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A Commercy, le modèle des gilets jaunes meusiens érigé en exemple national
Libération
 
AG DES AG
A Commercy

Par Guillaume Krempp et Khedidja Zerouali

Plus de 400 gilets jaunes venus de toute la France ont répondu samedi à l'appel de Commercy, lancé en décembre pour créer une coordination du mouvement au niveau national sur le modèle des Assemblées quotidiennes pratiquées dans la Meuse.

Dans la salle polyvalente de Sorcy-Saint-Martin (Meuse), plus de 250 gilets jaunes de toute la France se passent le micro. En ce froid samedi de janvier, des porte-paroles de groupes bretons, de région parisienne ou encore d’Occitanie ont répondu à «l’appel de Commercy».

Dès 13h, ils racontent leur lutte sur les ronds-points, leurs blocages et leurs manifestations. La pièce est bondée. Une centaine de personnes assistent à cette «Assemblée des assemblées» devant un écran installé sous une tonnelle. L’objectif : créer une coordination du mouvement au niveau national.

A Commercy, commune de 5 600 habitants, chacun s’étonne du succès du rendez-vous annoncé en décembre. Deux vidéos appelant les gilets jaunes à converger dans la Meuse auront suffi. «On est passé du statut de trou du cul du monde à celui de nombril de la France», s’amuse Dominique, ancien agent municipal.

Le micro jaune continue de valser dans la salle durant toute l’après-midi. Plusieurs conseils sont donnés pour rendre le mouvement plus égalitaire. Une règle est d’ores-et-déjà respectée : la parité dans la représentation de chaque groupe. La déléguée de l’assemblée «Strasbourg République» finit son intervention sous les applaudissements nourris. Pour elle, «le vrai débat national, c’est ici» Ils sont nombreux à prendre la parole pour rejeter la concertation proposée par le gouvernement.

Lors de l' assemblée génèrale des gilets jaunes de Commercy, le 26 janvier.

Photo Cyril Zannettacci. Agence VU pour Libération

«On peut s'écouter et prendre des décisions»

Dans le fond de la salle, Ladislas reste debout, un bonnet vert kaki vissé sur la tête et un ruban blanc attaché au bras. Membre de l’organisation de cette réunion, il n’habite pas dans le coin. A 47 ans, cet ancien professeur de philosophie vit dans un village autogéré dans les Cévennes. Depuis le 5 décembre, il arpente les ronds-points de toute la France en stop.

Suite à son passage par la Meuse, Ladislas a décidé de vanter les mérites des gilets jaunes de Commercy dans le reste du pays. Il a commencé par se rendre dans le Nord, avec un enseignement : «Dans les grandes villes, les réunions ne permettent pas de se mettre d’accord. Avec de petites assemblées, de trente ou quarante personnes, on peut s’écouter et prendre des décisions.»

Gilet jaune de la première heure, Steven Mathieu coordonne le mouvement à Commercy. Dès le 10 novembre, il a proposé de tenir des assemblées quotidiennes. L’objectif : permettre à tout le monde de s’exprimer et de voter pour toutes les décisions, même l’achat d’un cahier de revendications. Sourire aux lèvres, à la veille de «l’Assemblée des assemblées», il évoquait les nombreux mails de toute la France : «Plusieurs groupes s’inspirent de notre fonctionnement et nous disent : merci d’exister.»

«Citoyens du tiers-monde en France»

Au cœur de la Meuse, tous les gilets jaunes savourent cette montée en puissance de la mobilisation. Pour beaucoup, ce succès a le goût d’une revanche. «Banou», 64 ans, vit dans la banlieue de Commercy depuis six ans. Pour elle, les «Meusiens en ont marre de passer pour des citoyens du tiers-monde en France.»

Commercy porte les stigmates de la désindustrialisation. Dans des rues ponctuées de volets délavés, des panneaux «A louer» témoignent du déclin démographique. Les ouvrières textiles du groupe Baussac vivaient dans ces appartements dans les années 80. Une bénévole de la Croix Rouge évoque l’âge d’or révolu, «quand la moitié de la France faisait ses garnisons ici et que les usines Lesforges tournaient à plein régime.» Elle se console en évoquant les madeleines, spécialité locale, et l’ouverture prochaine d’un MacDonald.

Au fil des assemblées générales, les gilets jaunes du coin ont construit une solidarité à toute épreuve. Dans leur cabane, installée au centre-ville, ils sont une quinzaine à discuter, à rire ou à nourrir le feu, indispensable. Une véritable famille militante est née de cette mobilisation à petite échelle : «En refaisant la démocratie, des gens qui souffraient reprennent espoir. Tout semble à nouveau possible», témoigne Guy, retraité et bénévoles dans plusieurs associations.

Lors de l' assemblée génèrale des gilets jaunes à Commercy, le 26 janvier

Photo Cyril Zannettacci. Agence VU pour Libération

Cette soif de pouvoir politique prend racine non loin de Bure. Isabelle Masson-Loodts a filmé la révolte des opposants à l’enfouissement des déchets radioactifs. Entre répression et contrôle judiciaire des militants, la documentariste a eu le sentiment d’observer «une vieille colonie en guerre.» Elle n’est pas étonnée de voir des Meusiens aussi déterminés qu’organisés : «Là où le déni de démocratie est le plus fort, la population reprend contact avec le politique.»

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