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Bernard Friot : « Si Macron gagne son pari de la réforme de la SNCF, il faut se faire du souci pour le reste »

Les cheminots sont en grève contre la réforme de la SNCF, qui prévoit notamment la suppression du statut de cheminot. Pour Bernard Friot, sociologue et économiste, cette réforme s’inscrit dans une contre-révolution néolibérale contre celles et ceux qui bénéficient d’un salaire à vie.

Bernard Friot est un sociologue et économiste, professeur émérite à l’université Paris X-Nanterre. Il a écrit de nombreux ouvrages sur la Sécurité sociale et le salariat. Son dernier livre, paru en 2017 aux éditions La Dispute, s’intitule : Vaincre Macron.

Bernard Friot.

Reporterre — Pourquoi le gouvernement se focalise-t-il autant sur le statut des cheminots ?

Bernard Friot — Depuis la fin des années 1980, la seconde gauche emmenée par Michel Rocard a lancé une offensive absolument déterminée contre le salaire à la « qualification personnelle »,autrement dit contre le statut des fonctionnaires ou de certains salariés comme les cheminots. Cette contre-révolution se prolonge jusqu’à aujourd’hui, Emmanuel Macron étant un parfait « baby Rocard ».

Ce salaire à la qualification personnelle est pourtant la conquête sociale majeure du XXe siècle face au capital ! Macron veut des free-lance, des autoentrepreneurs, afin que la reconnaissance du travailleur s’opère sur un marché — marché du travail ou des biens et services.

Tout au long du XXe siècle, le combat des mouvements sociaux a été d’imposer au capital d’employer les travailleurs. En 1910, le contrat de travail va lier le salaire au poste de travail, et non plus à la tâche. Puis, mieux que ça : le mouvement social va obtenir le salaire lié à la personne même. Au cours du siècle dernier, on assiste ainsi à une lente montée en puissance de ce salaire à la qualification personnelle : en octobre 1946, la loi Thorez sur les fonctionnaires concerne 500.000 personnes. Aujourd’hui, ce sont 5,5 millions de personnes : les fonctionnaires, les salariés à statut (cheminots, EDF, RATP, etc.), la moitié des retraités. Tous ont une forme de salaire lié à la personne, détaché du fait qu’ils aient un poste, ce qu’on appelle aussi salaire à vie.

Et il y a une haine de classe pour ça ! La classe dominante est absolument déterminée à maintenir la reconnaissance sociale du travailleur dans une logique marchande. Accepter que des gens soient payés pour un attribut qui leur est propre, que ce ne soit pas leur poste qui soit qualifié, mais eux, c’est un refus absolu ! L’idée que les travailleurs se libèrent de l’aléa du marché, qu’ils puissent relever la tête parce qu’ils sont titulaires de leur salaire, ça leur est insupportable.

Une classe dirigeante ne défend pas ses sous, elle défend son pouvoir sur le travail, parce que c’est de ce pouvoir qu’elle tire ses sous. Or, ce pouvoir repose sur deux institutions : l’aléa marchand pour la reconnaissance du travailleur — c’est-à-dire le fait que le travailleur soit un individu sur un marché — et la propriété lucrative de l’outil. L’attaque de Macron contre la SNCFporte sur ces deux institutions : l’ouverture à la concurrence (la propriété lucrative de l’outil) et le statut du cheminot (l’aléa marchand pour le travailleur).



Pourquoi se centrer sur les cheminots plutôt que sur les fonctionnaires ?

La fonction publique est effectivement le dernier bastion du salaire à vie, mais elle a moins de tradition syndicale combative que les cheminots. Étant donné qu’Emmanuel Macron a pu réformer depuis un an sans coup férir, il fait un pari : s’il gagne contre les cheminots, donc contre les plus combatifs, il pense avoir un boulevard pour les fonctionnaires, dont la plupart partagent un certain défaitisme. Il a donc ajouté cette réforme de la SNCF qui n’était pas dans son programme. De fait s’il gagne ce pari, il faut se faire du souci pour le reste.


Donc, à l’inverse, le combat que le mouvement social doit mener, c’est l’extension du statut du cheminot à tous, comme le dit Philippe Martinez.

Effectivement. La seule bataille qui soit fédérative, c’est celle qui propose d’étendre à tous la libération vis-à-vis du marché du travail. C’est donc l’extension à tous et toutes d’un salaire à la qualification personnelle, aussi appelé salaire à vie. L’idée est la suivante : à 18 ans, chacun se voit attribuer un premier niveau de qualification, et le salaire correspondant, ces qualifications et salaires pouvant augmenter ensuite au cours de la vie professionnelle. Par exemple, ce salaire pourrait commencer à 1.500 euros nets par mois à 18 ans et aller jusqu’à un salaire maximum de 6.000 euros si l’on retient quatre niveaux de qualification, ce qui correspond aux conventions collectives les plus avancées.

Manifestation parisienne du vendredi 13 avril où les cheminots, les étudiants, le personnel de santé ou encore les postiers ont défilé de Tolbiac jusqu’à la gare Austerlitz.



En quoi est-ce différent du revenu de base ?

Le revenu de base ne s’attaque pas — y compris quand il s’élève à 1.000 euros par mois — à la logique du capital. Il n’offre pas vraiment d’alternative au marché pour la reconnaissance des travailleurs. Ce n’est qu’un premier pilier de ressource. Or, quand on cumule une allocation fiscale, comme le revenu de base, et du salaire, c’est toujours au détriment du salaire. L’employeur peut se dédouaner et dire « tu as déjà 800 balles, voici 400 balles, et tu as ton Smic ». C’est ce qui se passe avec le RSA activité.

Le revenu de base est porté par des écologistes, mais c’est une erreur intellectuelle ! En aucun cas le revenu de base ne peut être un soutien à la décroissance.
En quoi le salaire à vie pourrait-il être moteur de décroissance ?

Parce qu’il n’est pas isolable d’une proposition plus générale. Il ne se conçoit pas sans une révolution. C’est un élément d’un autre mode de production que le système capitaliste.

Le salaire à vie signifie que nous sommes porteurs du salaire parce que nous produisons la valeur économique. Et donc, nous devons être propriétaires de l’outil de travail et décider de l’investissement. Avec le droit politique au salaire vient la propriété d’usage et patrimoniale de l’outil de travail.

Dans le système capitaliste, la seule chose qui intéresse

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Tag(s) : #Lutte de Classe, #Economie
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