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La démocratisation, nécessite politique ou stratagème pour justifier le droit d’ingérence ? Par Michel Raimbaud, ancien Ambassadeur de France
La démocratisation, nécessite politique ou stratagème pour justifier le droit d’ingérence ? Par Michel Raimbaud, ancien Ambassadeur de France

Les Crises

Texte de l’intervention de Michel Raimbaud au colloque de l’UFAC (Union des Universitaires Algériens et Franco algériens), dont la 5eme session s’est tenue à Marseille le 7 avril 2018, sous le thème « Méditerranée : enjeux pour la paix dans la diversité ». Ancien Ambassadeur de France au Soudan, en Mauritanie et au Zimbabwe, auteur de « Le Soudan dans tous ses états : L’espace soudanais à l’épreuve du temps » Paris Karthala 2012 et « Tempête sur le Grand Moyen Orient », éditions Ellipses 2015, réédition 2017.

La rédaction

Les sujets proposés à la réflexion et au débat d’aujourd’hui sont évidemment tous d’actualité. Il n’a donc pas été facile de faire un choix. Pourtant l’un des thèmes proposés a attiré mon attention. A la lumière des expériences nombreuses -pour ne pas dire innombrables- où la « démocratisation » est présentée comme l’enjeu principal, on peut effectivement se demander si celle-ci est «une nécessité politique ou plutôt un stratagème (de classe) pour la prise de pouvoir»…

Sûrement un stratagème dans bien des cas, mais pas forcément un stratagème « de classe » au sens marxiste du terme, dans la mesure où il vise très souvent à remplacer le parti ou le candidat « blanc bonnet » par le candidat ou le parti « bonnet blanc », le tenant du titre et son challenger partageant en général les mêmes idées, offrant les mêmes options à des détails près. Les exemples sont omniprésents…

N’engageant que ceux ou celles qui y croient, la promesse de chasser un « régime autoritaire » peut n’être qu’un stratagème, qui amènera un pouvoir nouveau, en général aussi autoritaire que le précédent, sinon davantage. La « démocratisation » n’est alors qu’un slogan programmant de déshabiller Pierre pour habiller Paul sans envisager un instant que le monde change de base.

1 – La démocratisation, un stratagème ?

La démocratisation est une nécessité politique, il est difficile de le nier, mais il est rare qu’elle tienne ses promesses lorsqu’elle figure dans un programme.

Quand elle vient, c’est par surcroît (pour ne pas dire par miracle) et elle reste l’objet d’une bataille permanente, y compris et notamment dans nos « grandes démocraties » qui méritent d’ailleurs de moins en moins ce qualificatif par lequel elles s’auto-désignent. Il n’est donc pas monstrueux de voir dans cette « démocratisation » -promesse de démocratie- un stratagème plus qu’un engagement sincère ou crédible.

A en croire les dictionnaires, le stratagème n’est pas seulement l’équivalent d’une stratégie ou d’un plan; il n’est pas seulement un moyen comme un autre permettant d’obtenir un résultat. Dans le terme se glisse une connotation de « ruse de guerre », de «méthode qui vise à tromper ou induire en erreur», quand ce n’est pas de malhonnêteté, de «manœuvre suspecte et condamnable».

Ce n’est évidemment pas la démocratisation elle-même qui est condamnable et malhonnête, mais le fait de la promettre comme priorité des priorités ou comme perspective afin de parvenir à un objectif qui est tout autre, ce qui revient donc à induire en erreur ceux à qui s’adresse cette promesse.

Voilà qui m’amène à évoquer l’une des variantes du stratagème en question, variante dont on a vu de nombreuses illustrations dans les « révolutions arabes » de ces dernières années. Dans ces conflits, qualifiés à tort de « printemps », la « démocratisation » a été sur-invoquée. Il s’agissait en réalité (c’est ce que démontre la suite des évènements) d’induire en erreur les populations, convaincues de combattre « pour instaurer la démocratie » et de tromper les membres de la communauté des nations, afin de justifier un droit nouveau, le « droit d’ingérence ».

