Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

​Air France bientôt Air Pays-Bas ? Comment l'offensive néérlandaise concrétise la perte de contrôle d'un fleuron national

Marianne

L'acquisition de 12,68% du groupe par le gouvernement néerlandais, ce mardi 26 février, a été accueillie avec surprise à Paris, alors qu'une lutte d'influence commence entre Paris et Amsterdam.
 
Stupeur à la tête de l'Etat français ce mercredi 27 février : dans le plus grand secret, le gouvernement néerlandais a annoncé avoir acquis, ce mardi 26 février, une participation de 12,68% dans Air France-KLM pour 680 millions d'euros. Le gouvernement français, écarté de cette opération boursière, n'aura été tenu au courant qu'une heure précédant l'annonce officielle. Bruno Le Maire, ministre des Finances, a ainsi constaté un achat qui s'est fait "sans information du conseil d'administration ni du gouvernement français". En dépit de la réaction très froide de son partenaire français, les Pays-Bas ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin et entendent porter leur participation au même niveau que celui de la France dans le groupe. De quoi démarrer une lutte d'influence entre les deux pays et fragiliser la position de la France.
 
Jusqu'à présent, le capital était détenu par l'Etat français, à hauteur de 14,3%, Delta Air Lines et China Airlines, tous deux à 8,80%, les employés du groupe (3,90%), environ 64% des parts étant concentrées entre les mains d'actionnaires non-identifiés : "Comme dans la plupart des entreprises françaises entrées au Cac 40, une bonne partie du capital d'Air France KLM est flottant", explique Christophe Ramaux, économiste et maître de conférences à l'université Paris I. Celui-ci est détenu par des fonds institutionnels, des fonds de pension, des compagnies d'assurances, chacun à une très faible participation. "L'Etat néerlandais en a profité pour les acheter très vite et défendre ses intérêts", ajoute-t-il.
 
KLM "VACHE À LAIT" D'AIR FRANCE
 
Car comme l'a martelé Wopke Hoesktra ce mardi, "avec cette acquisition, le gouvernement néerlandais veut pouvoir influencer directement le développement futur d'air France-KLM afin d'assurer de la meilleure façon l'intérêt public néerlandais". Le calendrier de ce raid boursier n'est en effet pas anodin : il se fait après les très bons résultats de la branche néerlandaise du groupe en 2018. Selon les résultats annuels, publiés ce 20 février, 80% des bénéfices de l'entreprise sont le fait de KLM. "Pendant ce temps, Air France faisait face à une grève de ses pilotes", note l'économiste Henri Sterdyniak. Une situation qui n'a fait que renforcer les griefs de la partie néerlandaise. Le 20 février, le précédent directeur de KLM Cargo, Rein Westra, expliquait ainsi au quotidien De Telegraaf qu'il craignait que son ancien employeur ne devienne la "vache à lait" d'Air France.
 
KLM redoute de plus d'être affaibli par l'arrivée du canadien Benjamin Smith, nommé directeur général d'Air France-KLM en août 2018. Depuis, le nouveau patron du groupe n'a cessé de vouloir afficher son ascendant sur la branche néerlandaise, réclamant, notamment, de siéger à son conseil de surveillance. Racheté en 2003 par Air France, KLM n'avait jamais pourtant permis jusqu'ici à un dirigeant du groupe d'y pénétrer. "Benjamin Smith est arrivé avec la volonté de tout remettre à plat. Sans position décisionnaire, les Pays-Bas craignaient que cette nouvelle direction ne leur soit défavorable, explique Henri Sterdyniak, chercheur affilié à l'Observatoire français des conjonctures économiques.
 
BATAILLE D'AÉROPORTS

Alors que la majorité des pouvoirs de décisions du groupe se concentrent entre les mains de Benjamin Smith, les Néerlandais craignent une mise à l'écart de leur aéroport d'Amsterdam-Schiphol. "Une décision de Smith favorisant l'aéroport de Charles De Gaulle au détriment de celui d'Amsterdam-Schiphol, primordial dans la stratégie de KLM, serait inacceptable pour les Néerlandais", analyse Henri Sterdyniak. Christophe Ramaux renchérit : "Il est aussi capital pour KLM que Roissy l'est pour Air France". L'économiste voit l'arrivée en force de l'Etat néerlandais dans le capital d'Air France-KLM comme "le marqueur d'une vraie politique industrielle qui fait défaut à la France" : "Au Pays-Bas, on se bat pour que l'aéroport d'Amsterdam-Schiphol conserve son importance au bénéfice de KLM. L'Etat français, lui, préfère privatiser Aéroport de Paris".

 

Pour Christophe Ramaux, cette situation est ainsi la suite logique de l'attitude adoptée jusqu'ici par le gouvernement français vis-à-vis du groupe aéronautique : "Air France est prise en tenaille entre des compagnies low-cost et des compagnies du Golfe, largement subventionnées par leur pays d'origine,analyse-t-il. Si la seule réponse du gouvernement est que le marché doit faire son oeuvre, c'est complètement naïf". Une position qui rend selon lui logique la stratégie de l'Etat néerlandais : "Un État réputé ultra libéral donne une leçon de colbertisme ! s'exclame-t-il. Ils ont compris que la puissance publique se doit de jouer un rôle majeur dans ces questions de politiques industrielles dont dépendent de vraies notions de souveraineté."

Le coup boursier de l'Etat néerlandais ne modifiera toutefois pas immédiatement les forces au sein d'Air France KLM. Car si les Pays-Bas peuvent continuer d'accroître leur participation, jusqu'à atteindre celle de l'Etat français, celui-ci possède des droits de vote double, à quoi s'ajoute les 4% du capital détenus par les salariés d'Air France. Pour le moment, la position de la France ne devrait donc pas être menacée : "Cela forcera sans doute les Français à revenir négocier autour de la table, et peut-être, qui sait, à défendre leurs intérêts", ironise Christophe Ramaux. Mais demain, qu'en sera-t-il ?

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :