Téhéran
Un témoignage fort intéressant, transmis par Claude Gaucherand
Chaque année je vais en Iran collaborer avec des universitaires iraniens que je connais depuis vingt ans. Bien entendu je n'ai de contacts directs qu'avec mes collègues, mais je bavarde un peu aussi avec les commerçants chez qui j'achète de quoi dîner, avec le teinturier qui nettoie mes chemises etc. Le persan est une langue très facile, et en apprendre assez pour bavarder ne nécessite pas de grands efforts. Sans être grand connaisseur ni politologue, je connais ce pays certainement mieux que la plupart des journalistes français.
Considérer le peuple iranien comme fanatisé prête à sourire. L'Iran est comparable à la France des années 1960, avec environ un cinquième de la population pratiquante (nettement plus pieuse que les cathos des années 60, il est vrai), et le reste considérant la religion (zoroastrisme compris) comme une part de la culture nationale. Pays très paisible, héritier d'une longue culture très vivace : mes collègues citent parfois Ferdousi ou Khayam à table, comme nos grands-parents récitaient Lamartine ou Hugo.
Les règles sociales datant de 1979 sont strictes, mais de moins en moins appliquées : "En Iran tout est interdit mais tout est possible".
Le droit civil reste imprégné de droit islamique, mais plutôt moins que dans bien des pays voisins.
Politiquement, la plupart des Iraniens souhaiteraient un changement de régime, à condition de l'organiser eux-mêmes mais préfèrent leurs tyranneaux à un collabo des Anglo-saxons parachuté de Californie. Les dirigeants sont les chefs des pasdarans et les grands commerçants "le bazar" ; les mollahs sont depuis longtemps confinés dans les belles mosquée toutes neuves qu'on leur construit pour qu'ils se tiennent tranquilles.
Les Iraniens déplorent que des ressources du pays soient englouties par les guerres en Irak et en Syrie, mais sont bien conscients que leur pays doit se défendre en avant, et pas sur ses frontières.
Toute la population souffre beaucoup du chômage causé par l'embargo et se languit du retour à une situation normale. Bien entendu, s'il s'agit de mettre en scène une manifestation de soutien fanatique au régime, on trouve toujours des figurants.
Les grands commerçants seraient prêts à faire la paix à condition de garder la possibilité de commercer, mais savent que les Anglais et les Etasuniens ne veulent pas faire de concession, et ont l'intention de tout rafler et d'envahir le marché iranien de la camelote qu'ils importeront de Chine.
Donc la paix n'est pour le moment pas possible quoique les Iraniens la désirent, du paysan au président. Le rêve américain est encore très présent, et les Iraniens sont inquiets de l'influence russe et chinoise, mais ils sont patriotes et ne renverseront pas le régime tant que le pays sera assiégé (à mon avis).
Traditionnellement l'Iran est tourné vers les pays d'Europe assurant un contrepoids aux influences anglo-saxonne et russe. Les liens sont anciens avec l'Allemagne et surtout avec la France. L'instruction publique fut jadis organisée sur le modèle français (le bon vieux modèle traditionnel !) et le vocabulaire médical est très largement français. La bourgeoisie iranienne était massivement francophone avant la révolution, et les classes moyennes restent un peu francophones et très francophiles. Le français est la première langue que les Iraniens veulent apprendre (l'arabe et l'anglais sont obligatoires au lycée).
Mais il ne faudrait pas que la France continue à s'aligner panurgiquement sur la politique des faucons israéliens et anglo-saxons, sinon elle perdrait son renom.
Il est grand temps que la France redevienne un pays pleinement souverain menant sa propre politique dans son propre intérêt.