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  La nouvelle formule des pensions de réversion répondra à un "objectif de solidarité", se targue le gouvernement. Mais ses conséquences concrètes s'éloignent de ces belles intentions...

La nouvelle formule des pensions de réversion répondra à un "objectif de solidarité", se targue le gouvernement. Mais ses conséquences concrètes s'éloignent de ces belles intentions... - CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AF

Marianne

La réforme des retraites prévoit une refonte des pensions de réversion, dont la nouvelle formule doit répondre à "un objectif de solidarité". Mais dans les faits, elle pénalisera de nombreux ménages modestes en favorisant les plus aisés. Les conditions d'accès seront aussi durcies, avec une suppression en cas de remariage du conjoint survivant.

Une refonte totale. La réforme des retraites du gouvernement prévoit de bouleverser les règles de la réversion, qui permet aux veufs de toucher une partie de la pension de leur conjoint décédé. Les règles de calcul seront ainsi remaniées pour les assurés nés après 1975 : le montant versé garantira au conjoint survivant un revenu égal à 70% des retraites totales du couple. De quoi mieux préserver son niveau de vie et répondre à "un objectif de solidarité", selon le gouvernement.

Mais dans les faits, cette nouvelle formule sera moins favorable pour de nombreux retraités modestes, et profitera à l'inverse aux ménages aisés. L'exécutif prévoit aussi de durcir les conditions d'accès à la réversion, qui sera notamment coupée en cas de remariage du conjoint survivant.

La pension de réversion représente un enjeu majeur pour de nombreux retraités. Ils étaient 4,4 millions à en toucher une fin 2017 selon la Drees, dont 88% de femmes. De quoi augmenter leur pension de 630 euros bruts par mois en moyenne. Ce bonus répond à un double objectif : "[permettre] aux veuves de conserver un niveau de vie satisfaisant" et "[compenser], en partie, les différences de niveau de retraite entre les femmes et les hommes", expliquait dans un article publié en février 2019 Henri Sterdyniak, économiste à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE).

La réversion doit ainsi éviter que les revenus de la conjointe survivante chutent trop brutalement après la mort de son époux. Ce filet de sécurité est d'autant plus nécessaire que la retraite des femmes est très souvent inférieure à celle de leur mari, leur carrière étant plus affectée par le mariage (à travers un temps partiel pour s'occuper des enfants par exemple).

Cette garantie d'un niveau de vie stable serait renforcée par les nouvelles règles, selon le gouvernement. La réforme prévoit que la réversion portera le revenu de la veuve à une part des retraites totales que recevaient les époux, fixée à 70% dans l'étude d'impact. Prenons l'exemple d'un couple de retraités "standard", où l'homme touche 1.740 euros bruts par mois et son épouse 1.070 euros. Leur total de pensions est alors de 2.810 euros par mois. Après le décès du mari, la réversion garantira à la veuve 70% de cette somme, soit 1.970 euros par mois. Elle sera ainsi égale à la différence entre ce montant et la pension de la retraitée, soit 900 euros bruts par mois.

De quoi "assurer au conjoint survivant le même niveau de vie qu’avant le décès de son conjoint", défend Henri Sterdyniak. Ces règles s'appliqueront à l'ensemble des retraités, alors qu'elles diffèrent aujourd'hui selon les régimes.

REDISTRIBUTION À L'ENVERS

Mais à y regarder de plus près, les conséquences concrètes de la réforme s'éloignent de "l'objectif de solidarité" brandi par le gouvernement. Dans la pratique, le taux à 70% prévu sera moins favorable que les règles actuelles pour de nombreux retraités modestes. Pour ceux du régime général, la réversion est aujourd'hui égale à 54% de la pension du conjoint décédé, auxquels s'ajoutent 60% de sa complémentaire. Dans notre exemple d'un mari à 1.740 euros par mois, sa conjointe touche ainsi 960 euros de réversion par mois au moment de son décès. Soit 60 euros de plus que ce qu'elle recevrait dans le nouveau système, une différence notable.

