L’approche des élections générales espagnoles du 10 novembre faisait figure de chronique d’une impasse annoncée. A l’issue du scrutin, cette dernière apparaît plus inextricable encore que prévu. Non seulement aucune alliance au sein des cinq formations principales ne semble se dessiner, mais le nouveau parlement compte désormais nombre de petits partis, souvent régionaux, représentés par quelques élus, voire un seul. Cet éclatement du congrès des députés complique encore un peu plus la formation d’un gouvernement soutenu par une majorité stable.
C’était la quatrième fois en quatre ans que les 37 millions d’électeurs espagnols étaient appelés à élire leurs députés – cette fois avec une participation de 69,9%, soit une baisse de 1,9 point par rapport au dernier scrutin, qui ne remonte qu’au 12 avril de cette année. Le parlement qui en était issu n’avait jamais pu trouver une majorité en son sein pour investir le premier ministre socialiste (PSOE) sortant, Pedro Sanchez.
En 2015-2016, le paysage politique a connu la fin du bipartisme (PP, PSOE)
Celui-ci était arrivé au pouvoir en juin 2018, à la faveur d’une motion de censure surprise qui avait mis en minorité son prédécesseur, Mariano Rajoy (Parti populaire, droite conservatrice). Ce dernier gouvernait depuis décembre 2011, et avait réussi à se maintenir sans majorité stable depuis les scrutins successifs de décembre 2015 puis de juin 2016. A ce moment, le paysage politique a connu la fin du bipartisme (PP, PSOE) qui avait caractérisé la période post-franquiste.
Deux formations avaient en effet émergé : Podemos, un parti issu du mouvement des Indignés et classé gauche « radicale » ; et Ciudadanos, une formation ultralibérale sur le plan économique, mais aussi connue pour son intransigeance contre l’indépendantisme catalan. Puis, en décembre 2018, Vox, un parti dissident du PP par la droite, avait fait irruption à l’occasion des élections régionales d’Andalousie. Il avait alors soutenu le PP et Ciudadanos, avec pour résultat d’envoyer dans l’opposition les socialistes dans ce qui était pourtant leur fief régional emblématique.
Heure de vérité
Dans ce paysage fragmenté, le chef du gouvernement a chuté en février 2019 lorsque les députés ont refusé son budget, ce qui a provoqué les élections d’avril. A l’issue de celles-ci, Pedro Sanchez, victorieux, aurait souhaité bénéficier du soutien parlementaire de Podemos sans que celui-ci participe à son gouvernement. Avant de proposer finalement à ce dernier quelques postes ministériels que la formation dirigée par Pablo Iglesias a jugé très insuffisants. Mais M. Sanchez n’a pas voulu faire plus de concessions. De même qu’il a rejeté les ultimes offres de service de Ciudadanos.
Le scrutin du 10 novembre était donc l’heure de vérité pour le dirigeant socialiste. Pari perdu : le PSOE passe de 28,7% à 28%, un recul certes minime, mais loin du renforcement qui lui aurait donné le surcroît de légitimité qu’il espérait. Les socialistes comptent désormais 120 députés contre 123 précédemment. Ils restent la première force électorale du pays, même s’ils sont très loin de renouer avec les près de 44% qu’ils obtenaient encore en 2009.
Pour sa part, Podemos, avec 12,8% des suffrages, connaît un nouveau recul (- 1,5 points), après la chute de 6,8 points déjà encaissée en avril. Elle compte désormais 35 députés, soit sept de moins, même s’il faut ajouter à ce total les 3 sièges obtenus par une formation dissidente, Mas Pais, de même orientation politique mais défendant une stratégie plus « transversale » – certains diraient « populiste ». La gauche dite radicale continue à payer son ancrage plus urbain et aisé que tourné vers les classes populaires.
De son côté, le jeune dirigeant du Parti populaire, Pablo Casado, voit son parti remonter la pente avec 20,8% des suffrages (+ 4,8 points), il est vrai par rapport au résultat catastrophique d’avril.
