Toute la journée hier, et jusqu’à tard dans la nuit, l’Assemblée Nationale a examiné la loi d’exception pour la restauration de Notre-Dame, et nous avons suivi les débats à peu près intégralement. La loi a été adoptée, et elle l’a été à peu de choses près de manière identique à celle qui était examinée.
Nous ne sommes pas familier des débats parlementaires, mais la manière dont celui-ci s’est déroulé était édifiante. Malgré la pugnacité argumentée de députés de tous bords politiques, qui se sont efforcés, articles après articles, de modifier ce texte scélérat (voir notre article), aucun amendement autre que ceux endossés par le gouvernement n’a été adopté, même les plus anodins, même les plus censés, qui n’auraient par ailleurs rien changé au contenu général du texte.
On ne s’attendait évidemment pas à ce que la chambre supprime purement et simplement l’article 8 [1] (création d’un établissement public spécifique) ou l’article 9 [2] (dérogations possibles sur de nombreux codes, dont ceux du patrimoine et de l’environnement) comme certains parlementaires l’ont demandé. Un article 9 d’ailleurs dont la rapporteuse, Anne Brugnera, avait indiqué qu’il serait réécrit lors de l’examen en commission des affaires culturelles, un mensonge pur et simple puisque celui examiné était peu ou prou le même depuis l’écriture du texte.
Les contre-vérités ont été nombreuses, et les champions en furent bien Mme Brugnera et M. Riester. Nous avons inlassablement tweeté pendant toute la séance, et publié deux articles pendant celle-ci, ce qui n’a d’ailleurs pas été fait en vain, car nous avons eu la satisfaction (on la trouve où l’on peut) d’être cité par le vice-président de l’Assemblée Nationale (voir la vidéo ci-dessous), Marc Le Fur [3].
Le ministre de la Culture a en effet tordu la charte de Venise pour lui faire dire l’inverse de ce qu’elle disait (voir notre article). Manifestement, sur ce sujet et sur tous les autres, ce ministre n’est absolument pas au niveau. Il a par exemple, pour justifier l’organisation d’un concours pour la reconstruction de la flèche, expliqué que celle de Viollet-le-Duc avait fait l’objet d’un concours, ce qui est faux. Et même si cela avait été vrai, il oublie simplement que cette flèche existe encore en partie (les sculptures) et que sa restauration n’est pas du domaine de l’hypothèse, ce qui rend sa restauration obligatoire dans le cadre du code du patrimoine et de la charte de Venise.
Il y avait, hier à l’Assemblée, une ligne politique qui soudait dans un même élan la rapporteuse, le ministre de la Culture et les députés En Marche, soutenus pour une grande partie des députés MODEM (mais pas tous, citons notamment l’exception de Jean-Louis Bourlanges).
Des sujets sont revenus à plusieurs reprises, lors de la discussion de différents articles, mais rien n’y a fait : il n’est pas question pour Franck Riester de restaurer Notre-Dame de Paris à l’identique (et les députés précisaient bien qu’il s’agissait d’un « identique » dans son aspect extérieur, qui n’engageait pas sur les matériaux à utiliser), il n’est pas question pour Franck Riester de prévoir une utilisation des fonds éventuellement en trop pour les autres cathédrales et il n’est même pas question pour Franck Riester d’inclure dans cette loi d’exception qu’aucune publicité ne pourra être affichée sur le chantier de restauration de Notre-Dame. Pour lui en effet, cela n’est pas à inclure dans la loi. Alors que l’inverse (déroger à la loi sur l’affichage publicitaire sur les monuments historiques) a été prévu dans la loi d’exception olympique !
Plus curieux encore : à propos de l’article 8 qui prévoit la création d’un établissement public, le ministre a dit qu’il n’était pas encore sûr que cet établissement serait créé et que la direction du chantier pourrait être éventuellement prise en charge directement par ses services ! Les députés se sont donc interrogés sur l’existence de cet article 8, et le ministre a répondu que cela laissait la possibilité de créer un EPIC si cela était nécessaire, mais qu’il était trop tôt pour le savoir.
On nage en pleine confusion comme l’a fait remarquer notamment Marc Le Fur. Pourquoi parler d’EPIC (Établissement Public Industriel et Commercial) alors que tout le monde avait compris jusqu’à aujourd’hui qu’il s’agirait d’un EPA (Établissement Public Administratif) classique ? Un EPIC, bien que public, est censé avoir les missions d’une entreprise industrielle ou commerciale. On s’interroge sur la nature industrielle ou commerciale de la restauration de Notre-Dame ! Là encore, Franck Riester a indiqué qu’il était trop tôt pour savoir s’il faudrait plutôt un EPIC, ou un EMA. Bref, il est trop tôt pour savoir comment gérer le chantier, mais pas pour faire une loi d’exception à ce sujet…
Ajoutons que les mots « maîtrise d’ouvrage » sont absents de l’article 8, ce qui occasionne une confusion entre maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre, l’écriture actuelle (« concevoir, réaliser et coordonner les travaux ») engendrant une confusion entre les deux termes comme l’ont fait remarquer des députés. Mais cela encore ne semble pas déranger le ministre.
Sur l’article 9, celui dont la rapporteuse avait promis qu’il serait « réécrit », beaucoup de députés ont tenté, en vain bien sûr, d’en obtenir l’abrogation ou des modifications conséquentes. Marc Le Fur, après avoir souligné que « cet article fait échapper à toutes les règles », rappelait à juste titre que : « C’est précisément lorsqu’on traverse des épreuves qu’il faut se montrer très respectueux des procédures. » et prenant un exemple sur l’attitude des Anglais pendant la seconde guerre mondiale. Cela a déclenché l’hilarité du ministre. Comme l’a alors dit Frédérique Dumas : « Vous avez souri, vous avez même ri : ce serait drôle, si vous n’étiez pas le ministre de la culture. » C’est exact. Franck Riester n’est pas drôle du tout. Un godillot parmi les autres.