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Exfiltration de djihadistes à Raqqa :

l'accord arrangeait tout le monde...

sauf la France !

Mme Florence Parly et M. Jean-Yves Le Drian mangent diplomatiquement et publiquement leur chapeau. 

Pourtant la France ne met pas son veto en Conseil de Sécurité le 16 novembre pour "mettre le holà" aux menées secrètes de l'armée américaine en Syrie.

Oui, des djihadistes étrangers ont pu fuir Raqqa en toute sécurité.

Un accord tout sauf surprenant, explique le journaliste Wassim Nasr.

par Thimothée Vilars

Le sujet est sensible. Le 14 octobre au soir, trois jours avant l'annonce officielle de la chute de Raqqa, ex-« capitale » du groupe Etat islamique, un vaste convoi quittait la ville. Près de 200 véhicules, bus, camions, voitures, tous escortés par des forces kurdes : le résultat d'un accord d'exfiltration négocié avec le Conseil civil de Raqqa, visant à priver de boucliers humains les derniers combattants de Daech et à stopper le bain de sang (au moins 1200 morts civiles en quatre mois, selon l'ONG OSDH).

Qui faisait partie du convoi ? Plus de 3000 « civils », assurait un porte-parole des FDS – la coalition à majorité kurde qui assiégeait la cité syrienne avec le soutien de la France et des Etats-Unis.

Ne restaient plus alors dans la ville que « 250 à 300 terroristes étrangers ». Les « 275 » djihadistes syriens avaient été autorisés à partir : en revanche, aucun des combattants étrangers, par nature « impardonnables », n'avait quitté la ville, martelait le conseil de Raqqa.

« La dernière chose que nous voulons, c'est que les combattants étrangers soient libérés afin qu'ils puissent retourner dans leur pays d'origine et causer plus de terreur », renchérissait le porte-parole américain de la coalition internationale. « Si des djihadistes périssent dans ces combats, je dirais que c'est tant mieux », déclarait même la ministre française des Armées, Florence Parly, brisant un tabou [1].

Grâce aux révélations de plusieurs médias, dont France 24 et la BBC, dans une retentissante enquête intitulée « le Sale Secret de Raqqa » [2], on sait aujourd'hui que c'était un mensonge : parmi les près de 300 djihadistes exfiltrés avec leurs armes et leurs familles, figuraient des dizaines de combattants étrangers et même des Français. L'armée américaine a reconnu cette « possibilité ». Le colonel Patrik Steiger, porte-parole de l'armée française, a déclaré ce jeudi que la coalition s'était initialement opposée à un tel accord [3]. En vain.

Nous avons contacté Wassim Nasr, journaliste à France 24, spécialiste des réseaux djihadistes et auteur de « Etat islamique, le fait accompli » (Plon, 2016), pour nous aider à y voir plus clair.

L'enquête de la BBC, lundi, a remis en lumière l'accord d'exfiltration conclu avec les forces de Daech à Raqqa. Comment a été signé cet accord ?

W. N. : Dès le 10 octobre, alors qu'il ne restait que quelques quartiers à reprendre autour du stade de Raqqa, nous sont parvenues des rumeurs d'accord entre les FDS, le commandement de l'EI et les notables sunnites locaux, qui jouaient le rôle d'intermédiaires.

La seule inconnue était l'inclusion ou non des combattants étrangers.

 

 

« #Syrie com US, les jihadistes étrangers #EI sont bien exclus de l'accord entre clans/kurdes qui prévoit des départs imminents de #Raqqa »

https://twitter.com/SimNasr/status/919193403572785154/photo/1

 

 

--Wassim Nasr (@SimNasr) 14 octobre 2017

Le 15 octobre, nous avons eu la confirmation que tout le monde avait été compris dans le deal. La coalition internationale était au départ hostile à cet accord. De nombreuses rencontres se sont tenues entre des intermédiaires sunnites et des officiers américains. Nous avons obtenu la copie d'une lettre des chefs tribaux locaux, qui implore le commandement américain de laisser sortir les derniers civils utilisés comme boucliers humains.

Quelle était la part d'étrangers parmi les derniers combattants de Daech ?

