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et consumimur igni

Tentons de faire une petite synthèse de ce qu’on peut comprendre de la réforme des retraites.

Alors que très majoritairement les Français réclament que la loi sur les retraites soit retirée, le gouvernement s’entête et préfère user de la matraque contre les manifestants. Contrairement à ce que le gouvernement prétend, et malgré les présentations volontairement embrouillées du projet de loi – le retrait provisoire de l’âge pivot – les Français ont très bien compris ce qui était mijoté contre eux. Mais le coup le plus inattendu est venu du Conseil d’Etat qui devait émettre un avis sur ce projet.

Le Conseil d’Etat vient de critiquer d’une manière virulente le projet de loi sur les retraites, le rapport fait tout de même 63 pages[1]. Ne rentrons pas dans le débat technique, les raisons principalement avancées pour récuser le projet de loi sont les suivantes. Le Conseil d’Etat déplore d’abord que le gouvernement veuille agir au pas de charge et donc à la fois que le texte de loi a été bâclé, et que le Conseil d’Etat lui-même n’a pas eu assez de temps pour l’examiner.

1. Il signale clairement qu’il est extrêmement grave pour l’harmonie des relations sociales de toucher au socle de ce qui existait depuis 1946 ;

2. Ensuite que l’amateurisme de la rédaction de ce projet de loi entretient le flou le plus total sur le financement, autrement dit que la question du financement étant renvoyée aux ordonnances, l’âge pivot peut être déplacé n’importe comment, sans rien dire. De même il souligne que de vouloir fixer par la loi à 13% la part des retraites dans le PIB ne tient pas compte du fait que la population va vieillir, et donc que ce taux entrainera obligatoirement une baisse des pensions, sauf à imaginer que durant les décennies à venir le taux de croissance du PIB sera systématiquement au-dessus du taux de départ à la retraite rapporté à la population active ;

3. C’est aussi l’ensemble du projet qui est renvoyé aux ordonnances, autrement dit les députés se prononceront sur un texte sans connaitre le principal qui adviendra. Le projet de loi prévoit 29 recours aux ordonnances.

Notez également que le Conseil d’Etat montre que cette nouvelle loi n’aboutira en rien à l’universalité vendue par le gouvernement et que les multiples régimes spéciaux seront maintenus 

Les enjeux de la question des retraites  

Le but de cette loi est triple :

– d’abord faire baisser le poids des pensions dans le PIB, ce que préconisait d’ailleurs la Commission européenne. Je signale que les Grecs sont à la douzième baisse de leurs pensions ! L’idée est de faire basculer les volumes ainsi économisés du côté de l’investissement productif, enfin du moins est-ce la justification avancée.

– faire en sorte que les moins pauvres cotisent à des fonds de pensions pour leur retraite, les assureurs, AXA, Black Rock, visent un pactole à moyen terme d’une épargne retraite de 300 milliards d’euros en France. On voit l’intérêt immédiat du capital financier à la mise en place d’un système qui permette plus largement qu’autrefois de faire appel aux fonds de pensions. Cette manne est sensée alimenter les investissements productifs et la croissance.

– mais il y a aussi que cette loi équivaut à voler du temps libre et non monétisé des retraités pour le revendre sur le marché. Augmenter la durée de la vie active c’est en termes marxistes augmenter le temps de travail sans en augmenter le prix. C’est la même chose que de faire passer la durée hebdomadaire du travail à 40 heures ou 45 heures par semaine.  C’est donc augmenter globalement le taux de plus-value. Les propositions avancées par le gang de l’Elysée c’est une hausse du temps de travail sur la vie active d’environ 9%, sans compensation, et même avec diminution de la plupart des pensions. 

Les enjeux de la question des retraites  

Ambroise Croizat qui fut ministre du travail n’était pas millionnaire comme Pénicaud, mais venait du monde du travail 

Incidemment, en diminuant les revenus et le temps libre des séniors, on modifie le modèle en tournant le dos à une société du temps libre. Quand Ambroise Croizat avait parlé de la nécessité de financer correctement les retraites, il avait présenté l’âge de celle-ci comme une « nouvelle étape de la vie »[2], c’est-à-dire d’une vie enfin libérée de la servitude, bien au-delà d’un simple accompagnement vers la mort. C’est contre cela que le projet macronien s’élève : son but est de financer la retraite seulement pour les morts.

Le projet qui se dessine est un renforcement de la sécession des riches, d’abord l’abandon des hôpitaux publics pour les pauvres, avec peu de moyens, et les cliniques privées richement dotés pour les nantis, ensuite les écoles privées pour les plus riches et les écoles publiques volontairement dégradées pour les plus pauvres.

J’ajoute que les modes de sélections actuels aboutissent aussi à une privatisation de ce qu’il y a de plus riche dans l’enseignement supérieur, l’ENA, Sciences Po, là où l’oligarchie va faire son marché pour trouver des domestiques bien zélés comme Macron par exemple. Il ne faut pas isoler la réforme des retraites de cette volonté des oligarques de faire sécession mise en œuvre par Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot[3]. Le néolibéralisme se caractérise par une privatisation de l’Etat, ça passe aussi bien par les privatisations des biens communs, ADP, la Française des jeux, que par la mainmise des très riches sur l’Etat lui-même.

