“ON NOUS REÇOIT POUR FAIRE DE L’OCCUPATIONNEL”
“Nous avons très vite vu que les professeurs étaient en danger avec cette réforme des retraites”, signale Francette Popineau, co-secrétaire générale du Snuipp, syndicat du premier degré. Depuis le mois d’octobre, quatre rencontres ont eu lieu pour “mesurer les pertes des enseignants” et se pencher sur d’éventuelles “compensations”. “Une en octobre, une en novembre, deux en décembre”, rapporte Jean-Rémi Girard, président du Snalc, syndicat du secondaire.
À l’issue ? “Rien de concret !”. À chaque fois. “On nous reçoit pour faire de l’occupationnel, explique-t-il. On nous installe, on nous écoute, on établit ce qu’ils appellent un ‘diagnostic partagé’ et ça suffit pour se prévaloir, dans les médias, de la tenue de discussions constructives”.
C’est d’ailleurs en voyant les choses n’avancer que très modérément sur ce dossier que le Snes a pris l’initiative de mettre en ligne un “simulateur” à la fin du mois de novembre à l’adresse des professeurs.
L’objectif : informer ce public mais aussi mettre la pression sur le ministère, et donc sur les discussions en cours, en mobilisant une opinion publique avertie des mauvais tours joués au personnel enseignant avec cette réforme.
En prenant en compte l’ensemble de la carrière pour calculer la pension, contre les six derniers mois aujourd’hui, la perte est estimée entre 600 et 900 euros selon cet outil. De quoi provoquer une vague d’émotion dans toute la profession. Et rendre le gouvernement rouge de colère, accusant les syndicats d’avoir relayé des estimations qui “ne correspondent à rien”, comme l’indiquait Marianne le lendemain de la première mobilisation contre la réforme des retraites. “On nous reproche toujours de ne pas marcher dans le même sens que le ministère, souffle Francette Popineau. Avec Jean-Michel Blanquer, c’est toujours le même schéma. Il nous invite à monter dans sa voiture sans nous renseigner sur la destination. Et si nous n’acceptons pas, c’est que nous ne sommes pas de bonne volonté”. Taquine, elle voit en lui un “Kaa” potentiel, le serpent hypnotiseur du livre de la jungle : “Aie confiance, aie confiance, nous répète-t-il en permanence”.
C’est pour pallier ce manque de soutien des syndicats que le ministre de l’Éducation nationale a pris la plume le 3 décembre dernier pour s’adresser directement au personnel enseignant. Pour “sauter par-dessus les syndicats”, selon les différentes centrales. Eux qui seraient “pétris de mauvaise foi” et donc incapables de répandre la vérité sur ce texte, d’après un membre de la majorité interrogé. “Cette communication s’est retournée contre le gouvernement, observe le président du Snalc. Dans sa lettre, le ministre a mis en avant le fait qu’une 'pension minimale de 1000 euros' sera mise en place. Les professeurs se sont dits : ‘On va donc descendre si bas ?’. C’était la panique”.
Deux jours plus tard, la manifestation rassemblera un nombre impressionnant de professeurs et obligera le gouvernement à adopter un ton bien différent lors des discussions.
STRATÉGIE DE TEMPORISATION
“Jusqu’au lendemain de la mobilisation du 5 décembre, le gouvernement temporisait, estime Gilles Langlois, secrétaire national du syndicat SE-UNSA. Il voulait très clairement enjamber les premières dates de mobilisation pour jauger l’état d’esprit des professeurs avant d’éventuellement sortir un peu du bois”. D’où la stérilité des débats jusqu’ici. Pourtant, dès le départ, les demandes des syndicats sont simples : obtenir le déblocage immédiat de dix milliards d’euros destinés à une revalorisation des salaires des enseignants. En vain. “Cette période où le gouvernement a refusé de s’engager a créé un sentiment de flou difficile à dissiper dans toute la profession, poursuit-il. Maintenant qu’il a été créé, il demeure. Et même aujourd’hui, alors que nous venons d’obtenir des signaux concrets, ils ne sont plus audibles”.
Reçus ce lundi 16 décembre, le Snalc, le Snes, le Snuipp et la FSU ont enfin obtenu une promesse : 10 milliards d’euros seront bien débloqués… mais progressivement, d’ici 2037. Et le détail de ces revalorisations, qui concerneront aussi bien les primes que les salaires sera renseigné dans une loi de programmation pluriannuelle. Cette dernière verra le jour à l’issue de nouvelles discussions entre le ministère et les partenaires sociaux. Une victoire pour les syndicats ? Pas vraiment. “Ce qui ressort de nos échanges comme de la communication gouvernementale, c’est que ce ‘cadeau’ ne se fera pas sans contrepartie, regrette Jean-Rémi Girard. On va nous demander de travailler plus…”. Alors que les “conditions de travail sont difficiles”, que la profession connaît de nombreuses “difficultés pour recruter”, “on nous explique désormais que nous sommes dans un pays où les enseignants ne travaillent pas assez”, déplore le syndicaliste. “Nous avons beau présenter les preuves du contraire, nous sommes dans une négociation où il n’y a rien à négocier”, poursuit-il.
“Ni oui, ni non, seulement des contournements”
Pour le reste, encore une fois, même si on avance, c’est le flou. Dans quel but ? “Le ministre prend soin de garder un discours suffisamment vague pour ne jamais vraiment s’engager, analyse Frédérique Rolet, secrétaire générale du Snes-Fsu. De plus, on a vraiment l’impression que lui-même est dans l’incertitude, que ce soit à propos d’un éventuel calendrier ou même de la masse salariale concernée”. “On ne va pas rendre Jean-Michel Blanquer responsable de tout, nuance Jean-Rémi Girard. Mais son rôle, aujourd’hui, c’est de trouver des solutions. Or, aujourd’hui il ne brille que par son impuissance et ses esquives”.
Dans les rangs syndicaux, la frustration prend des proportions embarrassantes. Selon la représentante du Snes-Fsu, leur dernière rencontre en a été l’illustration : “Nous lui avons demandé ce qui se cachait derrière son fameux 'enseignant du XXIe siècle', sur son intention de 'rendre visible le travail invisible', sur d’éventuels aménagements de fin de carrière, sur la répartition des enveloppes en fonction des années, la prise en compte des années d’études dans le calcul des pensions... Nous voulions des réponses enfin claires. Nous avons eu ni oui, ni non. Seulement des contournements”. Le brouillard, rien que le brouillard.
Paris le 17 décembre 2019 (photo : El Diablo)