La ponction de la nouvelle réforme de l'assurance chômage, voulue pour le 1er novembre 2019 par Emmanuel Macron, sur l’indemnisation des chômeurs, va les replonger dans les terribles dilemmes qui les paralysaient avant la réforme de 2014. Voici pourquoi.
"Avec cette réforme, nous visons une baisse du nombre de chômeurs de 150.000 à 250.000 sur les trois ans à venir. Loin d'une approche comptable et d'une logique de rabot, cette transformation de l'assurance chômage nous permettra d'atteindre plus de 3,4 milliards d'économies de 2019 à 2021", a martelé, mardi 18 juin aux partenaires sociaux, le Premier ministre Edouard Philippe en présentant les nouvelles règles d’indemnisation drastiques que son gouvernement entend promulguer prochainement par décret.
Un cynisme qui a déchaîné l’ire de tous les syndicats de salariés, à commencer par Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT. "Ce sera tout le contraire, cette réforme injuste, inique, pèsera sur l’activité", tonne l’ancien conseiller en insertion sociale. Et pour cause… "Il y a un chômeur sur deux qui est indemnisé. Avec la réforme du gouvernement, c’est un sur trois", complète Catherine Perret de la CGT. Quand le secrétaire général de Force ouvrière, Yves Veyrier, dénonce "un raisonnement consistant à faire le procès des salariés précaires qui seraient responsables de leur situation".
De fait, dans une France où 87% des embauches se font en CDD ou en intérim, cette ponction sur l’indemnisation des chômeurs va les replonger dans les terribles dilemmes qui les paralysaient avant la réforme de 2014. Explications.
RIP LES DROITS POUR 240.000 DEMANDEURS D'EMPLOI
Selon ces nouvelles règles applicables aux privés d'emplois inscrits à partir du 1er novembre 2019, il leur faudra en effet avoir travaillé six mois sur les 24 derniers mois pour être indemnisés (contre 4 sur 28 actuellement).
Ce qui, selon les calculs de la CFDT, signifie que 240.000 privés d'emplois, principalement des jeunes et des précaires, n'entreront pas immédiatement en indemnisation (ce qui, au passage, reculera d'autant leur accumulation de droits pour la retraite). Ils devront donc survivre des aides sociales destinées à lutter contre la pauvreté, à savoir le RSA, 559 euros pour une personne seule, 839 euros pour un couple.
Enfin, s'ils y ont droit car les moins de 25 ans sont censés, pour le percevoir, avoir exercé déjà deux ans une activité à temps plein sur les trois dernières années.
Condition rarement remplie !
Et lorsqu'ils signent un engagement de Garantie jeune (492 euros par mois,) ils sont censés ne recevoir aucun autre soutien hors le logement. Mais lorsque l'on se débat dans cette pauvreté, on survit, et se concentrer sur sa recherche d'emploi est une gageure. Se loger, se soigner, se déplacer au quotidien pour pourvoir accepter un travail un peu plus loin sont autant de freins à la reprise d'activité, comme l'expérimentent au quotidien les conseillers de Pôle emploi, des missions locales qui s'échinent à les lever un par un. Un travail de Sisyphe, si dans le même temps le gouvernement ouvre grand la trappe à pauvreté. D'autant que ce n'est pas le seul recul pervers de cette réforme...
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Si les décrets d'application imposés par le gouvernement confirment ses annonces, un demandeur d'emploi qui reprend une activité après le 1ernovembre n'engrangera de nouveaux droits à indemnisation que s'il cotise à nouveau pendant plus de six mois. Les chômeurs vont donc retomber dans les affres d'avant la réforme de 2014 qui leur garantissait justement d'améliorer leur situation dès la reprise d'un job, quel qu'il soit.
Ainsi, si une offre de mission de deux mois tombe, ils devront s'interroger : puis-je prendre le risque d'accepter ce boulot ? Ou dois-je attendre encore un peu dans l'espoir de décrocher un CDD de six mois minimum afin d'être sûr de ne pas me retrouver dans la panade, sans indemnisation, l'année prochaine ? Sachant que sur les 2,6 millions de projets de recrutement des entreprises en France, 35% - c'est-à-dire 942.250 - concernent des emplois non durables de moins de six mois, on voit à quel point ces doutes vont peser sur leur reprise d'emploi.
D'autant plus, qu'ils devront dans le même temps y réfléchir à deux fois avant d'accepter des temps partiels à répétition. Car leur indemnisation sera calculée, après le 1er avril 2020, sur la moyenne de leur rémunération mensuelle et non plus sur la base de leur salaire journalier, soit 200 euros de moins par mois selon certaines projections pour ceux qui cumulent miettes de boulot et indemnisation…
LA DÉGRESSIVITÉ POUR LES CADRES
VA PESER SUR LES AUTRES
Enfin, dernier effet pervers : comme dans le même temps, les cadres plus qualifiés seront incités au bout de six mois, par la baisse de 30% de leurs indemnités (avec un plancher à 2.261 euros net), à reprendre un poste pour lequel ils sont surqualifiés, on risque de renouer avec les effets d'éviction pernicieux observés en 2008 sur les CDD "durables" : relégués en queue de file d'attente, la situation des privés d'emplois les moins qualifiés se dégrade alors plus encore...
Un danger sur lequel alerte tout particulièrement François Hommeril, président de la CFE-CGC, qui lance une pétition contre l'imposition de cette dégressivité.
LE BONUS-MALUS MAL CIBLÉ
Le gouvernement aurait-il pu s'y prendre autrement pour remédier au dysfonctionnement du marché du travail ? Oui. En re-régulant simplement les CDD d'usages qui ont dérapé. En augmentant les cotisations perçues sur tous les contrats courts, puisque ces derniers permettent aussi aux employeurs de priver leurs recrues qui enchaînent ces engagements d'augmentations de salaire en rapport avec leur ancienneté dans un poste.
Or, il se contente d'imposer un système fragile de bonus-malus sur ces CDD courts qui ne concernera que six secteurs d’activité, responsables…de 34% seulement de ces engagements. Et 10 euros de taxe sur les CDD d'usage. Edouard Philippe aurait pu aussi, comme la CGT, le propose, demander aux employeurs de cotiser sur la totalité des salaires qu'ils versent à leurs salariés les mieux rémunérés, en supprimant le plafonnement existant à 13.508 euros.
Car cette mesure pèserait principalement sur les grands groupes en épargnant les PME, les artisans...
LES CHÔMEURS PAYENT CHER UN "MEILLEUR" PÔLE EMPLOI
Alors certes, en contrepartie, le gouvernement s'engage à mieux former et accompagner les privés d'emploi, ce qui est une très bonne chose.
Et la ministre du travail, Muriel Pénicaud, promet une concertation sur la situation délicate des séniors, 916.400 sur les 3,4 millions de demandeurs d'emplois inscrits en catégorie A, selon les derniers chiffres publiés par Pôle emploi.
Simplement, à l'aune des économies réalisées sur les chômeurs - quelque 3,4 milliards espérés -, ces derniers vont payer très cher ce meilleur suivi ! C'est pourquoi les syndicats se mobiliseront le 26 juin… en ordre dispersé : la CFDT, l'UNSA, la CFTC devant le ministère du Travail; la CGT devant le siège de l'Unedic.