Le gouvernement d’Edouard Philippe est celui qui compte le plus de millionnaires et aussi celui dont les ministres ont le plus de mal avec les déclarations patrimoniales et fiscales.

 

Les deux premiers points sont bien connus et bien documentés. Le troisième un peu moins. Les retraités lorsqu’ils sont encore jeunes ont beaucoup d’occupation, ils s’occupent de leurs petits-enfants, ils s’investissent dans des activités bénévoles, dans des associations. Certains cultivent un potager. Ce sont toutes des activités qu’ils ne vendent pas, qui existent hors du marché et qui crée une utilité sociale directement visible. Or le projet macronien, néo-libéral, est de faire en sorte que l’ensemble de la vie humaine soit sous contrôle et que ce contrôle rapporte des profits qui renforcent le poids de l’oligarchie.

L’idée stupide mise en avant pour tenter de faire accepter ce projet mortifère est de dire : vous vivez plus longtemps, donc vous coûtez plus cher à la retraite que n’ont coûté vos parents, donc il faut que vous travailliez plus longtemps. Ce raisonnement ne relève du bon sens qu’en apparence. Pourquoi ? 

Les enjeux de la question des retraites

1. d’abord parce que le chômage des séniors est très élevé, plus d’un million de personnes âgées de 50 ans et plus sont inscrites à Pôle Emploi en catégorie A. Et donc repousser la date d’entrée à la retraite augmentera nécessairement la précarité de ces mêmes séniors.

Ça fait à peu près quarante ans qu’on se lamente sur le fait que les plus vieux ne trouvent pas d’emploi alors que la robotisation s’accélère et que la croissance économique reste faible, alors même qu’on a réalisé des réformes qui pressionnaient le prolétaire, dans le monde entier pour favoriser la croissance.

Mais il y a aussi le fait que si les vieux se languissent de partir à la retraite, c’est parce qu’ils font un boulot de merde pour parler comme David Graeber[4].

Ces boulots de merde non seulement sont pénibles parce qu’on est mal payé et qu’on subit une hiérarchie arrogante et tatillonne, mais aussi parce qu’ils ne servent à rien. Au moins en cultivant son potager, on sert à quelque chose ! On peut penser que dans la société d’aujourd’hui 90% des salariés font un boulot ennuyeux, perçu comme inutile, avec ce sentiment qu’on leur vole leur vie. 

Les enjeux de la question des retraites  

2. Ensuite parce que la productivité du travail augmente, elle a été multipliée par 7,5 entre 1950 et 2020. Une partie de ces gains a été convertie en hausse du salaire, l’autre en une baisse des durées travaillées, que ce soit une baisse de la durée légale du travail – les 35 heures – ou que ce soit l’avancement de l’âge de départ à la retraite, fixé à 60 ans en 1982.

Or les salaires augmentent depuis le début des années quatre-vingts, beaucoup moins vite que la productivité du travail, sans que la durée du travail ne baisse. Ce qui veut dire que les gains de productivité du travail sont détournés vers les profits, la part des profits a augmenté fortement. C’est à la base ce qui explique l’explosion des inégalités.

En vérité le financement des retraites est une question politique : comment veut-on répartir la richesse entre les classes et entre les âges ?

Le gouvernement met en avant le fait que les caisses de retraites vont être déficitaires du fait qu’on vit plus longtemps. C’est évidemment faux, c’est même un mensonge éhonté. Le déficit non seulement n’est pas connu, mais il est fabriqué par le gouvernement.

En effet, depuis près de quarante ans, on diminue les cotisations sociales sur les bas salaires, or les recettes de la Sécurité Sociale qui gère le gros morceau des retraites sont proportionnelles aux salaires ; si les salaires augmentent, les cotisations de la Sécurité Sociale augmentent. Si le gouvernement exonère de « charges sociales » les très bas salaires, les rentrées diminuent. Le pire est sans doute le CICE, décidé par Macron lorsqu’il était ministre de l’économie, c’est en année pleine, 20 milliards d’euros qui sont rendus sur les impôts versés, et même 40 milliards d’euros en 2019.

Or ces 20 milliards, c’est exactement le déficit qu’Edouard Philippe anticipe à l’horizon 2035. Le CICE coûte très cher aux finances publiques et, contrairement à ce qu’avait avancé Macron quand il était ministre de l’économie, il est peu efficace pour créer des emplois[5] 


Les enjeux de la question des retraites  

Part du travail dans la valeur ajoutée (Part en % du coût du travail dans la valeur ajoutée brute aux coûts des facteurs) Source : Insee 

Les macroniens accusent souvent l’opposition de ne pas avoir de réforme à proposer. C’est un nouveau mensonge. On peut donner quelques pistes très simples qui ont été avancées pour pérenniser le financement des retraites :

– d’abord augmenter les salaires et plus particulièrement le SMIC, Macron s’y refuse au motif que cela plomberait la compétitivité. Mélenchon[6] a lancé l’idée qu’une hausse de 1% du salaire ferait rentrer 2,5 milliards d’euros pour les retraites. Cette idée est juste et elle est surtout d’actualité : au Royaume Uni Boris Johnson présenté comme un affreux réactionnaire vient de décider une hausse de 6% du salaire minimum, ce qui le met au-dessus du SMIC français[7] ; les Espagnols ont choisi d’augmenter le salaire minimum de 22%, sans craindre pour leur compétitivité !