Il a manifestement pris des voix à Ciudadanos, dont la ligne stratégique a désorienté beaucoup d’électeurs. C’est l’un des deux traits marquants du scrutin : la formation anti-indépendantiste née à l’origine en Catalogne s’effondre à 6,8% contre 15,9% six mois plus tôt. Elle ne compte plus que 10 députés, alors qu’elle en avait 57. Cette dégringolade fait s’envoler les espoirs de former une coalition de droite l’associant au PP avec le soutien de Vox, selon le modèle andalou.
Cette fois encore, Vox doit son succès à ses plus farouches adversaires : les indépendantistes catalans
Même attendue, l’ascension de ce dernier parti est la seconde caractéristique du vote du 10 novembre. En avril, ce parti qui peut être qualifié d’extrême droite puisqu’il ne cache guère sa nostalgie du franquisme, était passé de quasiment rien à 10,3%. Cette fois, il fait un nouveau bond de 4,8 points, et récolte 52 députés (contre 24 précédemment). Sa progression d’avril, consécutive à sa percée en Andalousie, était liée notamment aux arrivées de migrants. Cette fois, plus encore que précédemment, Vox doit son succès à ses plus farouches adversaires : les indépendantistes catalans.
Car il a choisi de se positionner en plus virulent défenseur de l’unité de l’Espagne. Or le calendrier électoral a coïncidé avec la condamnation, le 14 octobre, de neuf dirigeants indépendantistes par la Cour suprême. Ceux-ci étaient accusés de sédition pour avoir organisé le référendum illégal d’octobre 2017 portant sur l’indépendance de la Catalogne. Les peines de prison ont été sévères, ce qui a déclenché de violents heurts notamment à Barcelone. Vox, autoproclamé parti de l’ordre et de l’Espagne unitaire, a manifestement profité des images d’affrontement.
Pour leur part, les résultats des indépendantistes progressent très légèrement en Catalogne à 42,5%, loin d’atteindre les 50%, cependant. En leur sein, la gauche républicaine (ERC) perd deux sièges, Ensemble pour la Catalogne (dirigée par l’ex-président régional aujourd’hui en fuite à Bruxelles, Carles Puigdemont, droite) en gagne un, et la formation dite « de gauche radicale et anti-UE », la CUP, qui se présentait pour la première fois, obtient deux élus.
Si l’on raisonne en termes nationaux, le « bloc de gauche » et le « bloc de droite » rassemblent chacun environ 10,3 millions d’électeurs, là où le premier disposait encore de 100 000 petites voix d’avance en avril dernier.
Comment en finir avec le blocage ?
Pedro Sanchez a immédiatement promis que « cette fois, sans faute, nous allons former un gouvernement progressiste et en finir avec le blocage politique dans ce pays », et annoncé des consultations avec tous les partis, sauf Vox. Il estime en effet que de nouvelles élections dans six mois achèveraient d’exaspérer les citoyens, et qu’il s’en verrait attribuer la faute.
Mais comment ? Même s’il réussissait à trouver un accord avec Podemos, une telle coalition n’atteindrait pas la majorité absolue de 176 sièges. Il lui faudrait en plus rallier quatre ou cinq petits partis (autonomistes basques, galiciens, voire certains indépendantistes catalans), ce qui relève sans doute de la quadrature du cercle.
Autre configuration : la mise sur pied d’un gouvernement minoritaire faisant adopter des mesures par des majorités à géométrie variable. Mais cela supposerait au départ de décrocher un vote d’investiture, moyennant (au deuxième tour) l’abstention du PP. Une abstention « technique » avait-il supplié avant même le jour des élections.
Mais si les amis de M. Casado s’engageaient dans cette voie, ils seraient probablement accusés de faiblesse par Vox, avec le risque de se faire ultérieurement tailler des croupières par cette formation.
Reste l’hypothèse d’une « grande coalition » associant PSOE et PP. Cela trancherait avec les habitudes politiques hispaniques, et laisserait le champ libre à Vox d’un côté, et Podemos de l’autre.
Aucun parti n’a remis en cause si peu que ce soit l’appartenance du pays à l’UE, ce qui a évacué l’Europe de la campagne électorale
Mais il est possible ...
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Analyse issue notamment d’un entretien avec Nicolas Klein
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