2016/04/le-10-avril-2011-en-marche-vers-la.html