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Faut-il maintenant chercher l'information sérieuse dans la presse étrangère ?

  

Éric Dénécé, directeur du Centre Français de Recherche sur le Renseignement, CF2R, est un ancien officier des services de renseignement français, est auteur de nombreux livres.

Officier-analyste à la direction de l’Évaluation et de la Documentation Stratégique du Secrétariat Général de la Défense Nationale (SGDN), Ingénieur commercial export chez Matra Défense. Responsable de la communication de la société NAVFCO, filiale du groupe DCI (Défense Conseil International).

Directeur des études du Centre d’Études et de Prospectives Stratégiques (CEPS). Fondateur et directeur général du cabinet d’intelligence économique ARGOS.

Créateur et directeur du département d’intelligence économique du groupe GEOS, et a notamment opéré au Cambodge, et en Birmanie.

Il nous parle, dans cet entretien, de l’agression menée par Washington, Paris et Londres, contre Damas.

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Avril 2018

Le Temps d'Algérie

 Une coalition composée par les États-Unis, la France et l’Angleterre, a mené des frappes contre la Syrie. Est-ce une attaque précédemment préparée ou réellement motivée par de présumées attaques à l’arme chimique ?


Éric Dénécé : C’est bien là toute la question ? Quelle est la réalité de ces attaques chimiques ? S’il semble apparemment qu’elles se soient bien produites, qui en sont les auteurs ? S’il s’agit de l’armée syrienne, visait-elle des cibles militaires ou délibérément des populations civiles ? Et si ce n’était pas l’armée syrienne ? Rappelons qu’en mélangeant de l’eau de Javel et de l’acide chlorhydrique (en vente libre à peu près partout) n’importe qui peut fabriquer des quantités industrielles de chlore gazeux… Il eût donc été important de répondre à toutes ces questions avant de déclencher des frappes, dont on se demande si la précipitation ne cache pas l’absence d’éléments vraiment probants.

La France parle de probables nouvelles attaques contre la Syrie. La guerre est-elle désormais enclenchée contre Damas ?


> Non, car nous n’en avons pas les moyens. Ce ne sont que des rodomontades. Nous ne pourrions pas intervenir seuls contre la Syrie. La France n’a plus de capacités de brouillage offensif ni d’armements antiradars depuis le retrait du service des avions Jaguar (en 2005). Ces moyens sont indispensables pour pouvoir agir de manière autonome. Donc, sans la protection américaine, nous ne pouvons pas grand-chose dans le ciel syrien. De plus nous ne pourrions guère engager plus d’une douzaine d’appareils au temps de survol limité, le porte-avions Charles de Gaulle, étant en maintenance. Malgré les déclarations grandiloquentes d’Emmanuel Macron, qui, en dépit de ses promesses, n’a pas accru le budget de la Défense, nos moyens d’action sont limités.

Le ministère français de la Défense a publié un document confidentiel, attestation, selon Paris, que le gouvernement de Damas a bel et bien mené une attaque chimique. Il est mentionné dans le document que c’est grâce à des vidéos et images et témoignages que les experts français ont réussi à établir à distance un diagnostic des victimes de l’attaque chimique présumée dans la Ghouta orientale. Quelle crédibilité peut avoir ce document ?


> En effet, cela est particulièrement étonnant puisqu’il s’agit d’une étude des preuves par procuration et à distance ! Cela paraît peu crédible. Rappelons que personne n’a pu entrer dans les zones touchées par ces supposées attaques chimiques. Une mission de l’Organisation internationale contre les armes chimiques doit s’y rendre dans les prochains jours. Dès lors, toute analyse à partir de preuves vidéo semble prématurée, d’autant que les falsifications sont monnaie courante. Et quand bien même il y aurait eu une attaque chimique, encore faudra-t-il prouver qu’elle vient bien de l’armée syrienne et non des djihadistes voulant, une nouvelle fois, manipuler l’opinion publique occidentale, qui ne réfléchit plus et ne semble guidée que par l’émotion. Mon but n’est en rien d’exempter les auteurs de cet acte de leurs responsabilités. Seulement, depuis 2013, tellement d’accusations se sont révélées sans fondement qu’il convient d’être particulièrement vigilant face à ces affirmations péremptoires qui servent à justifier le recours aux armes.

Comme dans l’affaire Skripal, l’Occident condamne avant d’avoir des preuves irréfutables et passe précipitamment à l’action. Pourquoi une telle précipitation ? Peut-être parce que les soi-disant preuves sont trop faibles et qu’il faut faire avaler la pilule à l’opinion quand elle est sous le coup de l’émotion, en partie construite avec la complicité de médias serviles.

Moscou a très souvent accusé Les casques blancs de simuler une attaque chimique. Précédemment, une journaliste a établi que les casques blancs sont financés par des pays occidentaux partisans des frappes contre Damas. Ce scénario est-il plausible ?


> Oui, c’est une réalité indéniable. Plusieurs organisations soi-disant neutres sont en fait totalement partiales. C’est le cas des Casques blancs, qui sont clairement des opposants au régime de Damas, soutenus et financés par les Occidentaux et certains pays du Golfe. Mais aussi de l’Observatoire Syrien des droits de l’homme, qui est une officine des Frères musulmans. Il n’est pas possible d’apporter crédit à ce que disent l’un et l’autre puisqu’ils se livrent quasi systématiquement à de la désinformation.

Les frappes menées par les États-Unis, la France et l’Angleterre contre la Syrie ne pourraient-elles pas bénéficier aux terroristes en guerre contre Damas ?


> Je ne crois pas. Les cibles visées semblent bien avoir été exclusivement des usines ou des entrepôts de substances chimiques. Les forces syriennes et les bases aériennes, en l’état actuel des informations dont nous disposons, ne paraissent pas avoir été touchées. Cela signifie que l’armée syrienne n’a pas vu son potentiel militaire entamé par ces bombardements. Elle conserve donc tous ses moyens pour poursuivre sa lutte légitime contre les djihadistes de Daesh et d’Al-Qaïda.

La Russie dit que sa DCA n’a pas participé à l’interception des missiles tirés contre la Syrie. Moscou évite-t-il de s’impliquer militairement ?


> Oui. Les Russes font particulièrement attention à ce que cette situation délétère ne dégénère pas en affrontement généralisé. Non parce qu’ils ont peur, mais parce qu’ils sont lucides et responsables et ne veulent pas tomber dans le piège que leur tendent les Occidentaux, qui sont dans une fuite en avant irresponsable mais calculée. Moscou a toutefois tenu un discours très ferme à l’égard d’Israël suite à ses frappes en Syrie de la semaine dernière. Un dérapage est donc toujours possible.

Le président français Emmanuel Macron suit-il aveuglément la politique des américains ?


> Malheureusement oui, tant dans les opérations en Syrie que dans l’affaire Skripal. C’est pathétique pour un pays comme le nôtre qui a longtemps affirmé son autonomie de décision et son indépendance de vue, y compris au sein du camp occidental. Tout cela est bien fini depuis la réintégration de la France dans l’OTAN, décidée par Nicolas Sarkozy. Depuis, nous sommes rentrés dans le rang et figurons désormais parmi les auxiliaires zélés de Washington, dont nous sommes de plus en plus dépendants. La politique que suit Emmanuel Macron n’est donc en rien différente de celle de ses deux prédécesseurs, d’autant, il faut le rappeler, qu’il n’a absolument aucune expertise ni expérience des affaires internationales et de sécurité.

Le président Bachar dit que c’est parce qu’ils ont perdu toute crédibilité que les occidentaux ont mené ces frappes. Qu’en pensez-vous ?


> Je crois surtout que c’est parce que la situation leur a échappé et que grâce à l’intervention russe, l’armée syrienne a réussi à reprendre l’initiative militaire que les Occidentaux sont furieux. Leur stratégie qui consistait à renverser Bachar a échoué ! Damas a quasiment gagné la guerre, seules quelques poches résistent encore. Les États-Unis et leurs alliés sont engagés dans un combat d’arrière-garde dont la principale victime est le peuple syrien.

La légalité internationale est-elle respectée par les pays occidentaux engagés dans les frappes ?


> Bien sûr que non ! Les États-Unis, le Royaume-Uni et la France viennent une nouvelle fois de bafouer ouvertement le droit international. Ces frappes ont été déclenchées sans l’aval de l’ONU, lequel est absolument nécessaire dans ce type de situation. Mais les Occidentaux s’affranchissent régulièrement de l’avis de la communauté internationale lorsque cela les arrange. Nous l’avons vu en Irak (2003), en Libye (2011), etc. Cela permet de mettre en lumière que l’ONU est véritablement devenue un « machin » qui n’est plus crédible et que plus personne ne respecte.

Un député russe dit que désormais tous les pays du monde sont menacés par les frappes des occidentaux. Est-ce l’insécurité planétaire ?


> C’est en effet une évolution à craindre. Dans la mesure où l’Occident décide de ce qui est juste ou pas, il est susceptible de recourir à l’usage de la force où bon lui semble. Précisons toutefois qu’il est plus approprié de parler des États-Unis que de l’Occident, car la France et le Royaume-Uni ont des moyens militaires près de dix fois inférieurs à ceux de Washington et ne font que de la figuration symbolique à ses côtés.

Mais cette nouvelle insécurité planétaire est une réalité. Quelles seront les prochaines cibles du courroux de Washington ? De nouveau la Syrie ? L’Iran ? la Corée du Nord ? La Russie ?

 

Le chef de la diplomatie russe Serguei Lavrov a qualifié l’attaque chimique présumée en Syrie la semaine dernière de mise en scène à laquelle ont participé les services spéciaux d’un Etat, non nommé mais désigné comme russophobe. Qu’en dites-vous ?


> Cela est très difficile à confirmer, d’autant qu’il serait légitime que les Russes recourent à leur tour à la désinformation. Ce que l’on peut dire, c’est que si ces frappes ne sont pas le fait de l’armée syrienne, c’est qu’il s’agit bien d’un montage pour accuser Damas et justifier les frappes. Encore faut-il le prouver. Je crains que des éléments probants soient aussi difficiles à produire dans un cas comme dans l’autre.

 

Entretien réalisé par Mounir Abi

Tag(s) : #Syrie
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