De leur côté les Italiens ont décidé d’augmenter les retraites, s’attirant les foudres de la Commission européenne.

Je fais remarquer que la compétitivité ne dépend pas seulement du niveau des salaires, mais aussi du capital – la France est très en retard pour la robotisation[8] – et des positions sur les marchés internationaux : depuis qu’en France on fait de la déflation salariale, depuis 1983, et qu’on s’installe dans le grand marché européen, le déficit commercial ne fait que s’aggraver, essentiellement parce que le capital s’est déplacé de l’industrie vers la finance. Si en comprimant les salaires la compétitivité s’améliorait, alors depuis le début des années 2000 pour le moins, nous devrions avoir rééquilibré la balance commerciale.

Au contraire on remarque que le commerce extérieur français s’est amélioré nettement entre 1995 et 2000, c’est-à-dire quand Lionel Jospin a décidé d’augmenter les bas salaires et les minimas sociaux ! Comme le montre le graphique suivant, la compétitivité de notre économie s’est dégradée avec l’entrée dans l’euro. 

Les enjeux de la question des retraites  

– Mélenchon avançait également qu’on pouvait obtenir des rentrées importantes en faisant en sorte que les salaires féminins soient égaux aux salaires masculins[9]. Les salaires féminins, à qualification égale, sont en gros 30% inférieurs aux salaires masculins. Mélenchon avait fait le calcul que cela permettrait de financer une retraite à soixante ans, et avec quarante années d’annuité !

Ces arguments sont très justes et ils ont été repris par Philippe Martinez qui y ajoutait aussi une baisse de la durée du travail ! Mais évidemment si on les suivait dans ce raisonnement on en reviendrait à une hausse des salaires – directs et indirects – dans la valeur ajoutée.

L’argument que les macroniens avancent pour combattre cette idée est que cela plomberait les profits et donc les investissements. Le fameux théorème de Schmidt, les profits d’aujourd’hui font les investissements de demain et les emplois d’après-demain. Or comme le montre le graphique ci-dessous, les investissements productifs ne sont pas corrélés avec le taux de profit. C’est une vieille fable qui remonte à avant Keynes.

Expliquons pourquoi : un entrepreneur n’investira que si en face de lui il y a une demande solvable, et donc si les salaires stagnent, quel que soit le niveau de ses profits, il n’investira pas. Le second argument est qu’aujourd’hui, les taux d’intérêt étant négatifs et les profits au plus haut, il y a des capacités d’investissement inemployées parce qu’on peut, si besoin est, investir à crédit.

C’est d’ailleurs ce qui explique la flambée de la Bourse. Pour rappel le peu de croissance que nous avons eu en 2019 dont Macron est si fier, doit d’abord à ses mesures destinées à calmer les Gilets jaunes, mesures qui ont activé la demande et non pas l’offre[10] 

Les enjeux de la question des retraites  

La conclusion de tout cela est que le bon sens populaire qui rejette les réformes proposées, est très largement supérieur à la pseudo science des experts qui veulent nous gouverner. On en revient à ce que disait Emmanuel Todd, à savoir à « la crétinisation des mieux éduqués »[11]. Et maintenant ça commence à se voir !

 

NOTES :


[2] Michel Etiévent, Ambroise Croizat ou l'invention sociale : Suivi de Lettres de prisons (1939-1941), Editions Gap, 2012

[3] Le président des ultras-riches, Zomes, 2019.

[4] Bullshit jobs, LLL, 2018.

[5] Gilles Fabrice, L’Horty Yannick, Mihoubi Ferhat et al., « Les effets du CICE : une évaluation ex post », Économie & prévision, 2018/2 (n° 214), p. 1-36.

[6] Je ne suis pas Mélenchoniste à cause de ses positions sur l’Union européenne et l’euro, mais comme je suis un homme libre, je le cite si je pense que ce qu’il dit est juste.

[7] Présenté comme un horrible réactionnaire, Boris Johnson a aussi augmenté fortement les dotations pour la santé et l’hôpital, et a aussi pris la décision d’interdire l’exploitation des gaz de schiste. 

[11] https://www.liberation.fr/debats/2017/09/06/emmanuel-todd-la-cretinisation-des-mieux-eduques-est-extraordinaire_1594601 Je suis souvent en désaccord avec Todd, notamment avec les stupidités qu’il a dites concernant Charlie, mais cette idée que nous sommes gouvernés par des crétins est intéressante.

Tag(s) : #Retraites
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