Ce chiffre à multiples zéros devrait donner le vertige ou plutôt la nausée : 1.425 milliards de dollars distribués en 2019 aux actionnaires, en hausse de 97% sur dix ans. Combien de salariés peuvent se prévaloir d’une telle rallonge en si peu de temps ? Pas beaucoup. Dans son étude, le cabinet Janus Henderson dresse un top 20 des sociétés les plus généreuses. Sans surprise, les pétrolières occupent les premières places : médaille d’or pour Royal Dutch Shell et troisième place pour Exxon.
Total pourrait passer pour pingre auprès de ses actionnaires avec une dix huitième place... Mais à regarder les chiffres de plus près, le géant pétrolier français se montre extrêmement prodigue avec ses investisseurs. D’après les calculs financiers de La Lettre Vernimmen, Total leur a alloué en 2019 au titre de l’exercice 2018, sous forme de dividendes et de rachat d’actions, un chèque 8,6 milliards d’euros. Juste pour les récompenser, non de leur labeur, mais de leur fidélité capitalistique.
ABSTRAIT
Une somme rondelette. Mais un peu abstraite. Pour prendre la réelle mesure de cette prodigalité actionnariale, il faut comparer le chèque payé par Total à l’ensemble des salariés du groupe. Au titre de « charges de personnel », la compagnie pétrolière mentionne une somme totale de 9,1 milliards d’euros.
Autrement dit, les coupons et autres cadeaux versés aux investisseurs représentent pratiquement l’ensemble des fiches de paie ! Le coût des actionnaires équivaut au coût des salariés. François Mitterrand brocardait « ceux qui s’enrichissent en dormant ».
Mais chez Total, la sieste rapporte autant que le travail. Tous les fleurons du CAC 40 ne pratiquent pas une telle largesse avec les financiers. Les sommes allouées aux actionnaires par Saint-Gobain (992 millions en 2019 selon La Lettre Vernimmen) représentent 12% de l’ensemble des salaires versés.
Même les plus libéraux devraient tiquer.
Tous ces montants méritent une réflexion plus poussée sur la légitimité économique de telles enveloppes. Même les plus libéraux devraient tiquer. En théorie, la rémunération de l’actionnaire représente la juste partie du risque pris. Or, à regarder l’évolution des dividendes ces dernières années, les moissons semblent progresser au fil des ans. Par beau comme par gros temps.
Chez Total, « le dividende est stable ou en hausse chaque année depuis plus de 35 ans » se flatte sur son site officiel la compagnie. Les prix du baril font du yo-yo, pas le pécule des boursiers qui tombe avec la régularité d’un métronome.
Au fond, investir dans une grande multinationale ne correspond plus à une prise de risque mais à la perception d’une rente. Finalement seuls les salariés se retrouvent exposés aux vicissitudes économiques de leur société. Un comble !