Blog de Jacques Sapir sur la Russie et l'Europe
Emmanuel Macron a été élu avec une large majorité des votes exprimés le 7 mai, soit pratiquement 66,1% des « votants ». Il atteint un score impressionnant en pourcentage, mais qui est aussi un score en trompe l’œil. Cela a été dit dans de nombreux commentaires. Maintenant que les chiffres définitifs du 2ème tour de l’élection présidentielle sont disponibles, il convient de tirer un bilan plus précis de ce qui est survenu. Il est aussi temps de penser à l’avenir. Après les émotions, feintes ou réelles, de l’élection présidentielle, est venu le temps du jour d’après.
Les résultats du 2ème tour
Venant après le coup de tonnerre du 1er tour qui vit la politique française passer du bipartisme, voire du tripartisme au quadripartisme, le 2ème tour révèle aussi son lot de surprises. Il convient d’analyser plus précisément la répartition de ce vote. L’importance du nombre des abstentions et des votes « blancs ou nuls » ramène en effet son score à 43% des inscrits. Par ailleurs on notera l’importance des abstentions et des bulletins blancs qui, combinés, représentent près de 31,8% des inscrits.
TABLEAU 1
En pourcentage des inscrits
E. Macron | 43,63 % | |
M. Le Pen | 22,38 % | |
Abstentions | 25,44 % | |
Blancs | 6,35 % | |
Nuls | 2,21 % | |
Une première constatation s’impose : le score d’Emmanuel Macron n’est nullement impressionnant. On est à mille lieu du « ras de marée » que décrit la presse. Par contre, le fait qu’il enregistre presque deux fois plus de votants que son adversaire doit être souligné. Ce niveau est donc à mettre en parallèle avec celui obtenu en 2002 par Jacques Chirac dans une élection présidentielle où, déjà, un candidat de Front National était au 2ème tour. Jacques Chirac, il faut le rappeler, était président sortant. Il se représentait à la suite du septennat qu’il avait effectué à la suite de l’élection présidentielle de 1995. Il avait d’ailleurs réalisé un fort mauvais score lors du premier tour de l’élection de 2002. Il était, en théorie, assez mal placé pour réaliser un score écrasant lors du second tour de l’élection, même si les ralliements de toute part avaient afflués.
Dans ce cas de figure très particulier, Jacques Chirac avait néanmoins obtenu les suffrages de 62% des inscrits. Un écart de 19 points s’est donc creusé en 15 ans, entre l’élection de Jacques Chirac et celle d’Emmanuel Macron. Cet écart est hautement significatif. Il montre qu’il y a eu plus un vote par défaut, les sondages, apprendre avec précaution, indiquent que seuls 41% des personnes ayant choisi le vote Macron approuvent son programme. Un sondage de Louis Harris le confirme. Ce sondage porte sur les électeurs ayant voté soit pour Emmanuel Macron, soit pour Marine le Pen.
TABLEAU 2
Degré d’approbation du programme de chaque candidat
Adhérent au projet | N’adhérent au projet | |
Macron | 41 % | 59 % |
Le Pen | 60 % | 40 % |
En proportion des inscrits | ||
Macron | 17,9 % | 25,7 % |
Le Pen | 13,4 % | 9,0 % |
Source : Harris Interactive
Si on compare cela aux résultats de l’élection de 2012, ou François Hollande avait réuni sur son nom au 2ème tour près de 42,5% des inscrits, et 55% de ses électeurs se disaient persuadés (plus ou moins) par son programme. Ainsi, c’étaient 23,3% des inscrits que l’on pouvait dire « adhérent au projet » de François Hollande, à comparer aux 17,9% d’Emmanuel Macron. Cela n’avait pas empêché François Hollande d’être l’un des pires Président de l’Histoire depuis 1873.
Ceci conduit donc à relativiser non pas tant le victoire elle-même d’Emmanuel Macron, qui est indiscutable, que la portée et la signification de cette victoire.
La stratégie électorale d’Emmanuel Macron
Les fractures du 1er tour pour l’instant perdurent. Et elles pèseront lourd dans les élections législatives à venir. On peut d’ores et déjà discerner la stratégie d’Emmanuel Macron sur ce point : il va tenter de briser Les Républicains, tout en finissant d’assécher le P « S ». Mais, cela risque de se révéler contradictoire. Chaque pas qu’il fera en direction des « Républicains » fera monter les antagonismes à sa gauche. Or, l’acte de décès du P « S » étant de fait acté avec le ralliement maintenant ouvert de ténors à la recherche de voix comme Manuel Valls, il devient possible à Jean-Luc Mélenchon de rallier une bonne partie des électeurs qui s’étaient portés sur Benoît Hamon au 1er tour.
En tout état de cause, il n’est pas dit que la stratégie électorale d’Emmanuel Macron fonctionne. On pourrait ainsi retrouver aux législatives une France segmentée en quatre, mais avec un pôle à gauche plus fort que ce qu’il était au 1er tour. Et, si cette stratégie fonctionne néanmoins, elle risque fort de prendre l’apparence d’une énorme tambouille électorale qui provoquera un haut le cœur chez une majorité des électeurs. En ce cas, on aurait une tripartition de la vie politique française, mais l’éclatement de la droite traditionnelle ne se ferait pas sans conséquences, et pourrait renforcer le parti qui sera issu du Front National.
Tel est bien le dilemme dans lequel se trouve Emmanuel Macron : il doit en faire assez pour provoquer l’éclatement de la droite traditionnelle, mais au risque de provoquer et le passage de ce qui reste d’électorat de gauche au P « S » vers Jean-Luc Mélenchon, et de provoquer le passage d’une partie de l’électorat de droite vers Marine le Pen.
Cette dernière indique qu’elle souhaite faire évoluer le Front National. Si cette évolution devait se limiter à un changement de nom, l’effet qu’elle peut en attendre sera des plus limité. Elle a payé au prix fort les voltefaces de la fin de la campagne et un débat exécrable. En fait, lancée sur une dynamique clairement ascendante au sortir du 1er tour, ou les intentions de votes la mettaient à 38%, elle avait atteint en quelques jours les 42%. De ce niveau, elle est retombée à 34% au soir du 2ème tour. On peut estimer qu’elle a perdu au moins 2,5 millions de votes du fait de ses tergiversations et ses palinodies sur des sujets de la plus haute importance comme la question de la sortie de l’Euro ou la question de l’âge de départ à la retraite. Il reste à savoir si l’électorat gardera en mémoire la fort mauvaise image qu’elle a donnée dans la dernière semaine de la campagne. Si tel devait en être le cas, la capacité à attirer des électeurs des Républicains pour les élections législatives en serait altérée.
Jean-Luc Mélenchon, quant à lui, n’a pas à rougir de sa campagne pour le 1ertour, où il s’est battu comme un beau diable face à une presse extrêmement hostile, n’hésitant pas à dénaturer et caricaturer ses positions. Son attitude pour le second tour, en dépit de pressions honteuses, a été un succès. Mais, les divergences qui existent aujourd’hui entre la France Insoumise et l’appareil du PCF, les accords et les petits arrangements de dernière heure, vont malheureusement peser non pas tant sur la campagne mais sur les résultats.
L’enjeu des législatives
On voit bien désormais que le principal enjeu des législatives qui viennent sera de savoir si le parti d’Emmanuel Macron, dont la stratégie est aujourd’hui en passe de se clarifier, atteindra la majorité absolue des députés, voire pourrait atteindre cette même majorité au prix d’une alliance avec ce qui survivrait du P « S ».
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