Source : World Socialist Web Site, par Peter Symonds
Le président chinois Xi Jinping a accueilli la semaine dernière à Beijing le deuxième forum de l’un de ses principaux programmes – l’Initiative de la Ceinture et de la Route (ICR) – un vaste projet d’infrastructure visant à relier la Chine par l’Eurasie par voie terrestre et maritime et à renforcer sa position sur la scène mondiale.
Depuis sa première annonce en 2013, l’ICR a été de plus en plus critiquée par les États-Unis, qui la considèrent comme un défi à ses propres ambitions mondiales. Lorsque l’Italie est devenue la première puissance du G7 à signer officiellement le projet le mois dernier, le Conseil national de sécurité des États-Unis a publié un tweet déclarant que Rome donne une légitimité à «l’approche prédatrice de la Chine en matière d’investissement».
Les responsables américains, y compris le vice-président Mike Pence, les groupes de réflexion et les médias ont accusé à plusieurs reprises la Chine d’utiliser l’ICR pour créer des «pièges à dette» afin de faire pression sur les pays pour qu’ils répondent aux demandes chinoises. Cette critique est tout à fait hypocrite. Depuis des décennies, les États-Unis exploitent des institutions comme le Fonds monétaire international pour imposer leurs diktats économiques et géopolitiques dans le monde entier.
Le président Xi était impatient d’utiliser le forum de l’ICR pour contrer les critiques croissantes des États-Unis et renforcer les liens ses liens en Eurasie et en Afrique. En ouvrant la réunion vendredi dernier, Xi a déclaré que la Chine s’engageait à la transparence et à la construction d’«infrastructures de haute qualité, durables, résistantes aux risques, à des prix raisonnables et inclusives».
Xi a dit à l’auditoire que l’ICR encouragerait un «développement ouvert, vert et propre». Sans mentionner spécifiquement les États-Unis, il a déclaré que «nous devons construire une économie mondiale ouverte et rejeter le protectionnisme». Cette remarque ne visait pas seulement à dénoncer les mesures de guerre commerciale de l’administration Trump contre la Chine. C’était aussi un signal aux puissances européennes, qui sont également confrontées à la menace de tarifs douaniers américains punitifs.
Devant une position américaine de plus en plus agressive à l’égard de la Chine – d’abord sous Barack Obama, puis sous Donald Trump – l’ICR a toujours été conçue pour renforcer la position économique et stratégique de la Chine, notamment en Europe, en vantant les avantages économiques d’une coopération économique et politique renforcée.
L’Italie est la seule grande puissance européenne à adhérer à l’ICR et à avoir envoyé son chef de gouvernement, le premier ministre Giuseppe Conte, au forum. Cependant, d’autres grands pays européens ont envoyé des représentants de haut niveau en quête d’opportunités économiques, tout en essayant d’éviter le mécontentement de Washington.
Le chancelier britannique Philip Hammond a assisté au forum pour faire du lobbying au nom des entreprises britanniques, un communiqué du Trésor soulignant des opportunités pour les entreprises britanniques dans les domaines du «design, du financement de l’ingénierie, des partenariats public-privé et des services juridiques».
Dans la perspective du forum de Beijing, malgré les fortes pressions exercées par les États-Unis, le gouvernement britannique a donné son accord de principe au géant chinois des télécommunications Huawei pour l’aider à construire le réseau de données 5G de la prochaine génération du pays. Robert Strayer, responsable du département d’État américain, a lancé un avertissement lundi contre toute implication du «fournisseur non fiable», même dans des éléments non essentiels du réseau, pouvant compromettre la coopération entre les services de renseignements américains et britanniques.
Le ministre allemand de l’Économie, Peter Altmaier, était également présent au forum de l’ICR. Il a plaidé en faveur d’un accord multilatéral de l’ICR entre la Chine et l’Union européenne, qui permettrait à l’Allemagne d’avoir plus de poids au chapitre dans l’exécution des projets. Dans une critique à peine voilée de l’Italie, Altmaier a déclaré que l’UE «dans sa grande majorité» avait convenu qu’elle ne voulait signer aucun accord bilatéral.
