Quand les usines ferment, les magasins ferment. C’est une évidence. Nous perdons des emplois, de la croissance et du savoir-faire.
Pendant 70 ans, entre l’année 1931 et 2001, la ville d’Hellocourt a vécu au rythme des chaussures Bata. À tel point qu’on la surnomma « Bataville ». Chaque jour, des milliers d’ouvriers se pressaient devant les grilles de l’usine, fiers de fabriquer des chaussures de qualité, vendues à bon prix, qui s’exportaient dans le monde entier. Les manifestations ont duré six mois pour empêcher que Bata ne s’en aille. Rien n’y a fait : la Cité a dû fermer ses portes face à la concurrence asiatique. Quand Thomas Bata, entrepreneur tchèque inspiré par le fordisme, a fondé Bataville sur le domaine d’Hellocourt, il a construit une utopie entrepreneuriale en Moselle : une ville-usine isolée et autosuffisante, composée d’un centre de production à la pointe du progrès, d’une cité ouvrière tout confort et de salariés dévoués pour la cause.
La fermeture de Bataville s’est inscrite dans le processus de désindustrialisation de la Lorraine que je déplore. Quatorze ans plus tard, le constat est amer. Hellocourt ne s’est pas relevée de la fermeture. Le village de Moussey, où se situe une partie du domaine d’Hellocourt, a perdu deux cents habitants, son voisin de Réchicourt-le-Château à peu près autant. Des maisons sont toujours inoccupées. Dans l’usine, des bâtiments entiers sont restés inchangés, déployant leurs lourdes silhouettes fantomatiques. Témoin d’une époque qui refuse toujours de s’effacer pour faire place à un nouveau projet, la grosse horloge de l’usine affiche toujours 13 h 42…
En proie à une baisse continuelle de son chiffre d’affaires, Bata a fermé 60 de ses 200 magasins en 2008. En dépit de ce plan social, les dettes ont continué à s’accumuler.
En février 2015, peu après le dépôt de bilan, la société ABC Chaussures obtenait une licence d’exploitation de la marque. Moins d’un an plus tard, ABC Chaussures était placée en redressement judiciaire… Finalement, le tribunal de commerce de Nanterre décidait de la reprise de 47 des 72 magasins de Bata, et 206 des 355 salariés du groupe par un consortium de sept groupes (Courir, Etam…). L’enseigne Bata n’est plus !
Idem pour la marque André, à vendre. Un scénario proche de celui connu par Bata est présentement à l’étude. Les points de vente, appartenant au groupe Vivarte, pourraient être cédés sans reprise de la marque. De nombreuses suppressions de postes sont d’ailleurs à prévoir chez Vivarte, qui emploie au total 16.000 personnes. Lundi, lors d’un comité de groupe, la direction a déclaré envisager deux nouveaux plans sociaux, chez Vivarte Services et à La Halle aux chaussures.
Quand les usines ferment, les magasins ferment. C’est une évidence. Nous perdons des emplois, de la croissance et du savoir-faire. Avec près de 44 millions d’euros de subventions publiques (dont 16 millions au titre du CICE) en 2016 pour le groupe Vivarte, les suppressions de postes passent d’autant plus mal. L’argent public sert, une fois de plus, aux grands groupes pour supprimer des emplois et fermer des sites de production en France.
Seul un protectionnisme intelligent (à l’image des États-Unis ou du Japon) nous permettra de lutter contre la concurrence déloyale de nombreux pays, et la réorientation des subventions publiques vers les PME, TPE et petits artisans, couplée à une simplification administrative, se révèle nécessaire afin de réduire le poids des charges et des contraintes qui pèsent sur ceux qui croient en leur métier et veulent produire et maintenir l’emploi local. Voilà les seules solutions viables pour relancer l’industrie française et renouer avec notre prospérité économique.
"canempechepasnicolas" :
'Boulevard Voltaire' fait ainsi le procès de la "concurrence libre et non faussée", la loi fondamentale de l'Union européenne avec sa "libre circulation des capitaux, des hommes et des marchandises".
La désindustrialisation de la France en est le résultat.
Le capital produit là où son taux de rentabilité est le plus haut. Cela conduit donc à la délocalisation des entreprises en terre étrangère où le prix de la main d'oeuvre est la plus basse avec, en corollaire, la désertification de nos provinces.
La Lorraine en est le triste exemple.
La production en France, non seulement permettrait de réduire le chômage, mais serait favorable à notre économie. L'argument selon lequel une hausse des prix en découlerait pour les consommateurs ne peut pas être retenu. En effet, les nouveaux salariés par leurs cotisations sociales, par leurs impôts participeraient à l'équilibre retrouvé de la Sécurité sociale et du budget national. De plus, il faudrait positivement prendre en compte la réduction des allocation diverses, chômage, revenu minimum, logements etc...qui ne seraient plus versées aux intéressés. De nombreux milliards rentreraient ainsi dans les caisses de l'Etat et des communautés territoriales. Seuls seraient réduits les profits des multinationales, mais qui s'en plaindrait ?
Mais cette politique est interdite par l'Union européenne, crée justement par ces multinationales aux fins d'enrichir toujours plus celles-ci.
Il faut donc être clair : réindustrialiser la France n'est pas compatible avec le maintien de notre pays dans l'Union, car sans souveraineté retrouvée, il ne peut y avoir de politique indépendante, donc de politique industrielle propre.
Et la France toute entière risque à court terme à ressembler de cette usine lorraine désaffectée...