Rapport spécial : un scientifique du MIT, ancien de la sécurité nationale, affirme que le New York Times a fait une analyse « frauduleuse » de l’affaire du sarin qui s’est déroulée en avril dernier en Syrie. Ce qui fait partie d’une tendance inquiétante à la « pensée de groupe » et au « biais de confirmation », selon Robert Parry.
Pour les journalistes mainstream et les analystes du gouvernement des États-Unis, leurs « pensées de groupe » erronées ont souvent un complice louche appelé « biais de confirmation », ce qui est, quand on s’attend à ce que tel « ennemi » soit coupable, la tendance à déformer tous les faits dans ce sens.
Nous avons vu les médias américains et le gouvernement produire de plus en plus de raisonnements fallacieux dans les années récentes, en abordant les conflits internationaux comme si le bord « pro-U.S. » était forcément innocent et le bord « anti-U.S. », présumé coupable.
Cela a été le cas pour jauger si l’Irak cachait ou non des ADM en 2002-2003 ; cela s’est répété pour les attaques présumées aux armes chimiques en Syrie pendant ces six années de conflit ; et cela est remonté également à la surface pour la Nouvelle guerre froide dans laquelle les Russes sont toujours les méchants.
Cette tendance exige également de couvrir d’insultes tout journaliste ou analyste occidental qui s’écarte de la pensée de groupe ou questionne un éventuel biais de confirmation. Les dissidents sont traités de « laquais » ; « d’apologistes » ; de « théoriciens de la conspiration » ; ou de « pourvoyeurs de fausses nouvelles ». Peu importe que les doutes soient raisonnables : les insultes moqueuses l’emportent.
En outre, dans les cas rares où les médias traditionnels et les propagandistes du gouvernement doivent admettre qu’ils se sont visiblement trompés, ils n’ont quasiment aucune obligation de rendre des comptes. Pour quelques aveux sur les ADM en Irak – qui n’ont entraîné pratiquement aucune punition pour les « penseurs en groupe », il y a des dizaines de cas où les Big boys se barricadent, n’admettent rien et comptent sur leur statut privilégié pour les protéger.
Peu importe même que les sceptiques soient hautement qualifiés ou que les erreurs des analyses mainstream soient patentes. Ainsi, vous avez même des experts en armes, tels que Theodore Postol, professeur en sciences, technologie et politique de sécurité nationale au Massachusetts Institute of Technology, dont les avis sont ignorés lorsqu’ils entrent en conflit avec les croyances conventionnelles.
Le cas syrien
Par exemple, dans un rapport peu remarqué du 29 mai 2017 sur l’affaire des armes chimiques qui s’est produite le 4 avril 2017 à Khan Sheikhoun dans le nord de la Syrie, Postol démolit la conclusion « condamnons-le-gouvernement-syrien « du New York Times, d’Human Rights Watch et du site Internet préféré de l’Establishment, Bellingcat.
La faiblesse de base des analyses du NYT et de Bellingcat était de recourir aux réseaux sociaux de la zone de la province d’Idlib, contrôlée par al-Qaïda et donc de dépendre pour ce qui est des « preuves » des djihadistes et de leurs collaborateurs de la « défense civile », appelés Casques blancs.
Les djihadistes et leurs équipes médiatiques sont maintenant capables de produire des vidéos de propagande très sophistiquées, qui sont distribuées par les réseaux sociaux et reprises avec crédulité par les principaux médias occidentaux. (Un publireportage Netflix sur les Casques blancs a même remporté un prix de l’Académie au début de l’année).
Postol met l’accent sur l’utilisation dans le reportage du Times d’une vidéo prise par le photographe anti-gouvernemental Mohamad Salom Alabd, qui prétend montrer trois frappes par bombes conventionnelles à Khan Sheikhoun tôt dans la matinée du 4 avril.
Le reportage du Times a extrapolé à partir de cette vidéo l’emplacement des trois frappes, et a ensuite cru sur parole qu’une quatrième bombe – absente de la vidéo – contenait une charge de sarin qui a frappé une route et libéré du gaz, qui s’est alors répandu à l’ouest dans une zone fortement peuplée et aurait fait des dizaines de victimes.
L’épisode a conduit le président Trump, le 6 avril, à ordonner une frappe de représailles majeure avec 59 missiles Tomahawk attaquant une base aérienne syrienne. D’après les rapports des médias syriens, plusieurs soldats ont été tués sur la base, ainsi que neuf civils, dont quatre enfants, dans les quartiers voisins. L’attaque risquait de tuer aussi des Russes stationnés sur la base.
Un problème de vent
Mais l’analyse vidéo du Times – mise en ligne le 26 avril – pose de graves problèmes au niveau scientifique, a déclaré Postol, car elle montre notamment le vent poussant la fumée des trois bombes vers l’est alors que les rapports météorologiques du jour – et donc la direction présumée du gaz sarin – indiquent un vent allant vers l’ouest.
