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Quand le CAC 40 fait son beurre en écrémant l’emploi

Le Club de Mediapart

Les bénéfices des sociétés de l’indice phare ne riment pas forcément avec embauches. Un tiers d’entre elles, ultrarentables, sont engagées dans des destructions de postes, certaines profitant des facilités des ordonnances Macron.

93,4 milliards d’euros
de profits pour le CAC 40 en 2017

L'Huma - 

-Sébastien Crépel

Quinze mille postes supprimés ou menacés à court ou moyen terme chez les entreprises du CAC 40. C’est, a minima, le recensement effectué par l’Humanité pour les 34 sociétés sur 40 qui ont publié à ce jour leurs comptes semestriels. Ceux-ci sont au beau fixe : plus de 47 milliards de profits sur les six premiers mois de l’année. Tous ces groupes sont bénéficiaires, à l’exception de Carrefour. Pourtant, un tiers d’entre eux ont annoncé ou procèdent à des coupes dans leurs effectifs en France (Airbus, 470 postes ; Axa, 160 ; BNP Paribas, 5 000 ; Engie, 2 500 ; Michelin, 1 500 ; PSA, 2 200 ; Sanofi, 657 ; Schneider Electric, 150 ; Société générale, 2 135 ; Solvay, 160 ; Veolia, 572).

Certaines de ces sociétés affichent même des profits en forte hausse, comme PSA (+ 18 %), Veolia (+ 13 %), la Société générale (+ 11 %) ou Michelin (+ 6 %). Pour Nasser Mansouri-Guilani, ces pratiques sont la preuve que « le discours libéral selon lequel il faut que les profits s’améliorent pour que l’on crée des emplois est infondé. C’est un discours idéologique, constate l’économiste et syndicaliste à la CGT (lire notre entretien ci-dessous). Depuis au moins trois décennies, la part des profits monte sans que l’investissement et encore moins l’emploi n’augmentent nécessairement. Il n’y a pas de mystère : si ça augmente pour le capital, ça baisse pour le travail ».

Certains plans de suppression de postes sont officiels et s’étalent parfois sur plusieurs années, d’autres, comme la délocalisation du service clientèle chez Engie, s’apparentent à des « plans sociaux déguisés », estime l’expert d’un cabinet spécialisé. Selon cette source, « de plus en plus d’entreprises brouillent les pistes en jouant la carte de la transformation permanente : vente de filiales, départs forcés et, désormais, rupture conventionnelle collective (RCC), conséquence des ordonnances Macron ».

Jusqu’alors, les sociétés ne manquaient pas de solutions pour éviter de passer par la case licenciements, mais cela nécessitait le plus souvent la mise en œuvre d’un plan dit de sauvegarde de l’emploi (PSE) ou de départs volontaires (PDV). À l’instar de ce qui s’est passé chez Total, à La Mède (Bouches-du-Rhône), où le PSE qui court toujours permet à la direction de « jouer sur les mots, puisque la destruction de 182 postes s’est traduite non par des licenciements mais par des retraites anticipées, des mutations, des démissions », indique Fabien Cros, secrétaire CGT du comité d’entreprise. « Ce qui est nouveau, ce sont en effet les ordonnances Macron, qui donnent plus de facilité aux patrons pour réduire le “coût du travail” en se débarrassant des travailleurs dont ils ne veulent plus », souligne Nasser Mansouri-Guilani.

De grandes entreprises du CAC 40 n’hésitent pas à y recourir : à la Société générale, un accord de RCC a été signé dans le cadre de la suppression de 2 135 postes. Idem chez PSA, qui prévoit 1 300 départs via une RCC, sur un total de 2 200. Sans que les embauches annoncées en regard ne viennent compenser ces destructions. 

« Il est faux de dire que les profits sont la condition de l’emploi »

Pour Nasser Mansouri-Guilani, économiste et syndicaliste, les normes de rentabilité toujours plus élevées du CAC 40 jouent contre le travail en alourdissant le coût du capital.

Selon le recensement de l’Humanité, les entreprises du CAC 40 sont engagées dans des plans de suppression d’au moins 15 000 emplois. Il n’y a donc pas de corrélation entre profits et emploi ?

Nasser Mansouri-Guilani Le discours libéral selon lequel il faut que les profits s’améliorent pour que l’on crée des emplois est infondé. C’est un discours idéologique, à l’instar du théorème de Schmidt (chancelier de la RFA de 1974 à 1982 – NDLR) qui dit que « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain ». Depuis au moins trois décennies que ce théorème est appliqué, la part des profits monte sans que l’investissement et encore moins l’emploi n’augmentent nécessairement. Il n’y a pas de mystère : si ça augmente pour le capital, ça baisse pour le travail. Depuis les années 1980, la part des salaires a chuté dans la valeur ajoutée. On est toujours dans ce schéma qui fait que la priorité est donnée aux profits.

