Bogota. Samedi 16 juin 2018. CCN/Bolivarinfos/Françoise Lopez. Le second tour des élections a déjà débuté dans les consulats de Colombie et quelques jours avant la journée finale dans le pays, la politique colombienne est plongée dans le dynamisme d'une élection qui, comme ça n'a pas été le cas depuis des années, est partagée en 2 sur la scène politique nationale et internationale.
Le traditionnel partage du butin de la présidence de la République de Colombie entre les familles du parti conservateur et celles du parti libéral qui s'est prolongé au-delà du Front National, n'a été brisé au début du XXI° siècle que par le dissident du Parti Libéral Álvaro Uribe Vélez qui a occupé le pouvoir au bénéfice du trafic de drogues et du para-militarisme.
L'uribisme a réussi à trouver l'équilibre nécessaire pour rendre establishment colombien viable tout en renforçant le pouvoir du trafic de drogues dans la politique et dans l'économie et en donnant plus de pouvoir aux forces militaires et paramilitaires en battant des records historiques de violations des droits de l'homme envers la population et en fomentant le négoce de la guerre pour renforcer le remise des richesses du pays aux intérêts transnationaux.
Depuis lors et jusqu'à présent, Uribe a alimenté une doctrine politique de droite qui est devenue un phénomène électoral et maintenant, sort de nulle part Iván Duque pour l'amener à la présidence de la République.
D'autre part, Gustavo Petro es le premier candidat qui de réelles possibilités de gagner qui ne proviennent pas des partis traditionnels ni des familles qui ont hérité du pouvoir politique en Colombie pendant plus d'un siècle mais ne sort pas non plus des rangs des pouvoirs factuels qui dominent la Colombie comme le trafic de drogues et cependant, arrive aux élections vivant.
Sous la présidence d'Uribe, Gustavo Petro, alors sénateur, fut l'un de ceux qui ont le plus activent les liens de son Gouvernement avec le para-militarisme et le trafic de drogues, c'est pourquoi Petro et l'uribisme sont des ennemis de longue date.
La guerre ou la paix : 2 projets opposés
Malgré les différences radicales entre les propositions d'Iván Duque et celles de Gustavo Petro, ces différences de programme ne peuvent être qualifiées de véritables contradictions idéologiques. Cependant, elles sont suffisantes pour parler de 2 projets historiques différents, définis par la dichotomie entre al recherche de la paix et la poursuite de la guerre.
Bien qu'une nouvelle étape de l'uribisme sans Uribe commence à devenir de plus en plus évidente, l'ex-président colombien ne cesse d'intervenir dans la campagne et de mettre son dauphin Iván Duque sous tutelle. Comme l'a bien dit Vladdo: « Uribe est Uribe et Duque aussi. »
Uribe fixe les règles des élections colombiennes depuis 2002 et maintenant, il essaie de réduire la campagne aux mêmes tactiques qu'il a utilisées pour gagner le Plébiscite pour la Paix, en réduisant le débat à sa plus simple expression, en limitant la campagne à une série de qualificatifs et d'indicateurs de relations avec le « terrorisme » et le « castro-chavisme » et autres caricatures prises dans sa doctrine de sécurité démocratique.
Objectivement, il faut comprendre que la guerre ne s'achèvera pas avec l'arrivée de Petro à la présidence parce qu'il y a des pouvoirs factuels qui garantissent sa poursuite car ils s'en enrichissent et en dépendent. Mais la mise en place des accords avec les FARC, la poursuite du dialogue avec l' ELN (qui est actuellement l'organisation de guérilla la plus importante et la plus ancienne d'Amérique Latine), la rupture avec le pouvoir politique que le trafic de drogue a obtenu depuis 2002 ainsi qu'une série de mesures économiques et politiques pour augmenter l'inclusion, garantir le respect des droits de l'homme et protéger l'éco-système seraient de grandes avancées pour la Colombie.
Pour un pays qui a été submergé pendant plus d'un siècle dans la plus terrible violence intérieure, cette différence est fondamentale. Mais, en plus, le fait qu'on puisse faire un virage dans un pays qui est devenu la principale base militaire étasunienne de l'Amérique du Sud, la plus important exportateur de cocaïne et d'organisations paramilitaires et mercenaires vers les pays voisins et le reste du monde, donne une importance géopolitique à ce qui se produira finalement ce dimanche.
Second tour, négociations et alliances
Comme on l'a dit dans un article précédent, le principe du ballotage électoral impose la négociation pour que rien ne change malgré le résultat des élections, pour minimiser ainsi la possibilité pour une force qui rompe avec la politique hégémonique d'accéder à la présidence. La ronde de négociations est déjà terminée pour ce dernier tour, c'est évident.
Dans la dernière ligne droite de ces élections, après les négociations adéquates, les soutiens se sont répartis. La gauche et les forces progressistes (certaines même liées aux partis traditionnels comme les secteurs de base du Parti Libéral) se sont jointes à partir de leur base, à la campagne de Petro qui se résume à un front anti-uribiste en défense de la paix.
