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Xavier Bertrand et Fabien Roussel.

l'Opinion

Ils se mesurent dans les urnes, s’affrontent sur les plateaux de télé, se concurrencent dans le business. Et pourtant, ils ont des atomes crochus. Duel à la scène, duo à la ville : doubles portraits.

Si Xavier Bertrand avait vécu au XIX siècle, aurait-il été un personnage d’Honoré de Balzac, au caractère déterminé par les lieux et le temps ? Peut-être. Xavier Bertrand, c’est Saint-Quentin, sous-préfecture de l’Aisne qui s’est donnée en alternance aux gaullistes et aux communistes depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Quand il y fait ses premiers pas dans les années 1980, le jeune militant s’engage pour les premiers et ferraille contre les seconds.

Dans La Haine, les journalistes Gérard et Fabrice Lhomme racontent comment Xavier Bertrand, aidé de Jérôme Lavrilleux, prolongeait la durée de vie des affiches du RPR placardées dans la ville et arrachées par les petites mains du PCF, encore assez nombreuses en 1989 pour nettoyer à leur façon les murs communaux. Le duo cassait de vieux néons, incorporait les bris de verre à la colle pour en badigeonner les affiches. En fin de campagne, les rivaux avaient signé un Yalta picard. Une moitié de panneau pour la droite, une autre pour les cocos. Et au diable les socialistes.

Un quart de siècle plus tard, les seaux de colle sont au placard. Xavier Bertrand est candidat à la présidence du conseil régional des Hauts-de-France. Le 13 juillet 2015, il est à Saint-Amand-les-Eaux autour d’un billard. Son opposant du jour est aussi un concurrent dans la campagne pour la région. Le communiste Fabien Roussel, local de l’étape, mène largement la partie. L’ancien ministre de la Santé résiste, refait petit à petit son retard et l’emporte sur la dernière boule. « Tu vois, rien n’est jamais gagné d’avance », lance l’élu UMP à celui du PCF. « Des parties, il y en aura d’autres », sourit aujourd’hui Fabien Roussel, qui tient à contextualiser sa défaite : « Xavier Bertrand carbure au café et moi à la bière. Ça peut jouer sur la concentration. »

Depuis sa victoire aux régionales grâce à un front républicain fatal à Marine Le Pen, Xavier Bertrand combat les « jeux de rôle de la politique nationale ». « Il n’est pas à la tête d’un clan mais d’une région », confirme Julien Dive, député LR de l’Aisne, qui reprend une formule connue des amateurs de foot : « On n’a pas le même maillot mais on a la même passion : celle des gens. »

Cette volonté affichée de dépasser les clivages, Xavier Bertrand l’illustre par sa relation avec Fabien Roussel, aujourd’hui secrétaire national du PCF : « J’ai toujours éprouvé du respect pour les communistes que j’ai malgré tout combattus. Avec le prédécesseur de Fabien à Saint-Amand, Alain Bocquet, on s’est envoyé mais toujours avec respect. »

« Fabien est un vrai mec sympa avec qui je peux boire une bière et faire un flipper. Il a des tripes et se bat autant pour ses idées que pour les gens »

Les deux familles politiques partagent une vision commune de l’industrie, complète Fabien Roussel : « En gros, il y a deux idéologies sur l’industrie, “le marché va réguler l’industrie” ou “l’industrie doit être soutenue par la puissance publique”. Gaullistes et communistes soutiennent la seconde option depuis 1945. A cette époque, Charles de Gaulle signe le décret de création d’Aéroports de Paris, rédigé par les communistes. »

Sur l’industrie, les deux responsables politiques ont trouvé un terrain d’entente. « En 2017, je suis élu député d’une circonscription très industrielle, resitue Fabien Roussel. Je porte des dossiers que Xavier Bertrand, en tant que président de la région, défend lui-même avec beaucoup d’énergie. Nous croyons tous les deux à l’existence d’une industrie française. »

Les difficultés de l’usine Ascoval à Saint-Saulve, dans le Nord, vont apporter la preuve de cette convergence de vues. Les deux hommes se parlent régulièrement, échangent leurs infos sur ce site industriel menacé de fermeture. « Un jour, j’apprends par les salariés qu’un plan de reclassement est en préparation alors que l’on se bat pour la reprise de l’usine. J’ai prévenu Xavier Bertrand et cette solution a été écartée. » « Avec Fabien, on a tourné les projecteurs sur Ascoval ; sinon, c’était un enterrement de première classe. »

Les bons coups de l’un sont appréciés par l’autre. En décembre 2018, à la tribune de l’Assemblée nationale, Fabien Roussel explique comment, en deux clics, il a créé une société off-shore, dont le directeur est un certain « Gérald Darmanin ». Le ministre des Comptes publics le regarde, interloqué. « Je me suis dit que c’était bien joué », se souvient Xavier Bertrand, proche de Darmanin, que Fabien Roussel dit apprécier.

« On a une passion commune pour la Corse. Moi, je reste dans le même camping tous les ans. Si Xavier est prêt à venir planter sa tente, il est le bienvenu » 

Devant une telle connivence politique, on hésite à sortir les grands mots. Sont-ils amis ? « Fabien est un vrai mec sympa avec qui je peux boire une bière [mais pas pendant une partie de billard, NDLR] et faire un flipper. Il a des tripes et se bat autant pour ses idées que pour les gens. Mais nous ne sommes pas amis. Avec un ami, on part en vacances. »

Justement, Fabien Roussel lance l’invitation : « On a une passion commune pour la Corse. Moi, je reste dans le même camping tous les ans. S’il est prêt à venir planter sa tente, il est le bienvenu. Si la vie nous laissait du temps, on pourrait se croiser dans des moments plus privilégiés. Tous les deux, nous sommes directs et francs. Pas prout-prout. »

La vie politique leur laissera-t-elle le temps de partager une partie de pétanque estivale ? En novembre, Fabien Roussel a pris la tête du Parti communiste français. Xavier Bertrand reste l’une des rares figures à émerger du champ de ruines de la droite : interrogés sur les personnalités qui représentent l’avenir de la droite par ViaVoice pour Libération, les sympathisants LR citent à 66 % Nicolas Sarkozy et à 60% le président des Hauts-de-France.

Que pensent-ils de leur avenir politique ? « Avec le Xavier Bertrand ministre de Sarkozy, je n’aurais pas pu partager une amitié, mais je pense qu’il a changé depuis. Aujourd’hui, il est un bon candidat pour reconstruire la droite républicaine », juge Fabien Roussel. « Il est l’une des seules chances du PCF de s’en sortir », assure Xavier Bertrand.

D’ici à ce que les deux se retrouvent adversaires à la prochaine présidentielle…

 

Tag(s) : #Politique française
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