En octobre 1941 eurent lieu les premières exécutions massives d’otages par les Allemands. L’importance d’un événement se mesure à sa portée, et celle-ci fut considérable à plusieurs titres, répressif, psychologique et politique
Un tournant répressif
Ces exécutions concrétisèrent une dynamique meurtrière enclenchée par l’Allemagne à la suite de l’invasion de l’URSS à partir du 22 juin 1941. L’ennemi principal (fantasmé) est partout le judéobolchevisme. Une conviction au fondement de l’idéologie nazie dont les effets meurtriers – et vite génocidaires dans les territoires soviétiques conquis – se firent sentir dans les territoires occupés y compris à l’ouest où, jusqu’alors, les Allemands s’étaient efforcés de paraitre « corrects ».
En France occupée, de juin 1940 à l’été 1941, il y eut 50 fusillés après condamnations à mort, et aucun otage ne fut exécuté. La politique des otages visait en priorité des notables qui étaient libérés sans dommages. Les punitions collectives, amendes, couvre-feu, étaient privilégiées pour sanctionner les manifestations d’hostilité aux forces d’occupation. Au total, une répression « légale » relativement modérée alors que la Résistance était encore balbutiante et que le pays était assommé par la défaite, et encore massivement confiant en Pétain….
Durant l’été 1941, tout change. Le 14 août 1941, le général Otto Von Stülpnagel, à la tête du Militärbefelshaber in Frankreich (MBF), décréta que toute activité communiste était désormais passible de la peine de mort.
Le 19 août, Samuel Tyszelman et Henri Gautherot, arrêtés à Paris lors d’une manifestation le 13 août, condamnés à mort le 18 août, furent exécutés à la Vallée aux Loups de Châtenay-Malabry. Le 21, Pierre Georges - le futur Colonel Fabien - qui venait d’abattre l’aspirant de marine Moser à la station de métro Barbès-Rochechouart, déclara à ses amis : « Titi est vengé. ». C’était le premier attentat meurtrier contre les troupes allemandes.
D’autres suivirent rapidement.
Aussitôt le commandant du Gross Paris annonça « qu’à partir du 23 août, tous les Français mis en état d’arrestation, que ce soit par les autorités allemandes en France, ou qui sont arrêtés par les Français pour les Allemands sont considérées comme otages. En cas de nouvel acte, un nombre d’otages correspondant à la gravité de l’acte commis, sera fusillé […] Pour le choix des personnes dont l’exécution est proposée, il y a lieu de veiller qu’elles appartiennent (sic), autant que possible, à l’entourage des auteurs identifiés ou présumés des attentats. »
Von Falkenhausen prit des dispositions similaires pour le Nord-Pas-de-Calais, zone rattachée au Militärbefehlshaber in Bruxelles (MBB) de Bruxelles, dans laquelle des attentats se produisirent dans la nuit du 24 au 25 août. Le 6 septembre, trois otages tombèrent sous les balles au Mont-Valérien, cinq à Lille le 15 septembre, puis vingt le 26 septembre. La répression montait en puissance, ce qu’allait tragiquement illustrer les exécutions massives d’octobre 1941.
Celles-ci furent préparées par les décisions prises au plus haut niveau du pouvoir nazi en septembre. Le 16 septembre 1941, ce qu’il est convenu d’appeler le décret Keitel (Feldmaréchal, chef de l’Oberkommando der Wehrmacht, OKW) relaya les directives de Hitler à tous les responsables des régions occupées : « dans tous les cas de révolte contre les forces d’occupation allemandes, il y a lieu, quelques puissent être les conditions particulières, de conclure à des origines communistes […] dans de tels cas, on peut généralement considérer la peine de mort pour 50 à 100 communistes comme le châtiment convenable pour la mort d’un soldat allemand. L’effet de terreur doit être accru par la méthode d’exécution ». Cette directive fut déclinée en France le 28 septembre 1941 par la promulgation du Code des otages du MBF placé sous l’autorité de Otto Von Stülpnagel : faute de pouvoir arrêter les coupables, l’occupant décida de représailles massives en priorité contre les communistes et les juifs déjà incarcérés, innocents des faits, mais « idéologiquement coupables ». Il énuméra ainsi les catégories parmi lesquelles il convenait de choisir les victimes :
a) les anciens élus des organisations communistes et anarchistes, ainsi que les permanents ;
b) les personnes qui se sont adonnées à la diffusion de l’idéologie communiste par la parole ou par les actes, par exemple par la rédaction de tracts (intellectuels) ;
c) les personnes qui ont montré par leur comportement qu’elles étaient particulièrement dangereuses (par exemple, agresseurs de membres de la Wehrmacht, saboteurs, receleurs d’armes) ;
d) les personnes arrêtées pour distribution de tracts ;
e) les personnes arrêtées récemment à la suite d’actes de terreur ou de sabotage en raison de leurs relations avec l’entourage des auteurs supposés desdits actes. »
La mise en œuvre de cette politique ne tarda pas, en riposte aux attentats de Nantes et de Bordeaux. Le 22 octobre, 48 otages furent exécutés en Loire-Atlantique, à Châteaubriant (27 otages du camp d’internement français de Choiseul) et à Nantes (16 des prisons de Nantes au champ de tir du Bêle) ainsi qu’au Mont-Valérien (5 otages du Fort de Romainville) en représailles à l’exécution du Feldkommandant Fritz Hotz à Nantes le 20 octobre par un commando composé de Gilbert Brustlein et Guisco Spartaco, de l’Organisation spéciale de combat (OS) du Parti communiste français (PCF) clandestin. Le 24 octobre, 50 otages dont 35 détenus au camp de Mérignac et 15 au fort du Hâ, furent exécutés au camp de Souge (Gironde) en représailles à l’exécution le 21 octobre 1941, d’un officier allemand, conseiller d’administration militaire (Kriegsverwaltungsrat) Hans Reimers, abattu à Bordeaux par un militant communiste, membre de l’Organisation Spéciale (OS), Pierre Rebière.
Le 15 décembre 1941, le bilan fut particulièrement tragique puisque 95 otages tombèrent sous les balles des pelotons, 69 au Mont-Valérien, 13 à Caen, 9 à Châteaubriant et 4 à Fontevrault. Deux députés communistes, Gabriel Peri et Lucien Sampaix figuraient parmi les victimes. 52 étaient d’origine juive.
Au total, sur les 243 otages qui tombèrent de septembre à décembre 1941, on recense 154 communistes non juifs, 56 juifs dont une majorité de communistes, 17 considérés comme gaullistes, 4 reconnus coupables de violences contre des soldats, 5 pour détention illégale d’armes. Ces statistiques sont fondées sur le dépouillement des archives de Vichy (ministère de l’Intérieur et Délégation Générale dans les Territoires Occupés sous la responsabilité de de Brinon) d’une part, et des autorités d’Occupation (MBF et MBB) d’autre part.
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