Une pancarte "Rouen n’est pas confiante, elle respire de l’amiante" tenue par un manifestant à Rouen (Seine-Maritime), le 1er octobre 2019. (LOU BENOIST / AFP)
Révolution
Permanente
Près de deux semaines après l'incendie de Lubrizol à Rouen les questions relatives à la qualité de l'air, au type de pollution dégagé ainsi que des risques sanitaire restent très floues. Et alors que le gouvernement semble bien décidé à en dire le moins possible Mediapart révèle dans un article que l'air de la ville contiendrait des fibres d'amiante, après qu'une toiture de 8000m2 pleine d'amiante soit partie en fumée pendant l'incendie.
Le 4 octobre, la préfecture de Seine-Maritime publie un communiqué sur son site censé rassurer les habitants : selon elle, il n’y a pas de risque lié à l’amiante dans l’air. En effet, la préfecture affirme que les mesures effectuées, si elles détectent bien des fibres d’amiantes, « sont toutes inférieures à 3 fibres d’amiante par litre d’air ». De quoi conclure que « l’incendie n’a pas généré autour du site de niveaux inhabituels ou préoccupants de fibres d’amiante dans l’air ». Affaire terminée, tout le monde peut rentrer dormir sur ses deux oreilles. A moins que ...
Mediapart et le journal indépendant rouennais Le Poulpe révèlent plusieurs éléments intrigants. Le premier est que la préfecture ne sait pas lire ses propres analyses. Dans le document mis en ligne par la préfecture la présence d’amiante est de « 4,8 fibre par litre d’air » ce qui est une différence significative. En effet, au-dessus de 5 fibres par litre les autorités sont sommées de prendre des mesures appropriées.
De plus, selon la préfecture, « on peut considérer que le chiffre de 3 fibres par litre d’air est constitutif de ce qu’on appelle le bruit de fond » (le bruit de fond correspond aux particules qu’on retrouve naturellement en quantité infime dans toutes les analyses). Tandis que pour Patrick Berg, le directeur de la Dreal, qui réunit les services déconcentrés du ministère de la transition écologique en région « les scientifiques considèrent que le bruit de fond est inférieur à 5 ». On ne sait pas sur quels travaux scientifiques s’appuient ces chiffres. De plus, Annie Thébaud-Mony explique à Médiapart que « il n’y a pas de seuil en dessous duquel l’amiante n’est pas dangereux ». Elle est complétée par Daniel Leroy, spécialiste de santé au travail pour la CGT « Vous en respirez un et ça va au mauvais endroit, vous pouvez choper un cancer. Après, plus il y en a, plus c’est dangereux. »
Autre élément mettant à mal la communication du gouvernement. Les journaux se sont procurés des analyses de la qualité de l’air réalisé le 30 août dernier dans la cité administrative de Rouen. Résultats ? Aucune fibre d’amiante n’avait alors été détectée dans l’air. La présence d’amiante à Rouen, appelée « bruit de fond » par la préfecture, qui est donc de 0,2 en dessous des seuils tolérés, date de moins d’un mois.
Enfin, les analyses qui ont été effectuées ne recherchaient que les fibres longues. Il faudrait de nouvelles analyses, plus difficiles et plus chères mais réalisables, pour connaître la présence des fibres courtes. Mais personne pour le moment ne semble disposé à le faire.
Bref, l’un des rares communiqués du gouvernement sur la pollution à Rouen ne peut pas être pris au sérieux. Difficile pour l’heure de dire s’il s’agit, au mieux, d’une incompétence totale des services de la préfecture ou, au pire, d’un mensonge éhonté afin de cacher la réalité de la situation. Dans les deux cas, les habitants devront se mobiliser afin de savoir la réalité des risques qu’ils encourent.
Cette affaire nous apprend déjà quelque chose : les gouvernements successifs font preuve d’une grande constance quand il s’agit de cacher les catastrophes sanitaires et principalement quand il s’agit de l’amiante. Il faut dire qu’ils ont déjà une expérience sur le sujet.
Utilisé durant longtemps comme isolant ou avec du ciment, l’amiante est pourtant extrêmement nocif, car il expose à des maladies (cancers notamment) aussi bien les travailleurs qui utilisent ce matériau que les usagers et habitants des bâtiments qui en contiennent. Alors que l’on connaît sa dangerosité depuis bien longtemps (le premier rapport indiquant sa dangerosité date de 1906), ce dernier n’a pourtant été interdit en France qu’en 1997.
Le lobbying des industriels ainsi que la couardise des politiques ont fait du problème de l’amiante un véritable scandale sanitaire. On estime que 3000 personnes meurent toujours chaque année de l’amiante en France plus de 20 ans après son interdiction... Mais si aucune mesure sérieuse n’a été prise durant longtemps, c’est avant tout parce que c’est un produit qui contamine les travailleurs et les pauvres. Pas d’amiante à La Défense ou à l’Élysée, pas d’inquiétude pour la bourgeoisie.
Il existe bien un comité chargé du désamiantage, mais c’est un travail long, fastidieux et bien trop cher pour sauver quelques milliers de prolos par an. Le travail n’est pas fait ou mal fait. On estime qu’il existe actuellement en France près de 3 millions (!) d’HLM qui contiennent toujours de l’amiante. Et des usines, comme celle de Lubrizol, dont les toits et les murs sont également contaminés sont très nombreuses. Combien sont-elles ? On ne sait pas.
Au delà de la catastrophe de Lubrizol, de la pollution, des conditions de travail racontées par un sous-traitant et des mensonges du gouvernement cette histoire nous rappelle que pour les dirigeants de ce monde, industriels et politiciens, nos vies vaudront toujours bien moins que leurs profits. Les travailleurs et les habitants de Rouen doivent exiger une commission indépendante sous leur contrôle. Celle-ci doit pouvoir éclaircir toutes les zones d’ombre de cette affaire. Il faut mettre fin au secret industriel, c’est-à-dire savoir qui produit quoi, où, comment, dans quel but. Et surtout, avoir le pouvoir d’arrêter la production de ce qui détruit la planète et la vie des travailleurs dans le seul but d’enrichir une minorité qui, elle, n’aura jamais à payer les conséquences sanitaires de ces choix.