Illustration: "cages à poules" à la prison de Clairvaux
Par Gilles Questiaux
On ne sait pas si le mouvement contre la réforme des retraites voulue par Macron, qualifié souvent d’ampleur exceptionnelle, va triompher, devant l’esquive gouvernementale, non dépourvue de ruse, et la répression .
L’impression générale, c’est que pour faire céder ce gouvernement il faudra le faire tomber.
On peut se dire qu’un jour ou l’autre, la Bastille va finir par crouler. Mais on peut aussi se demander pourquoi ce n’est pas déjà fait.
Une manière de voir, c’est de se dire que la situation n’est pas encore assez mauvaise pour que les gens se révoltent vraiment, une autre au contraire est de dire qu’elle l’est déjà tellement qu’il n’en ont plus la possibilité. On peut aussi se demander si le peuple des esclaves de leur Smartphone n’a pas tout englouti.
Mais en réalité il faut se donner comme principe que la situation révolutionnaire est toujours possible (sauf lorsqu’une révolution vient d’être battue).
Si le mouvement gagne, il portera un coup d’arrêt aux réformes macroniennes qui visent à dissoudre et à refaire un peuple, comme un tas d’individus soumis et concurrentiels . Mais ce « tas » lui même va se structurer et des lignes de failles vont y apparaître.
Tout le monde déteste le capitalisme, ou presque ; certes certains veulent devenir riches ; ils sont jeunes, et se cassent les dents, mais même ceux là ont tendance à critiquer les monopoles, les GAFA, etc.
Le mouvement pour les retraites, c’est évident, n’est pas un mouvement de jeunesse, dans une société où les jeunes sont flattés et les vieux sont écrasés . Mais la vieillesse qui arrive de plus en plus rapidement, surtout si on est pauvre, c’est aussi le seul avenir des jeunes. Et on voit sortir dans la rue des vieux et des moins vieux qui n’ont plus rien à perdre.
Nombreux sont les textes sur Réveil Communiste qui évoquent le rôle historique du prolétariat, et qui appellent à reconstituer son parti, mais comment exactement ? Il y a des pistes, mais il y a aussi une sorte d’inhibition qu’il faudrait lever. RC soutient résolument qu’il faut réhabiliter le socialisme du XXème siècle, en URSS et ailleurs, non pas pour le reproduire tel quel, mais s’en inspirer profondément, parce que jusqu’à un certain point c’est le seul anticapitalisme concret qui ait réussi à durer, et qu’il faut donc partir de lui, et poser comme principe, « que rien n’a pu le rendre mauvais » ; et que si nous avons une mauvaise image de ce socialisme soviétique, c’est qu’on nous l’a fourrée dans la tête dès l’enfance.
En France, la plupart des gens détestent le capitalisme, et pourtant ils croient à la propagande capitaliste, et depuis longtemps, et ils croient aussi à un certain nombre de fausses pistes qui ont toute latitude de s’exprimer parallèlement à l’hagiographie médiatique de ce meilleur des mondes où nous vivons, à une fausse critique du capital, une sorte de fausse propagande révolutionnaire. Ils croient qu’ils suffit de participer à une agitation nominalement anticapitaliste pour « faire quelque chose », et ce quelque chose qu’ils font pourrait bien être exactement le contraire de ce qu’ils veulent, de ce qu’il affirment vouloir. Il y a des contradictions plein la tête des gens.
Et les gens ont peur de la violence, du terrorisme, et plus encore des moyens totalitaires (pour le coup) de l’antiterrorisme. Les gens comme au Chili manifestent entre deux haies de CRS patibulaires et brutaux.
Alors on est poussé à se contenter du symbolique, dans la petite bourgeoisie qui fait l’opinion de gauche . Des tracts rédigés en petits caractères et en écriture inclusive.
Sachant que sans s’illusionner sur les qualités rédemptrices de la violence, qui n’existent pas, il en faudra bien pour sortir d’un système qui repose en réalité sur la contrainte. Mais qui va exercer cette « juste violence » ?
Au XIXème siècle, c’était les classes dangereuses des faubourgs qui pouvaient, à de rares moments, s’attaquer directement au pouvoir politique. Au XXème siècle, ce sont les contradictions de la bourgeoisie au niveau international qui ont mis les armes entre les mains des ouvriers et paysans. Maintenant où passe la ligne de faille ?
Toutes les révolutions qui ont fait trembler l’ordre capitaliste ont joué sur des contradictions internes à cet ordre qui ont désarticulé la bourgeoisie, et qui ont rendu ses forces armées et policières inopérantes. C’est à l’approfondissement des contradictions actuelles, ici et maintenant, qu’il va falloir travailler davantage que ce qui a été fait.
Ce qui rend l’État bourgeois actuel redoutable, c’est sa multiple articulation territoriale : les faubourgs éparpillés sur le territoire doivent affronter maintenant l’État bourgeois, non seulement à Paris, mais aussi à Bruxelles, et même à Washington, dans une structure politique emboîtée particulièrement solide, défendue par des médias qui sont bien au cœur du système, et non un simple instrument qu’il utilise. Le pouvoir est déterritorialisé pour ceux qui l’exercent, mais pas pour ceux qu’il contrôle. Il est au contraire sur-territorialisé, du ghetto à la « communauté internationale » les cages s’emboîtent et se coincent.
Mais les grèves et surtout les blocages peuvent ouvrir ces cages territoriales .
La montée de l’écologisme est un phénomène intéressant : d’une part cette idéologie véhicule une nostalgie socialiste qui ne s'avoue pas , celle d ‘une économie aux fins planifiées, mais bien sûr elle ne veut planifier que la décroissance. D’autre part, la critique du déchet est une critique en somme de la marchandise, de la domination de l’échange sur l’usage, et de l’infestation des esprits par la marchandise. Le capitalisme leur donne envie de vomir, et ça , c’est bien.
Ce qu'ils ont oublié, ou qu'ils n'ont jamais su, c’est l’articulation d’une critique du capitalisme et de la lutte des classes. On tente de substituer une lutte des classes réactionnaire, une nostalgie de la nature chez des groupes fragilisés par l’évolution technologique, à la lutte réelle contre l’exploitation.
Le parti du prolétariat sera le résultat encore difficile à imaginer dans les détails d’une union entre l’extrême gauche petite bourgeoise à tendances écolo et féministe, dans la mesure où elle représente des groupes sociaux en déclin, jouissant de droits, dont celui de faire grève, mais menacés à court terme dans leur existence même, et l’extrême droite des travailleurs périphériques, sans statuts, sans sécurité, sans droits du tout. Sachant que ces « extrêmes » ne le sont pas en réalité, ils sont chacun dans leur genre très accommodants au fond, quand ils suivent docilement les flèches lumineuses dans les magasins « Ikea » . Extrémistes du XXIème siècle sont les sages caricatures de leurs ancêtres du XXème.
Ce qui n’est pas difficile d’imaginer , c’est l’accueil horrifié qu’obtiendra d’abord cette coalition. Mais ce n’est que cette transgression de l’interdit politique fondamental de l’époque qui ouvrira les cages.
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