En effet, si le vent soufflait vers l’est – et si l’endroit supposé de la libération du sarin est correct – le vent aurait porté le sarin loin de la région peuplée voisine et aurait vraisemblablement causé peu ou pas de victimes, d’après Postol.
Postol a également souligné que l’emplacement indiqué par le Times pour les trois frappes ne correspondait pas aux dommages que le Times a prétendu avoir détectés à partir de photos-satellites des endroits où les bombes auraient explosé. Plutôt que de montrer des immeubles rasés par des bombes puissantes, il n’y avait sur les photos que peu ou pas de dégâts apparents.
Le Times s’est également appuyé sur des photos-satellites avant et après, avec un écart de 44 jours entre les premières, datant du 21 février 2017 et les secondes, datées du 6 avril 2017, de sorte que tout dommage éventuel pourrait n’avoir aucun lien avec ce qui aurait pu se produire le 4 avril.
Le trou dans la route où a été retrouvé le conteneur de « sarin » écrasé ne pouvait pas non plus être attribué à un bombardement le 4 avril. Les djihadistes d’Al Qaïda auraient pu creuser le trou la nuit précédente dans le cadre d’une provocation mise en scène. D’autres images d’activistes qui s’agitent dans le trou prétendument saturé de sarin sans équipement de protection minimal auraient également du soulever des doutes, avait indiqué Postol dans des rapports antérieurs.
Il y a aussi la question du motif. L’affaire du 4 avril a immédiatement suivi l’annonce par l’administration Trump qu’elle ne recherchait plus de « changement de régime » en Syrie, donnant aux jihadistes et à leurs alliés régionaux un mobile pour créer une séquence d’utilisation d’armes chimiques afin d’inverser la nouvelle position des États-Unis. En revanche, le gouvernement syrien ne semblait avoir aucune raison logique de vouloir scandaliser les États-Unis.
En d’autres termes, al Qaïda et ses propagandistes auraient pu publier les vidéos d’un bombardement antérieur et les utiliser pour fournir la « preuve » d’une attaque aérienne tôt le matin qui correspondrait à la libération progressive de sarin ou d’un gaz toxique similaire le 4 avril. Quoi que cela ne soit qu’une alternative possible, il est certain qu’al Qaïda ne s’est jamais beaucoup inquiété de la vie des civils.
Les critiques des Casques blancs ont identifié le photographe de l’attaque aérienne, Mohamad Salom Alabd, comme étant un djihadiste qui se trouve avoir revendiqué le meurtre d’un officier militaire syrien. Mais le Times l’a décrit dans un article complémentaire au reportage vidéo seulement comme « un journaliste ou un activiste ayant vécu dans la ville ».
Moqueries contre le rapport russo-syrien
Pour leur part, les gouvernements syrien et russe ont déclaré que les avions syriens n’avaient effectué aucune attaque aérienne tôt le matin, mais qu’ils avaient attaqué la zone vers midi. Ils ont supposé que l’attaque de midi pouvait avoir frappé des armes chimiques stockées par les djihadistes, provoquant la libération accidentelle de gaz toxiques.
Le Times s’est précipité sur le décalage entre les rapports d’une attaque matinale et le récit syrio-russe d’une frappe à midi pour montrer que les Syriens et les Russes mentaient.
En réponse au président syrien Bachar al-Assad demandant : « Comment pouvez-vous vérifier la vidéo ? » le récit de Malachy Browne dans le Times affirme avec arrogance : « Eh bien, voici comment. Examinons les vidéos, les photos satellites et les documents open source de ce jour. Ils montrent que Assad et la Russie racontent une histoire qui contredit les faits ».
Pourtant, l’argument du Times disant que les Syriens et les Russes mentent sur l’horaire n’a aucun sens, puisqu’ils ne nient pas la réalité d’une attaque aérienne. Ils l’ont reconnue, mais plus tard dans la journée, et ils supposent que cette attaque pourrait avoir accidentellement dégagé des produits chimiques stockés par le Front Al Nosra d’al-Qaïda. En d’autres termes, ils n’avaient rien à gagner en situant l’heure de leur bombardement à midi plutôt que tôt le matin.
Il aurait pu y avoir une confusion sincère de la part des Syriens et des Russes alors qu’ils essayaient de comprendre ce qui s’était passé et comment. Ou bien, la frappe aérienne de midi et l’attaque chimique du matin pourraient n’avoir aucun lien, c’est-à-dire que les djihadistes et/ou leurs alliés étrangers pourraient avoir organisé « l’attaque » matinale au gaz, et le bombardement syrien aurait pu suivre plusieurs heures plus tard, mais sans lien avec l’attaque chimique.
Quoi qu’il en soit, le fait que le Times et d’autres puissent se jeter sur un écart de temps apparemment sans signification, montre en tout cas comment le « biais de confirmation » fonctionne. « L’ennemi » doit être déclaré coupable...
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