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Ecrivain nigérian, Uzodinma Iweala a fait forte impression lors de son discours prononcé à Genève le 12 octobre dernier, en ouverture de la conférence «Repenser la philanthropie» co-organisée par «Le Temps». Nous le reproduisons ici

Ecrivain nigérian, Uzodinma Iweala a fait forte impression lors de son discours prononcé à Genève le 12 octobre dernier, en ouverture de la conférence «Repenser la philanthropie» co-organisée par «Le Temps». Nous le reproduisons ici

De l'Afrique colonisée à l'Afrique pillée

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Réseau International

 

Les dommages du racisme sur la notion de philanthropie sont si profonds qu’ils la rendent pratiquement irrécupérable

De nombreux exemples montrent que les Africains n’étaient pas considérés, dans la pensée européenne, comme des humains à part entière. En 1763, le philosophe Emmanuel Kant a écrit, dans ses Observations sur le sentiment du beau et du sublime: «Les Nègres d’Afrique n’ont reçu de la nature aucun sentiment qui s’élève au-dessus de la niaiserie… Si essentielle est la différence entre ces deux races humaines! Et elle semble aussi grande quant aux facultés de l’esprit que selon la couleur de la peau.»

Ce point de vue était partagé par nombre de contemporains de Kant, philosophes des Lumières et architectes de l’ordre libéral à partir duquel la pratique de la philanthropie moderne s’est développée. Il est d’autant plus troublant que la construction mentale du cosmopolitisme, par Kant, joue un rôle essentiel dans les pratiques actuelles de la philanthropie. D’aucuns diront que le philosophe moral n’a pas besoin d’être parfait pour que sa philosophie ait de la valeur. Néanmoins, les dommages du racisme généralisé sur la notion de philanthropie sont si insidieux et profonds qu’ils la rendent pratiquement irrécupérable. En effet, le péché originel qu’a commis Kant en définissant ceux qui comptent et ceux qui ne comptent pas en tant qu’humains dans l’idéal cosmopolite soulève une question cruciale: si l’ordre libéral ne considère pas les Africains comme pleinement humains, est-ce que la philanthropie en tant que pratique et concept peut s’appliquer aux Africains?

La «mission civilisatrice»

 

C’est ici qu’entre en jeu la terrible entreprise coloniale, qui peut se résumer de la manière suivante: l’industrialisation de l’Europe exigeait l’extraction de ressources africaines (y compris humaines), et pour justifier cette extraction, il a fallu codifier des versions encore plus extrêmes du racisme de Kant, qui ont abouti au fameux cercle vicieux de la déshumanisation. L’extraction enrichissait les Européens tout en rendant les Africains plus pauvres et donc moins humains en apparence, ce qui justifiait de poursuivre l’extraction, voire de l’accélérer.

Associé au capitalisme, le libéralisme est un ensemble de doctrines qui peuvent se révéler embarrassantes. Ainsi, les Européens affectaient de croire que les Africains n’étaient pas humains mais il est évident qu’en leur for intérieur, ils savaient qu’ils l’étaient. Alors, pour s’absoudre – et pour justifier l’extraction – ils ont présenté le colonialisme comme une «mission civilisatrice». Les Européens seraient alors les gardiens des vastes ressources africaines jusqu’à ce que les Africains soient en mesure de les gérer eux-mêmes. Cette théorie est à la base de la philanthropie contemporaine en Afrique. Comme l’a écrit Rudyard Kipling:

«O Blanc, reprends ton lourd fardeau,

Les sauvages guerres de la paix,

Nourris la bouche de la famine,

Fais la maladie cesser.»

Quelle merveilleuse conjecture! C’est comme si je venais chez vous, que je volais vos affaires, vous jetais à la rue puis proclamais au monde entier que j’allais porter, à contrecœur, le lourd fardeau de m’occuper de cet être paresseux et crasseux que vous êtes.