Le nouveau mode de calcul sera d'autant plus pénalisant que les pensions des conjoints étaient proches. Prenons le cas d'un couple de retraités du régime général, où les deux époux touchent tous les deux 1.250 euros par mois. Dans l'ancien système, le survivant aurait reçu une réversion de 700 euros bruts par mois. Après la réforme, elle ne sera plus que de 500 euros bruts : la perte est de 200 euros par mois, un gouffre. Des retraités mariés ne reçoivent aujourd'hui une pension aussi proche que dans peu de cas, celle de l'épouse étant le plus souvent inférieure. Mais de plus en plus de ménages seront dans cette situation à l'avenir, alors que les revenus des femmes et des hommes se rapprochent au fil des générations.

A l'inverse, les nouvelles règles seront favorables pour les veuves dont la retraite était largement inférieure à celle de leur mari. Dans un exemple où l'épouse n'avait aucune pension propre, elle touchera 70% de celle de son conjoint décédé, puisque cette dernière représentait l'ensemble des revenus du couple. Elle sera donc gagnante par rapport à l'ancien système, où elle aurait perçu un peu plus de la moitié de la retraite de son conjoint. Dans le détail, "la veuve d'un salarié y gagne si sa pension était inférieure à 47% de celle de son mari", calcule l'économiste Henri Sterdyniak.

Mais seule une petite minorité d'épouses seront dans cette situation. "A l'heure actuelle, environ 35% des veuves ont une pension inférieure à la moitié de celle de leur mari", estime Henri Sterdyniak. Et cette proportion promet de diminuer encore d'ici l'entrée en vigueur des nouvelles règles, les écarts de revenus étant plus faibles dans les couples nés après 1975.

Une deuxième catégorie sera gagnante : les retraités avec un niveau de vie au-dessus de la moyenne. La réversion est aujourd'hui soumise à un plafond de ressources dans le régime général de base, fixé à 1.760 euros par mois. Elle est ainsi réduite si les revenus du conjoint survivant dépassent ce montant.

C'est le cas dans l'exemple d'un couple où l'épouse touche 1.230 euros de pension par mois, et son époux 2.000 euros. Après le décès de son conjoint, la veuve ne touchera que 845 euros par mois (contre 1.100 euros s'il n'y avait pas de plafond). Cette contrainte sera supprimée par la réforme : une retraitée dans la même situation touchera alors 1.030 euros de réversion par mois. Le gain est considérable, à 185 euros bruts par mois.

ETUDE D'IMPACT TROMPEUSE

Les gagnants seront plus nombreux chez les conjoints de fonctionnaires. Les veuves des retraités des trois fonctions publiques touchent aujourd'hui 50% de la pension de leur mari décédé. Et ce sans plafond de ressources.

Avec les nouvelles règles de calcul, toutes celles dont la pension était inférieure aux deux tiers de celle de leur époux toucheront une meilleure réversion. Dans l'exemple d'un couple où le mari décédé touchait 2.000 euros par mois et sa veuve 1.100 euros, cette dernière touchera 70 euros en plus avec la réforme.

Mais dans le cas où les époux gagnent tous les deux 2.000 euros de retraite, la conjointe survivante percevra 200 euros de moins que ce qu'elle aurait eu dans l'ancien système.

La réforme de la réversion pénalisera donc de nombreux retraités modestes, en favorisant les plus aisés. Un effet pervers majeur, et pourtant invisible dans l'étude d'impact du gouvernement. Ce document envoyé aux députés montre même l'inverse : dans les cas-types présentés, les retraités modestes sont ceux qui profitent des nouvelles règles, alors que ceux ayant de meilleurs revenus sont perdants.

Deux astuces expliquent ce camouflage.

