par Charles Hoareau (ANC)
Curieusement, dans la période qui a précédé le 52ème congrès de la CGT ont fleuri des expressions sur le syndicalisme international comme si cela devait être le thème majeur du 52ème congrès. Outre le fait que cette passion soudaine pour les questions internationales contraste avec l’absence de débat qu’il y a eu en 2006 sur l’affiliation à la CSI, (décision prise hors congrès), on ne peut que s’interroger car c’est loin d’être le thème central du document du 52ème et loin d’être aussi le thème des débats qui traversent les membres de la CGT actuellement me semble-t-il.
Curieusement aussi ces textes ont été rendus publics hors congrès, comme s’ils voulaient peser sur celui-ci en dehors des espaces prévus à cet effet par les statuts de la CGT.
Le congrès étant passé je me permets quelques réflexions personnelles.
A lire ce que je lis et à entendre ce que j’entends, pour nombre de syndiqué-e-s ce qui importait d’abord c’était de débattre du bilan objectif de l’activité de la CGT et de sa direction, de la convergence que nous avons ou pas avec toutes les formes de lutte en cours, gilets jaunes compris, de discuter collectivement de ce que la direction confédérale aurait dû impulser ou pas autour du 27 avril, de savoir si le 9 mai devait rester uniquement fonction publique mais être un appel à la grève générale…etc…Toutes questions qui ne trouveront pas leur réponse dans une affiliation internationale quelle qu’elle soit.
Naïvement j’aurais pensé que les discussions et contributions publiques porteraient principalement là-dessus…Mais bon puisque c’est l’international qui passionne allons-y mais allons-y en toute franchise pour ne pas dire honnêteté. D’autant que le congrès a donné une réponse nette et massive à celles et ceux qui avaient voulu porter le débat sur des bases faussées et pas seulement par le vote de l’amendement qui a fait couler beaucoup d’encre.
D’abord le débat n’est pas, et le congrès l’a rappelé, entre celles et ceux qui veulent quitter la CES (ce que la FSM n’a jamais demandé à quiconque) et celles et ceux qui veulent y rester, mais il est de savoir de quelle activité internationale on a besoin et avec qui la mener.
Ensuite puisqu’il y a deux confédérations et donc des divergences entre elles autant les étudier avec sérieux en évitant toute caricature et contrevérité.
D’abord précisons une chose : contrairement à ce qui est écrit ici ou là, la Chine qui compte 100 millions de syndiqués n’a pas d’affiliation internationale. Donc parler d’elle comme d’une affiliée FSM est pour le moins une erreur de taille. Tout au plus peut-on préciser que la FSM, contrairement à la CSI, ne refuse pas de discuter avec les syndicats chinois, ni d’ailleurs avec aucun syndicat du monde. C’est cette position de principe qui fait que la FSM prévoit dans ses statuts, contrairement à la CSI, la possibilité de double affiliation CSI/FSM.
Ensuite écrire que la FSM « fait allégeance (sic !) à des syndicats officiels qui ne sont que des émanations de l’état » est tout simplement mensonger et se retourne comme un boomerang sur les auteurs de cet écrit. A ce compte là la CGT doit se retirer de la CSI puisque, pour ne prendre qu’un exemple, non seulement elle refuse de condamner la politique d’Israël mais pire elle a élu à son conseil présidentiel la représentante de Histadrout, le syndicat israélien, l’un des plus gros employeurs du pays et qui a dans ses statuts la défense exclusive des juifs.
Et puis celles et ceux qui pensent qu’il y a des syndicats infréquentables dans la FSM supposent ils que tous les syndicats de la CES/CSI sont fréquentables ? A commencer par la CFDT future présidente ?
La FSM ne fait allégeance à personne ni à un état, ni à aucune instance internationale contrairement d’ailleurs à la CSI qui stipule dans ses statuts l’obéissance à l’ONU et qui invite régulièrement à la tribune de ses congrès les représentants du FMI, de la banque mondiale et de l’OMC.
Et si on parle d’allégeance que dire des positions de la CES qui a approuvé tous les traités européens et est outrageusement financée par l’UE ?
Quant à prétendre que la FSM n’aurait « pas un fonctionnement démocratique » on se demande sur quoi se fondent les camarades qui disent cela et qui ne fréquentent aucune des réunions où la FSM les invite comme ce fut le cas encore lors du dernier congrès où la CGT a, hélas, une fois de plus brillé par son absence.
Concernant les organisations affiliées à la FSM, s’offusquer du fait que certaines dans le monde n’ont pas la même conception du rapport au politique c’est vouloir dicter notre modèle et en plus être totalement hypocrite.
Les signataires des textes en question ont-ils oublié que le DGB allemand, le TUC britannique, l’AFL-CIO américain ont tous des liens organiques avec un parti de leur pays ? Que ce modèle de syndicalisme où une part de la cotisation syndicale est reversée au parti est même le modèle dominant en Europe et Amérique du Nord ? A les lire ce serait alors aussi une raison de quitter la CSI !!!
De surcroît, sans faire trop long on peut s’inscrire en faux sur ce qui est écrit sur le supposé soutien de la FSM à Erdogan [1], au régime syrien, au Qatar ou autre pouvoir en place [2] : « mentez, mentez il en restera toujours quelque chose ! » (Molière) et pour chacun des pays cités on pourrait répondre point par point aux allégations qui sont d’autant plus honteuses quand on parle de pays où des syndicats affiliés à la FSM sont confrontés à la répression. Refuser la guerre en Syrie ou en Libye n’est en aucun cas un soutien aux régimes en place. C’est une position de classe que la CGT devrait partager ayant toujours été dans le passé dans le camp de la paix.