Avec Gustavo Petro, le Pôle Démocratique Alternatif s'est retiré et bien que le Parti alliance Verte a laissé ses militants libres de choisir entre voter blanc et voter Petro, ses 2 personnalités principales, Antanas Mockus et Claudia López (qui s'est présentée aux élections avec Sergio Fajardo), lui ont donné récemment leur soutien publiquement, ce qui pourrait garantir la victoire de Petro à Bogota et en général, implique qu'une bonne partie des voix de Fajardo aillent à Petro. Comme conséquence de ces négociations avec Mockus, Petro a présenté 12 accords gravés dans le marbre. Dans le premier, il renonce à convoquer une Assemblée Constituante.
Pour leur part, l'establishment, le Parti Conservateur, la Parti Libéral, le Centre Démocratique, Changement Radical, le Parti Mira et même, le fameux tueur à gages de Pablo Escobar, connu sous le nom de Popeye, serrent les rangs avec Iván Duque. Des alliances de très fortes machineries qui augmentent certainement les chances de l'uribiste.
Enfin, il faut mentionner ceux qui ont opté pour la condamnation biblique d'être vomis par les dieux. Les tièdes, Sergio Fajardo, Jorge Robledo, Humberto de la Calle y Ernesto Samper. Ces 2 derniers ont fait des déclarations ambigües dans lesquelles ils semblaient pencher vers les propositions de Petro mais ils n'ont pas voulu donner de consignes de vote publiquement. Les 2 premiers ont appelé à voter blanc, ce qui, en fait favorise l'uribisme.
Le poids géopolitique de ces élections
Santos s'en va en en liant les engagements de l'Etat colombien au capitalisme et à ses appareils militaires. Il annonce la signature d'engagements envers l' OCDE et l'OTAN à quelques heures du premier tour et en plaine campagne pour le second tour, les signe.
Il tranquillise, ainsi, les pouvoirs factuels liés à la guerre et au pillage de la Colombie mais aussi les pays de droite de la région qui sont réunis dans le Groupe Groupe de Lima. Il emporte la gloire d'avoir remis la souveraineté nationale qu'il devrait défendre, attache le Gouvernement qui lui succèdera à ses plans et garantit que, même si Petro gagne les élections, ces organismes multilatéraux renforceront la résistance d'un système qui refuse de céder et qui a conduit la Colombie à la débâcle sociale et politique qu'elle vit.
Comme toujours, le peuple colombien sera la première victime. Mais aussi, avec ces nouvelles signatures, Santos compromet la stabilité et la paix de toute Notre Amérique.
Si l'uribisme reste au pouvoir, il impliquera tout l'Etat colombien dans ce nouvel attentat contre la région qui, sans doute, commencera à augmenter l'ingérence au Venezuela pour renverser le Gouvernement Bolivarien mais aussi renforcera probablement la menace contre le Nicaragua et tous les pays latino-américains qui se sont constitués dans des projets alternatifs à partir du sud.
Un Gouvernement de Petro, par contre, pourrait représenter une faille à l'intérieur de l'Etat colombien concernant ce projet. Des personnalités importantes du monde intellectuel ont fait des déclarations très importantes concernant les élections en Colombie. Du progressisme mondial à la gauche, elles ont décidé de serrer les rangs autour de Petro. Des intellectuels comme Slavoj Zizek et Antonio Negri lui ont exprime leur soutien publiquement, ainsi qu' Atilio Borón. Le Sud-africain John Maxwell Coetzee, Prix Nobel de Littérature, l'a fait aussi alors que Vargas Llosa, de droite, a assuré Iván Duque de son soutien.
Le système politique colombien a été blindé pendant des décennies, fermant la voie de la démocratie à toute forme de dissidence ou de rébellion mais si, surmontant la machinerie de l'uribisme, la guerre médiatique et le piège du système électoral, cette génération qui a récupéré sa volonté de pouvoir amène Gustavo Petro à la présidence du pays, son principal défi sera de gouverner avec un Congrès majoritairement d'opposition et contre les pouvoirs factuels du pays et transnationaux qui dominent la Colombie.
Dans cet effort titanesque, il devra avoir le concours de toutes les forces populaires pour gouverner. IL se trouvera face à plusieurs carrefours pour choisir ses alliances à l'intérieur du pays mais aussi ses alliances internationales. Les mêmes forces qui se joignent aujourd'hui à la campagne dans le pays et à l'étranger devront continuer à faire pression pour qu'il prenne les bonnes décisions qui conduisent à la construction de la paix et à la récupération de la souveraineté perdue.
Une partie importante du destin immédiat de l'Amérique se définit cette semaine dans les élections présidentielles de Colombie. Une victoire d'Iván Duque constituerait un retour de la Colombie aux faux positifs et aux invasions internationales pour lesquelles, selon Álvaro Uribe, « il a manqué de temps. » Il faudra être confiants dans le fait que cette génération qui a repris sa volonté de pouvoir, vienne voter contre Duque dimanche prochain et défende son vote. Mais surtout, qu'elle conserve sa capacité de lutte pour les batailles qui vont venir en Colombie, avec Petro ou sans lui.
Par María Fernanda Barreto