La pension du conjoint décédé est tout d'abord bien supérieure à la moyenne dans tous les exemples, à 2.000 euros par mois. Conséquence : quand la veuve a une pension faible, l'écart avec celle de son mari est assez important pour en faire une gagnante. Et quand sa pension est élevée ? C'est là qu'intervient la deuxième entourloupe : les montants présentés comme ceux du système actuel n'intègrent pas le plafond de ressources. De quoi largement surévaluer les pensions de réversion versées aujourd'hui, et maquiller le gain que représentera la réforme pour les veuves les plus aisées.

LE CASSE-TÊTE DES DIVORCÉS

En plus de modifier la formule de la pension de réversion, la réforme durcira ses conditions d'accès. Les veuves devront avoir été mariées pendant deux ans ou plus, ou avoir eu au moins un enfant avec leur conjoint décédé pour la toucher. Surtout, elles verront leur pension de réversion supprimée si elles se remarient après le décès de leur époux défunt. Autant de conditions qui n'existent pas aujourd'hui dans le régime général. Des contraintes similaires existent toutefois déjà pour les veuves de fonctionnaires, qui doivent avoir été mariées pendant quatre ans (ou avoir eu un enfant) et ne pas s'être remises en couples.

Alors que le gouvernement avait aussi envisagé de supprimer la réversion pour les conjoints divorcés, elle sera finalement maintenue. Cette question n'était pas tranchée dans le projet de loi, qui la renvoyait à une future ordonnance. Pour préparer ce texte, la rédaction d'un rapport avait été confiée à Bertrand Fragonard, président du Haut conseil de la Famillle, de l'Enfance et de l'Âge, et à Anne-Marie Leroyer, professeure de droit à la Sorbonne. "La logique de maintien des ressources des personnes veuves impliquerait de n'accorder des droits qu'au dernier conjoint", avançait l'exécutif dans la lettre de mission qu'il leur avait envoyée. Autrement dit, l'ex-épouse ne devrait pas recevoir de réversion, puisque le décès de son ancien mari n'affecte pas son niveau de vie à la baisse.

Cette option aurait mis en péril l'autre objectif de la réversion, qui est de compenser les inégalités au sein du couple. Pour l'éviter, l'exécutif avait demandé à ses experts "[d']examiner (...) si la prestation compensatoire", l'indemnité fixée au moment de la séparation, "constitue un outil suffisant" pour compenser une suppression de la réversion.

Mais leur rapport, publié le 12 février dernier, a pointé les "difficultés multiples" de ce scénario. "Les modalités de prise en compte de la perte des droits à réversion pour la divorcée sont sources de calculs aussi complexes qu'aléatoires", souligne le document. Les deux auteurs ont aussi proposé une solution alternative, consistant à maintenir cet avantage pour les divorcés sous une forme remaniée. Une option finalement retenue par le gouvernement, comme annoncé le 14 février dernier.

Dans le système actuel, la pension de réversion du défunt est partagée entre sa dernière épouse et son (ou ses) ex-femme(s), en proportion des durées des différents mariages. Dans un cas où l'assuré décédé était resté 30 ans avec sa première femme et 10 ans avec la seconde, la première touche ainsi les trois quarts de la réversion.

Après la réforme, les montants perçus par les conjointes seront indépendants. Celle qui était encore mariée avec le défunt recevra une somme calculée selon la règle des 70%, sans être amputée pour alimenter la pension de sa prédécesseuse.

De son côté, l'ex-épouse percevra une pension de réversion fixée selon une formule spéciale. Son bonus sera égal à 55% de la retraite du défunt, multipliée par la proportion que représente la durée de mariage par rapport à sa carrière.

En clair : si le conjoint décédé a travaillé pendant 42 ans et est resté pendant 21 ans avec son ex-femme, cette dernière recevra 22,5% de la pension (55 divisé par deux). A noter que le montant versé à l'ex-conjointe sera soumis à un plafond de ressources, dont le niveau n'a pas été précisé.

 

 

Tag(s) : #Retraites Reversion
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