Dans ce conflit entre les intérêts du travail et ceux du capital, les libéraux disent qu’il faut réduire le coût du travail en quantité et en qualité de l’emploi, mais aussi en termes de rémunérations. La contrepartie, c’est la hausse du coût du capital, c’est-à-dire qu’une part croissante des richesses produites par les travailleurs est mobilisée pour rémunérer les détenteurs de capitaux, et notamment les actionnaires.

Les outils qu’Emmanuel Macron a inventés par ordonnances, comme la « rupture conventionnelle collective » qu’utilisent les banques ou encore PSA, donnent-ils des possibilités nouvelles à ces entreprises très profitables pour réduire encore le « coût du travail » ?

Nasser Mansouri-Guilani Ce qui est nouveau, ce sont en effet les politiques du gouvernement, et notamment les ordonnances Macron, qui donnent plus de facilité aux patrons pour réduire le « coût du travail » en se débarrassant des travailleurs dont ils ne veulent plus. D’autres facilités nouvelles sont accordées aux détenteurs de capitaux, en particulier les plus riches, comme la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, là aussi sous prétexte de favoriser l’investissement et l’emploi. Cela participe de la même logique. Mais, quand on regarde concrètement, on voit que l’emploi n’augmente pas et que la croissance économique ralentit. On reste dans une phase de faiblesse de l’activité en regard des besoins de la population, avec un chômage officiellement à 9 %, mais en réalité deux fois plus élevé si l’on compte tous les exclus du travail pour des raisons économiques, c’est-à-dire, en dernière analyse, parce que les détenteurs de capitaux demandent plus de profits.

Certaines sociétés du CAC 40 qui suppriment des postes affichent des profits en baisse : c’est le cas de BNP Paribas ou de Sanofi par exemple. Une perte de profitabilité est-elle une raison acceptable pour se résigner aux destructions d’emplois ?

Nasser Mansouri-Guilani Ce phénomène est typique de la logique de la financiarisation de l’économie, qui, pour résumer, correspond à la généralisation de l’exigence de rentabilité des capitaux les plus puissants. Ainsi, si la norme pour ces derniers est un rendement de 10 %, alors tout le monde doit se caler dessus : dans ce cas, 7 %, ce n’est pas suffisant. Cette logique de rentabilité maximale et à court terme joue contre le monde du travail, en termes d’emplois mais aussi de conditions de travail et de salaires. Cette financiarisation va aussi de pair avec la désindustrialisation. On nous sert toujours l’argument qu’être plus compétitif va nous permettre d’exporter davantage, mais l’état de notre commerce extérieur montre que cela ne se vérifie pas. Plus cette financiarisation se développe, plus s’affaiblit le potentiel productif du pays, et plus le commerce extérieur se dégrade.

Une récente étude montrait que 93 % des entreprises se refusent à procéder à des augmentations collectives de salaires. Est-ce un effet de cette financiarisation de l’économie que vous dénoncez ?

Nasser Mansouri-Guilani La financiarisation se traduit par la réduction des droits et protections collectives des travailleurs, et donc par l’individualisation des rémunérations. Les négociations collectives ont des conséquences sur le long terme : c’est autre chose que de payer à la tête du client. Tout cela est cohérent. De même, la désindustrialisation affaiblit l’ensemble des travailleurs, dans la mesure où les conventions collectives dans l’industrie sont plus protectrices pour les salariés. En affaiblissant l’industrie, on tire l’ensemble des travailleurs vers le bas.

Que faudrait-il faire pour sortir de cette logique ?

Nasser Mansouri-Guilani Il faut valoriser le travail et dévaloriser le capital. C’est tout l’inverse de ce qu’ont fait les gouvernements depuis plusieurs décennies. Quand on dit « valoriser le travail », cela veut dire améliorer la qualité de l’emploi, les salaires, l’avancement, les conditions de travail… Cela passe par exemple par appliquer l’égalité femmes-hommes au travail. Tant que la moitié de la force de travail est dévalorisée par les bas salaires et la précarité ou le blocage des carrières, on ne peut pas parler de valorisation du travail. 

Nasser Mansouri-Guilani

Économiste de la CGT

Lire aussi :

Michelin. Les profits gonflent, pas les effectifs

Engie. Dumping social et casse de l’emploi

Airbus. Des dividendes toujours en hausse

BNP Parisbas. L’hécatombe dans les agences

Schneider Electric. Licenciements très profitables

Sébastien Crépel

 

Tag(s) : #Economie, #CAC 40, #Profits
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