L’objectif de cette ingérence désirée est au final de faciliter une prise de pouvoir par des forces aux objectifs démocratiques aléatoires, appuyées et la plupart du temps téléguidées de l’étranger, un étranger peu compétent en matière de démocratie. Mais cela importe peu, puisque la finalité véritable est de provoquer un « changement de régime », rêve commun des pays de l’arrogance et des régimes rétrogrades et fanatiques.

On sait combien les pays de l’Empire Atlantique (Amérique, Europe et Israël) sont friands de cette filière : la démocratisation brandie en slogan (une nécessité politique qui constitue l’objectif prétexte) sert en réalité de stratagème pour justifier une intervention diplomatique puis militaire, décidée au nom de la « Responsabilité de Protéger » (version évoluée du droit d’ingérence), via une résolution du Conseil de Sécurité.

Répétons-le, cette intervention, de toute façon illégitime voire illégale, n’a aucunement pour objectif d’apporter ou même d’imposer la « démocratisation », mais vise à provoquer un « changement de régime », c’est-à-dire le remplacement du pouvoir existant qui déplait par un «régime» qui plait, non pas démocratique (car tout le monde s’en moque), mais docile face aux intérêts des parrains étrangers ci-dessus évoqués.

Il est facile de mettre un nom sur les forces locales ou régionales qui se font les fourriers de ce stratagème, puisque les exemples ont été particulièrement nombreux depuis quelques années sur la rive sud de notre Méditerranée, notamment depuis que George W. Bush, de sinistre mémoire, a montré la voie en présentant au monde en février 2004 son Grand Moyen-Orient: rendu public le 13 février 2004 par le journal Al Hayat, ce projet prévoit de réformer, de «démocratiser», de sécuriser et surtout de «libéraliser» la zone allant de la Mauritanie au Pakistan.

C’est le prétexte présentable pour les « régimes » dont la politique fait fi des principes du droit international. Mais Debeliou vise surtout à contrôler les ressources énergétiques de la zone, à encercler la Russie et à ôter sa « centralité » à la cause palestinienne, naguère sacrée pour les Arabes.

La « démocratisation » prétexte est censée rendre la région plus « conciliante » envers l’Amérique (après la destruction de l’Etat irakien) et envers l’Etat juif…

2 – Les principes fondamentaux du droit international

L’égalité souveraine des États et la non-ingérence, principes dits westphaliens en souvenir des Traités de Westphalie d’octobre 1648, qui consacrent les Etats comme acteurs principaux des relations internationales, constituent les deux fondements de la Charte signée à San Francisco le 26 juin 1945, connue sous le nom de Charte des Nations-Unies.

La souveraineté des Etats trouve son fondement sur le principe de l’égalité de droit entre les peuples et leur droit à disposer d’eux-mêmes. Cette souveraineté s’exerce à l’intérieur de l’Etat et vis-à-vis de l’extérieur, le respect de cette souveraineté sous ses deux aspects se traduisant à son tour par le principe dit « en raccourci » de non-ingérence.

En inscrivant ces deux principes dans la Charte au terme des horreurs de la Seconde Guerre Mondiale, les législateurs avaient le souci de protéger les États plus faibles et/ou les plus pauvres contre les Grands, riches et puissants, l’agressivité des forts contre les plus vulnérables étant considérée à juste titre comme le risque majeur pour la stabilité et la sécurité du monde.

Au droit des peuples à l’autodétermination (évoqué précédemment) fait écho un quatrième principe –le principe de neutralité idéologique– qui viendra se greffer sur les trois précédents. Promu par le bloc communiste et les Non-Alignés, et confirmé en 1970 par l’Assemblée Générale des Nations-Unies dans sa résolution 2625 (XXV), il conforte « le droit inaliénable de tout État à choisir son système politique, économique, social et culturel, sans aucune forme d’ingérence de la part d’un autre État ». Il ne sera pas entériné au niveau du Conseil de Sécurité, les Occidentaux ne l’acceptant pas.