Ce qui est sûr c’est que le syndicalisme est d’une grande diversité et autonome pour ses choix en particulier quand il est affilié à la FSM. Car là aussi existe une autre différence. La FSM ne se mêle pas des débats internes entre organisations à l’intérieur d’un même pays. Elle le fait d’autant plus que dans ses statuts chaque organisation syndicale est souveraine chez elle contrairement à la CSI où le vote se fait au nombre d’adhérents et qu’une décision peut donc s’imposer à une organisation nationale.
Cette différence de conception sur l’autonomie et la prise en compte de la diversité aboutit de fait à vouloir imposer au monde le modèle syndical nord-américain et européen…le colonialisme syndical n’est pas loin et c’est aussi ce qui explique que l’on assiste de fait avec ces deux centrales internationales à un « syndicalisme majoritairement de pays riches » incarné par la CSI et la CES face à un « syndicalisme majoritairement de pays pauvres » pour la FSM.
Et que pensent les auteurs des différents écrits, des organisations syndicales qui de par le monde ont la double affiliation ou sont dans les unions syndicales internationales FSM/CSI ? Elles sont libres en décembre quand elles vont au congrès de la CSI à Copenhague et staliniennes quand elles vont à Djibouti à la rencontre FSM en janvier ?
Dire que la FSM est refermée sur elle-même alors que ses effectifs ont progressé de 28% en 4 ans pour atteindre aujourd’hui les 100 millions c’est un peu fort.
Dire qu’elle n’a pas « d’action concrète » alors que la plus grande grève de l’histoire de l’humanité a eu lieu en Inde à l’initiative de deux confédérations (le CITU et l’AITUC) affiliées à la FSM c’est faire pour le moins preuve de manque d’humilité.
C’est quoi une action concrète en soutien aux travailleurs en lutte en France ? C’est appeler à des rassemblements devant les ambassades de France dans le monde comme l’a fait en 2016 la FSM ou faire signer, pendant la grève des cheminots français, une pétition appelant dans le cadre d’une privatisation acceptée « à une concurrence libre et non faussée » comme l’a fait la CES, organisation européenne de la CSI ? C’est d’ailleurs curieux que cela ait échappé à des cheminots signataires d’une des contributions sur le syndicalisme international…
Appeler à combattre l’impérialisme, soutenir la lutte des palestiniens et s’engager dans la campagne BDS, condamner l’ingérence américaine au Venezuela ou le blocus de Cuba comme le fait la FSM et ne fait pas la CSI c’est de la rhétorique ou un soutien nécessaire ?
Puisqu’on parle de concret et que je vois soudainement à plusieurs reprises et à ma grande satisfaction citer la Corée du sud et la KCTU sa principale confédération, voilà effectivement un exemple concret. Dire que la KCTU [3] est combative dans nombre de ses secteurs c’est l’évidence même et j’ai pu le constater au cours de mes déplacements et mes rencontres syndicales sur place. Cette combativité les syndicalistes l’ont souvent payée de la prison, l’ancien secrétaire général de la KCTU n’ayant été libéré qu’à l’automne dernier. C’est dans ce demi pays occupé par les américains qu’une antenne FSM s’est créée avec des syndicats et des organisations nationales de la KCTU.
La FSM condamnant l’impérialisme, de quelque pays qu’il vienne, soutient la volonté des travailleurs d’être moteurs de la réunification…ce que la CSI ne fait pas : elle attend peut-être le feu vert du gouvernement des USA ? Il faut croire que les positions de la FSM ne sont pas mal reçues puisque le drapeau coréen de la FSM flottait dans la manif du 1er mai où il a été fort applaudi, la FSM étant la seule organisation internationale présente.
Et pour être encore plus concret, ma coopération avec la Corée a démarré fin 2016 quand les SAMSUNG sont venus en Europe pour dénoncer les conditions de travail sur les semi-conducteurs qui ont entrainé des centaines de leucémies. Force est de constater que, Informée de la tournée, la FSM a immédiatement soutenu leur action, monte depuis avec les salariés de SAMSUNG une campagne internationale de sensibilisation des consommateurs en particulier en Europe 1er client de SAMSUNG, demande une enquête impartiale de l’OMS et a saisi l’assemblée plénière de l’OIT. Pour le moment la CSI se tait et l’OIT ne réagit guère…
Charles Hoareau
NOTES
[1] Les déclarations de la FSM sur ce sujet sont aisément consultables sur le Net de même que celle des syndicats turcs dont la DISK avec qui elle travaille, ce qui contredit ce qui a été réaffirmé à la tribune du congrès sur un silence supposé des syndicats turcs sur la répression des kurdes.
[2] Ce qui est dit par les détracteurs de la FSM sur les syndicats de Corée du Nord ou du Vietnam pourrait aussi s’appliquer à la CTC de Cuba avec laquelle la direction s’est curieusement flattée au congrès d’avoir des relations.
[3] Pas sûr qu’au-delà du compliment elle apprécie de la part des laudateurs les jugements péremptoires sur son homologue de la Corée du Nord envers laquelle elle ne témoigne d’aucun ostracisme mais développe des liens dans les limites de ce que permet la loi héritée de la dictature sud-coréenne qui interdit tout rapprochement avec la Corée du Nord.