Au total, quelque 5000 délégués étrangers de plus de 150 pays et plus de 90 organisations internationales ont participé au forum, dont 37 chefs de gouvernement ou chefs d’État. Le président russe Vladimir Poutine et le premier ministre italien étaient présents, ainsi que des dirigeants de l’Autriche, du Portugal, de la Hongrie et de la Grèce.
De hauts dirigeants de neuf des dix pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE) étaient présents, ainsi que de quatre des cinq républiques d’Asie centrale. Le premier ministre pakistanais Imran Khan y a participé, mais l’Inde, hostile aux liens étroits de la Chine avec son rival régional, le Pakistan, n’était pas représentée par son premier ministre.
Non seulement le président américain Trump n’était pas présent, mais il n’y avait pas non plus de haut représentant américain au forum.
Avant le forum, le gouvernement chinois a entrepris d’atténuer certaines des critiques sur le financement des projets de l’ICR. Le premier ministre malaisien Mahathir Mohamad, arrivé au pouvoir lors de l’élection de l’an dernier, s’est montré très critique à l’égard des investissements chinois pendant la campagne électorale et a suspendu ou annulé plusieurs projets importants, dont une ligne ferroviaire le long de la côte est non développée de son pays.
Le mois dernier, la Chine a renégocié l’accord sur la ligne ferroviaire de 20 milliards de dollars en réduisant d’un tiers le coût de la construction. Le nouvel accord a permis à Mahathir d’assister au forum de Beijing et d’apporter son «plein soutien» à l’ICR.
Le président Xi a déclaré aux médias que la Chine avait signé quelque 64 milliards de dollars d’accords lors de ce forum de trois jours. Selon un rapport d’Al-Jazeera, «À ce jour, environ 90 milliards de dollars ont été investis dans divers projets liés à l’ICR, mais il reste plusieurs centaines d’autres milliards vaguement promis, et il faudra encore des années avant que tous ces capitaux ne soient investis.» Dans l’ensemble, la Chine a indiqué que plus d’un billion de dollars seront investis dans divers projets.
Le communiqué de ce forum a identifié plusieurs projets clés qui seront accélérés, y compris le port pakistanais de Gwadar, point de départ du corridor économique Chine-Pakistan vers le sud-ouest de la Chine et le port grec du Pirée, que la Chine considère comme une tête de pont clé pour l’Europe.
L’autre grand projet est le China Railway Express – un réseau de chemins de fer reliant Londres à la ville chinoise de Chongqing et devant être emprunté par plus de 14.000 trains de marchandises par semaine. Ces liaisons d’infrastructure devraient permettre de réduire les coûts, mais du point de vue de la Chine, cela lui permettra également d’éviter de dépendre trop fortement du transport maritime à travers le détroit de Malacca, qui pourrait être bloqué par la marine américaine en temps de guerre.
Les États-Unis sont déterminés à faire en sorte que les plans de l’ICR de la Chine ne portent pas atteinte aux intérêts économiques et stratégiques américains. Lors du sommet de l’ANASE en novembre dernier, le vice-président américain Pence a critiqué l’ICR et déclaré qu’un plan d’infrastructure américain pour l’Asie-Pacifique constituait une meilleure option. «Nous ne noyons pas nos partenaires dans une mer de dettes, nous ne contraignons pas, nous ne compromettons pas votre indépendance… Nous n’offrons pas une ceinture contraignante ou une route à sens unique», a-t-il déclaré.
Les États-Unis, qui cherchent à obtenir l’appui d’alliés comme l’Australie et le Japon, ont annoncé qu’un peu plus de 100 milliards de dollars seront offerts pour des projets d’infrastructure. Il n’est pas surprenant que tous les pays de l’ANASE étaient fortement représentés à Beijing la semaine dernière, car il y a là potentiellement beaucoup plus d’argent de disponible.
Peu intéressé à investir davantage, Washington intensifiera sans aucun doute ses méthodes agressives utilisées jusqu’à présent pour saper l’influence chinoise – intrigues diplomatiques comprenant des opérations de changement de régime, des provocations militaires dans des points chauds dangereux comme en mer de Chine méridionale et des préparatifs de guerre contre la Chine.
(Article paru en anglais le 30 avril 2019)