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La CFDT condamnée pour «abus de pouvoir» sur une de ses branches
La CFDT est le premier syndicat français en termes d’adhérents.
Le SCID-CFDT, qui se trouvait en désaccord avec l’organisation de Laurent Berger, avait été placé «sous administration provisoire» par cette dernière en 2014. La CFDT a été condamnée en appel à verser plus de 25.000 euros.

«C’est vrai que ça ne tombe pas au meilleur moment», confie un haut responsable de la CFDT. Plongés corps et âme dans les discussions sur le projet de réforme des retraites, la CFDT et son patron, Laurent Berger, voient ressurgir un dossier vieux de plus de cinq ans. Le syndicat a été condamné le 16 janvier dernier par la cour d’appel de Paris pour «abus de pouvoir» sur une de ses branches.

L’affaire remonte à 2014. Le syndicat francilien Commerce indépendant démocratique (SCID), qui compte alors environ 3500 adhérents, est affilié à l’actuel premier syndicat de France. Opposées sur de nombreux sujets, les deux organisations entretiennent des «relations compliquées» mais justifiées par des intérêts respectifs: la CFDT y gagne cotisations et adhérents, le SCID est pour sa part locataire de sa «maison mère» et se trouve adossé à un partenaire social influent.

Ce statu quo perdure tant bien que mal jusqu’à ce qu’un point de non-retour soit atteint en 2014, à l’occasion du débat sur le travail de nuit et du dimanche dans les zones touristiques d’affluence exceptionnelle. Alors que la CFDT se prononce en faveur, «dans des conditions exceptionnelles», le SCID s’y oppose, allant jusqu’à publier une tribune critiquant directement sa centrale.

«Laurent Berger n’a pas supporté nos prises de position», assure au Figaro Alexandre Torgomian, secrétaire général du SCID. «Un matin de mai 2014, je suis allé dans mes bureaux du syndicatet je me suis retrouvé avec un service d’ordre qui m’empêchait d’y entrer», reprend-il. Plus aucun membre du SCID ne peut dès lors pénétrer les locaux. L’organisation se trouve sous le coup, selon les termes de la CFDT, d’une «suspension provisoire des instances dirigeantes». La Confédération invoque le «non-respect par le syndicat des règles de fonctionnement internes à la CFDT.»

Ainsi, pendant plus d’un an, l’accès est refusé au SCID, «parfois de façon musclée», lancent ses membres. Les serrures ont été changées. Chaque tentative est faite en présence d’huissiers de justice, lesquels n’ont, pour leur part, jamais rapporté de violences.

Le 11 février 2015, soit neuf mois après, le bureau national confédéral de la CFDT vote une «mise sous administration provisoire reconductible». Les affaires des représentants du SCID sont restées dans les bureaux et les abonnements (internet, téléphonie...) n’ont pu être résiliés. Alexandre Torgomian parle d’une «mise sous tutelle».

La CFDT a outrepassé les pouvoirs qu’elle tient de ses statuts

Arrêt de la cour d’appel de Paris du 16 janvier 2020

Pourtant, le règlement intérieur de la CFDT de l’époque ne permet pas une telle mesure. «Ce n’était pas expressément prévu par les statuts», confirme au Figaro Maître Saadat, avocat de la CFDT dans ce dossier. Ce que l’arrêt de la cour d’appel de Paris confirme: «il ne ressort pas des statuts de la CFDT ni de son règlement intérieur dans sa version en vigueur à l’époque des faits que la confédération avait le pouvoir de mettre un syndicat confédéré sous administration provisoire ou sous tutelle» ; «La CFDT a outrepassé les pouvoirs qu’elle tient de ses statuts», peut-on lire aussi.

Depuis, le syndicat a pris soin de «modifier son règlement en ce sens», relance l’avocat. En effet, peut-on lire dans cette nouvelle version, en cas de conflit et «à défaut de règlement amiable», la «mise sous administration provisoire» peut désormais être décidée, sous réserve que les conditions prévues soient réunies.

En janvier 2016, le SCID, toujours sous le coup de l’administration provisoire, se désaffilie de la CFDT. Pour ce faire, il est dans l’obligation d’organiser un congrès extraordinaire. Le départ est validé à plus de 95% des voix. Le TGI de Bobigny note dans un premier jugement de janvier 2017 que «depuismalgré de nombreuses relances, [le SCID] n’a pu obtenir la restitution de ses biens, fichiers et relevés», et ce même après la désaffiliation du syndicat devenu indépendant.

Parallèlement, dans un courrier adressé à la banque du SCID que Le Figaro s’est procuré, Laurent Berger, déjà secrétaire général de la CFDT, indique «la mise sous administration provisoire» de la branche, et que cette décision «a notamment pour objet de récupérer tout ce qui est la propriété du SCID-CFDT et, en particulier, les livres de comptes, carnets de chèques, cartes bancaires et cartes de crédit, ainsi que les codes d’accès relatifs aux comptes bancaires». Mis au courant, le SCID demande à la banque «de lui restituer immédiatement la fonction du compte», invoquant l’interdiction «de communiquer à quiconque les informations confidentielles relatives» à celui-ci.

La banque choisit de ne pas intervenir. Une semaine plus tard, le 18 mars 2015, elle reçoit cette fois-ci un ordre de la CFDT - dont Le Figaro a également obtenu copie - de prélever plus de 60.000 euros sur le compte du SCID, sans préciser le motif. Une fois de plus, l’établissement ne tient pas compte de la demande.

La CFDT condamnée à payer plus de 25.000 euros

Ces requêtes de la CFDT n’avaient aucune justification légale, a tranché la cour d’appel. «La CFDT ne pouvait statutairement placer le SCID-CFDT sous administration provisoire, quelle que soit la pertinence de cette mesure», peut-on lire dans l’arrêt. «Le SCID, qui a été victime d’un abus de pouvoir et d’une atteinte à sa personnalité morale (…) a indéniablement subi un préjudice en lien direct avec la mise sous administration provisoire décidée à tort au niveau confédéral.»

La CFDT a été condamnée à verser 10.000 euros de dommages-intérêts au SCID et 2000 euros aux trois autres «parties demanderesses», à savoir trois représentants de l’ex-branche. En outre, la Confédération devra payer, en vertu de l’article 700 du code de procédure civile, 7000 euros au SCID ainsi que 1000 euros aux trois responsables «au titre des frais irrépétibles qu’ils ont été contraints d’engager pour toute la procédure».

«La demande de remboursement des cotisations a été rejetée, ce qui est plutôt vécu comme un soulagement», confie un membre de la direction. Le SCID demandait plus de 600.000 euros à ce titre. La CFDT ne devrait pas se pourvoir en cassation, indique-t-on en interne.

Malgré les deux courriers adressés à la banque, dont un a été signé par Laurent Berger, l’arrêt ne fait pas mention du secrétaire général. C’est d’ailleurs ce que rappelle Béatrice Lestic, secrétaire nationale de la CFDT: «Laurent Berger n’a pas la capacité de prendre seul des décisions, celles-ci ne peuvent venir que du bureau national», rappelle-t-elle.

 

 
 
Tag(s) : #CFDT
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