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Arrêt sur info

Pourquoi Macron devrait lire Tolstoï

Michel Segal 

Dans le sondage du 7 janvier dernier sur le complotisme[1], dont on attribuera la dramatisation des résultats à la volonté de l’Etat de justifier une loi sur le contrôle de l’information, on apprend que 79% des Français croient à au moins une théorie du complot. On peut s’alarmer de cette folie qui saisit une si grande majorité d’entre nous, mais encore faut-il savoir ce que le sondeur désigne par théorie du complot.

Eh bien sachez par exemple que si vous doutez que les services occidentaux n’aient jamais collaboré avec Al Qaida, ou bien si vous pensez qu’il existe une collusion entre le Ministère de la santé et l’industrie pharmaceutique, alors vous êtes classés conspirationnistes. L’un des objectifs de ce sondage est précisément de faire passer ces thèses pour du complotisme, c’est-à-dire de faire passer toute analyse divergente de celle officielle pour de la folie.

En résumé, la question n’est plus de savoir le vrai du faux, mais le droit ou non de penser différemment d’un journaliste de France-Info.

Il y a de nombreux enseignements à tirer de cette enquête qui constitue une troublante radiographie de notre société, notamment parce qu’elle traite d’un sujet fondamental et père de beaucoup d’autres : l’information.

Le résultat le plus important est sans doute que trois quarts des Français doutent de ce qu’ils lisent et entendent via les médias d’Etat ou vivant de ses subsides. Trois quarts des Français qui ne croient pas ce que l’Etat leur dit, cela révèle l’état alarmant de notre démocratie. On a entendu les cris outrés des journalistes du service public et des sondeurs annonçant avec dépit et agacement que l’on a affaire à une société de défiance. Tels le père Ubu, ils s’agacent de ce peuple méfiant qui ne leur plait pas, mais l’idée ne les effleure pas qu’ils sont précisément les seuls responsables de cette défiance. Car enfin, d’où viennent les fake news[2] justifiant les guerres atroces de ces vingt dernières années sinon de nos gouvernements et des médias[3] ?

Quand on ne donne plus la parole à Todd parce qu’il explique que les hommes au pouvoir sont incompétents[4], quand on ne la donne (plus) jamais à Lordon parce que ses analyses sont incompatibles avec celles du pouvoir, quand on fait passer Asselineau pour un cinglé parce qu’il est irrémédiablement anti-UE et anti-OTAN, quand on méprise un tiers des électeurs parce qu’ils ne votent pas comme il faut, quand les journalistes-stars du service public considèrent leur place assise comme une tribune de droit pour exprimer leurs certitudes arrogantes et juger au lieu d’interroger, quand on a supprimé toute diversité d’opinion et tout débat contradictoire sur ces médias, alors il faut plutôt s’étonner qu’il reste encore un quart des Français pour les écouter.

La vraie folie du complotisme est de reposer sur un postulat consistant à croire qu’il existe un pouvoir, localisable et puissant, capable de décider de l’avenir en organisant des phénomènes exceptionnels. Ce postulat est intéressant parce qu’il est celui des chefs d’Etat qui se pensent capables de mener une action qui décidera d’un avenir dont ils se croient les seuls maîtres. Oublie-t-on que les Etats-Unis, qui engagent à eux seuls la moitié des dépenses mondiales d’armement, sont sans cesse mis en échec militaire sur la planète depuis 50 ans ?

N’y a-t-il pas là quelque leçon ?

Certes, ils ont largement soutenu – voire créé – Ben Laden avec succès pour donner son Vietnam à l’Union Soviétique en Afghanistan, certes Sarkozy et BHL ont créé des fake news[5] pour déclencher leur guerre en Libye, certes les exemples de ces mensonges d’Etat – complots bien réels ayant réussi – sont innombrables mais on remarquera qu’il s’agit toujours de capacité à installer du désordre, de simple capacité de nuisance.

Il en va autrement des grands projets et il faut relire les dernières pages de Guerre et Paix pour comprendre que le succès des grandes batailles ne dépend pas du commandement, mais de chaque soldat au feu. La victoire dépend de la confiance de tous en chacun et le sondage montre que dans cette bataille pour la démocratie, la confiance a été laminée, ce qui rend toute victoire impossible et toute catastrophe probable. Espérons que si le chef de l’Etat comprend que la priorité est de restaurer cette confiance, il n’ait pas la folie de penser que cela se fera sur sa seule décision à coup de mensonges, tels ses fake news imaginaires, destinés à justifier une loi interdisant la pluralité d’opinion.

Il ne nous reste finalement plus qu’à espérer que Macron lise Tolstoï.

Et le comprenne.

Michel Segal

Michel Segal est l’auteur de trois essais sur l’école Autopsie de l’école républicaine (2008) – Violences scolaires, responsables et coupables (2010) – Collège unique, l’intelligence humiliée (2011). Et de Ukraine, histoires d’une guerre (2014) qui analyse la guerre qui déchire l’Ukraine en se fondant sur sa connaissance approfondie du contexte et des enjeux internationaux.

Tag(s) : #Politique française
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