Mais tout cela fait partie du passé, entend-on. A quoi bon rediscuter de ce qui remonte à plusieurs décennies, voire plusieurs siècles?

Si seulement c’était le cas. En réalité, il est indéniable qu’une mentalité coloniale façonne encore les idées contemporaines quant à l’engagement philanthropique en Afrique. Celle-ci est tellement enracinée que beaucoup d’entre nous ne se rendent même pas compte qu’ils font parfois référence à des concepts que l’on ne peut que qualifier de pures sottises. A titre d’exemple, citons le très progressiste président Macron lors du dernier sommet du G20: «Le défi de l’Afrique est totalement différent, il est beaucoup plus profond, il est civilisationnel, aujourd’hui… En même temps, nous avons des pays qui réussissent formidablement, un taux de croissance extraordinaire qui fait dire à certains que l’Afrique est une terre d’opportunités.» Une terre d’opportunités pour qui? Une chose est sûre, c’est que lorsqu’un Européen «découvre» une terre d’opportunités, les choses se passent rarement bien pour les autochtones.

L’extraction de richesses et l’idée selon laquelle son rôle civilisateur était bénéfique pour les Africains ont toujours été intimement liées

Le bon roi Léopold II de Belgique le disait mieux que je ne pourrais imaginer et certainement de façon plus directe que Monsieur Macron et d’autres dirigeants internationaux (attention, les propos qui suivent sont difficiles à lire):

«Evangélisez les Nègres à la mode des Africains, qu’ils restent toujours soumis aux colonialistes blancs. Qu’ils ne se révoltent jamais contre les injustices que ceux-ci leur feront subir… Convertissez toujours des Noirs au moyen de la chicotte [fouet à lanière, ndlr]. Gardez leurs femmes à la soumission pendant neuf mois afin qu’elles travaillent gratuitement pour vous.

Exigez ensuite qu’ils vous offrent en signe de reconnaissance des chèvres, poules, œufs, chaque fois que vous visitez leurs villages. Faites tout pour éviter à jamais que les Noirs ne deviennent riches. Chantez chaque jour qu’il est impossible au riche d’entrer au ciel. Faites-leur payer une taxe chaque semaine à la messe du dimanche.

Utilisez ensuite cet argent prétendument destiné aux pauvres et transférez ainsi vos missions à des centres commerciaux florissants. Instituez pour eux un système de confession qui fera de vous de bons détectives pour dénoncer, auprès des autorités investies du pouvoir de décision, tout Noir qui a une prise de conscience…

Faites oublier aux Noirs leurs ancêtres afin qu’ils adorent les vôtres qui ne les écouteront jamais… Ne présentez jamais une chaise à un Noir qui vient vous voir. Ne l’invitez jamais, donnez-lui tout au plus une cigarette. Ne l’invitez jamais à manger avec vous, même s’il égorge pour vous une poule ou un coq chaque fois que vous arrivez chez lui.»

Nous voler était en fait nous donner

Je cite ce discours (1) afin de démontrer trois points. Premièrement, le roi Léopold II n’était pas vraiment ce qu’on appelle un homme sympathique. Deuxièmement, il exprimait probablement de façon un peu trop directe ses intentions – même s’il n’était pas plus investi dans la perpétuation du système d’inégalité raciale qui alimentait le rêve colonial extractif que, par exemple, les Britanniques, les Français, les Portugais, les Hollandais ou les Allemands. Troisièmement, l’extraction et l’idée selon laquelle son rôle civilisateur était à terme bénéfique pour les Africains ont toujours été intimement liées. En d’autres termes, nous voler était en fait nous donner, une gentillesse pour laquelle nous devrions, jusqu’à aujourd’hui, être reconnaissants...

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http://reseauinternational.net/repenser-la-philanthropie-me-voler-1000-dollars-puis-men-rendre-un-ce-nest-pas-de-la-bonte/


 

Tag(s) : #Colonialisme, #Oligarchie
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