Mais il garde toute sa valeur juridique, bien qu’il soit superbement ignoré par les seigneurs de l’Empire Atlantique, obsédés par leur droit divin à décider seuls du destin d’autrui.

3 – Les Nations-Unies, combien de divisions ?

Durant la guerre froide, ces fondamentaux sont écornés à la faveur d’une règle du jeu implicite qui en limite la portée à l’intérieur de chacun des deux blocs. Les deux Super-Grands entendent être maîtres chez eux. Les États-Unis considèrent le « monde libre » comme leur domaine, ne tolérant pas d’écart chez leurs vassaux.

Ligotés par le Plan Marshall et l’aide US à la reconstruction, s’en étant remis une fois pour toutes à l’Amérique pour leur défense contre le communisme, les Européens filent doux, heureux et soumis et qui plus est contents de l’être.

La France et la Grande-Bretagne ont même droit à des espaces de sous-traitance, notamment dans leurs empires coloniaux vacillants. Au risque de se faire rappeler à l’ordre le cas échéant. L’Amérique, qui ne se gêne pas pour faire la loi dans son arrière-cour latino-américaine, garde encore un profil bas en Afrique et dans le monde arabe, mais se réserve le droit de condamner, voire de contrer telle ou telle entreprise néocoloniale : le coup d’arrêt donné par l’ultimatum conjoint de l’Amérique et de l’URSS à la fameuse expédition tripartite franco-anglo-israélienne de 1956 contre l’Égypte de Nasser en témoigne.

Dans le camp d’en face, les principes sont défendus avec intransigeance face «à l’impérialisme», mais il faut reconnaître qu’au sein de la communauté socialiste, la doctrine Brejnev ne laisse aux pays frères qu’une «souveraineté limitée» au nom de la défense des intérêts supérieurs du communisme.

Les évolutions qui marquent l’après-guerre vont introduire des inflexions dans cet ordre gendarmesque, mais somme toute équilibré.

Les décolonisations, la création du mouvement non-aligné, l’affrontement idéologique entre les deux Mecques du communisme, Moscou et Pékin, les révoltes à l’Est contre un socialisme trop réel, la prise de distance de la France par rapport à l’Amérique au nom de l’indépendance nationale, vont amener de l’oxygène à la vie internationale.

Cet équilibre sera rompu de façon imprévue par le sabordage de l’URSS, allant de pair avec la dissolution du bloc communiste et entraînant la fin du conflit est-ouest. Si ce séisme en douceur, finalisé sans réplique à la Noël 1991, est salué comme un grand bond en avant par les apprentis maîtres de l’univers, il ouvre à la communauté des nations l’une des périodes les plus étouffantes et les plus injustes qu’elle ait jamais vécues.

La fin de la guerre froide ayant sonné le glas pour l’ordre bipolaire Est – Ouest, les grandes heures du Mouvement des Non-Alignés appartiennent à un passé sans doute révolu: les deux décennies 1991/2011 du «moment unipolaire américain» réduiront de facto le choix idéologique potentiel à la soumission à l’ordre atlantique (rejoindre la «communauté internationale» de la bande des Trois occidentaux ) ou à la relégation vers le statut de hors-la-loi (en tant qu’Etat failli ou en faillite, paria ou voyou).

La naissance idéologique de la «communauté internationale» marque les débuts de l’offensive visant à réduire, au nom de la mondialisation, la portée des deux principes ci-dessus mentionnés (souveraineté des États et non-ingérence) et à introduire progressivement la prééminence d’un «droit d’ingérence» qui donnerait à la dite « communauté internationale » les moyens juridiques d’intervenir, quasiment à volonté, dans les Rogue-States, en décomposition ou en voie de démantèlement, selon la terminologie des experts US.

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Tag(s) : #Impérialisme
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