W. N. : Les étrangers – pas nécessairement occidentaux : d'Afrique du Nord, d'Asie centrale, etc. – étaient en minorité, mais majoritaires parmi les postes de commandement. C'est pour cela qu'il était impensable que les négociations excluent les combattants étrangers. Les Américains ont tenté d'opérer une scission entre les djihadistes locaux et étrangers, mais sans succès.

La France a tenté de s'opposer à l'accord d'exfiltration, en vain...

W. N. : La France n'a pas pesé bien lourd dans ces discussions. C'est d'ailleurs comme cela qu'il faut comprendre l'agacement de Florence Parly, le 15 octobre. Une semaine plus tard, Jean-Yves Le Drian lui-même confirmait nos informations sur cet accord [4], dans lequel Paris n'a pas eu son mot à dire. Certes la France risquait de perdre la trace d'individus qu'elle suivait, mais il faut comprendre que cet accord était le fruit d'une négociation tactique, dans laquelle chaque partie trouvait son intérêt. Personne n'est à la place des combattants kurdes sur le terrain. Après quatre mois de bataille, ceux-ci étaient sûrement pressés d'en finir.

Quel intérêt y a finalement trouvé l'armée américaine ?

W. N. : Il faut rappeler que l'accord de Raqqa n'est pas une première. Plusieurs deals semblables ont déjà eu lieu ailleurs avec les djihadistes : à Manbij avec les Kurdes, à Al-Bab avec les Turcs, au Qalamoun avec le Hezbollah... Après la bataille de Falloujah en Irak [fin juin 2016, NDLR], l'accord n'avait pas été respecté et l'armée irakienne avait bombardé le convoi, avec femmes et enfants. Résultat, la bataille de Mossoul a duré neuf mois [octobre 2016-juillet 2017, NDLR], avec un carnage de civils à la clé. A Raqqa, la coalition s'épargne un coût humain et financier énorme.

Les Américains, qui soutiennent les forces kurdes, ont tout intérêt à ce que celles-ci gagnent la sympathie des populations locales, et à ne pas bloquer les accords conclus sur le terrain. Ils ont en effet échoué là où, au sud du pays, Bachar al-Assad est en train de réussir : rallier des milices sunnites antidjihadistes.

Symboliquement, enfin, il était important de pouvoir annoncer une reprise rapide de Raqqa, qui a été l'épicentre de l'Etat islamique pendant trois ans. Terré dans ses derniers quartiers, l'EI aurait encore pu tenir des mois. Dans le désert, c'est une autre histoire.

La phrase d'un djihadiste français exfiltré de Raqqa et interrogé par la BBC à Idlib a fait beaucoup de bruit : « Des membres français de notre groupe sont partis pour la France afin de mener des attaques »...

W. N. : C'est la chute du reportage de la BBC, mais ce n'est qu'une phrase, pas du tout étayée par des éléments d'enquête. Ce djihadiste n'est plus dans les rangs de l'EI, et même s'il l'était encore, il n'aurait pas autant d'informations sur une opération en cours. Par ailleurs, il a probablement intérêt à mettre ainsi la pression sur l'opinion occidentale.

On ne peut rien exclure, y compris des actions menées hors de Syrie, mais j'ai du mal à y croire. Matériellement parlant, on n'est plus dans la configuration qui prévalait entre 2013 et 2015, où les frontières étaient poreuses, où il y avait un flux important de réfugiés dans lequel les djihadistes pouvaient passer : la frontière turque est aujourd'hui quasi hermétique, et la pression militaire est telle qu'il est presque impossible de quitter cette zone.

 


[1- Lien vers l'article de L'Obs du 16 octobre 2017 " Si certains djihadistes périssent, tant mieux " : " Florence Parly brise un tabou "

[2- Lien vers l'article de BBC News Raqqa’s dirty secret

[3- Lien vers le communiqué de l'Reuters French military says coalition opposed IS withdrawal from Raqqa et vers l'article de L'Obs du 15 novembre 2017 Syrie : des soldats de Daech auraient quitté Raqqa grâce à un accord secret

[4- Lien vers l'article du Journal du dimanche Jean-Yves Le Drian : " En Irak, nous sommes déjà dans l'après-Daech "

 

 

Tag(s) : #Syrie
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