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LE BLOG DE

DESCARTES

Une salle de marché en ligne peut-elle vous aider à Trader ?

La loi du marché...La loi du profit...

C’est le président Pompidou qui avait remarqué qu’une fois les bornes franchies, il n’y a plus de limite. Le macronisme aujourd’hui est en train de lui donner raison. Ayant élevé la transgression et le parler vrai au rang des vertus politiques, l’exécutif se trouve aujourd’hui à gérer les retours de flamme de ministres et de députés qui, ne se sentant plus liés par les convenances, par les traditions, par la « common decency » chère à Orwell, étalent sans nuances leur pensées profondes, quitte à montrer publiquement leur mesquinerie et leur égoïsme.

L’affaire du congé pour le décès d’un enfant a illustré jusqu’à la caricature cette dérive.

Au départ, les faits : le groupe UDI dépose une proposition de loi rallongeant le congé accordé au salarié lorsqu’un de ses enfants mineurs décède. La durée de ce congé est fixée par la convention collective ou le statut régissant le salarié, mais sa durée ne peut être inférieure à un plancher de 5 jours. C’est ce plancher que la loi remonte pour le passer à 12 jours. Eliminé de la proposition de loi lors du passage en commission, un amendement est déposé pour le rétablir lors de l’examen en séance plénière à l’Assemblée.

Pas besoin de sortir de Polytechnique pour voir que l’effet de cette mesure est négligeable : la mortalité infantile étant ce qu’elle est, le nombre de décès de mineurs est aujourd’hui très faible, de l’ordre de 2000 par an. Par ailleurs, un grand nombre de conventions collectives prévoient déjà des congés supérieurs au minimum légal. Mais on notera que la proposition de loi impose la charge de ce congé – infime, comme on vient de le montrer – à l’employeur. C’est ce petit détail qui mettra le feu aux poudres.

Car si le gouvernement s’oppose à l’allongement, c’est bien pour cette raison. Et c’est Murielle Pénicaud qui le dit le mieux : « Nous sommes tous d’accord, perdre un enfant est un des plus grands drames de la vie. Mais, ce que vous proposez, c’est un congé payé à 100 % par l’entreprise ».

Tout est là.

Comment quelqu’un pourrait imaginer un instant qu’on puisse demander à l’entreprise d’accorder quelque chose à ses salariés, fut-il pour l’aider à faire face à un de plus grands drames de la vie ? Dans cette affaire, le gouvernement prend une position « inhumaine ». Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est le président de la République lui-même, qui sur cette affaire a appelé le gouvernement « à faire preuve d’humanité ».

La première question que cette affaire suscite, c’est celle de savoir pourquoi l’allongement de ce congé de deuil est proposée aujourd’hui. Après tout, le problème n’a rien de nouveau. Pourquoi alors aurait-on besoin aujourd’hui de douze jours pour ce qui hier se faisait en cinq ? La réponse est à mon sens révélatrice : il y a un demi-siècle, rares étaient les patrons qui auraient refusé à l’un de leurs salariés touché par la tragédie un congé exceptionnel d’une durée plus importante que le plancher légal. L’héritage moral des religions, les règles de la « common decency » imposaient aux acteurs une gestion « humaine » de ce type de situations.

Mais la logique hyper-concurrentielle qui s’est imposée depuis quarante ans a tout changé. Car dans un système concurrentiel, tout geste d’humanité doit être évalué selon une logique coût/avantage. Et lorsque le geste d’humanité se fait au détriment de la compétitivité, il met en danger l’organisation toute entière : celui qui descend de son vélo pour aider un camarade qui a chuté est sûr de perdre la course.

C’est pourquoi il ne faut pas trop en vouloir à Murielle Pénicaud. Elle ne fait que ce qu’elle a été programmée pour faire. Ancienne DRH de Danone, elle a certainement subi pendant toute sa carrière la pression pour gagner la compétition à tout prix. Et dans ce contexte, on se convainc facilement que toute faiblesse, toute concession, tout geste d’humanité est suicidaire.

C’est ainsi que des gens ni plus ni moins décents que les autres sont déshumanisés, amenés à prendre des décisions qui, regardées avec distance, sont proprement inhumaines. Une inhumanité justifiée au nom du choix du moindre mal. Et ceux qui choisissent le moindre mal ont tendance à oublier qu’ils ont quand même choisi le mal. On a vu ce mécanisme pervers fonctionner à France Télécom. Et on se souviendra de la défense de Didier Lombard devant ses juges : les mesures prises étaient dures, mais indispensables pour sauver l’entreprise.

Dans un marché concurrentiel, il fallait à tout prix rétablir la compétitivité ou disparaître. Et on peut penser que Lombard était sincèrement convaincu d’avoir fait le bon choix, tout comme on peut penser que Pénicaud est sincère lorsqu’elle refuse d’allonger le congé pour deuil parce qu’il serait payé « à 100% par l’entreprise ».

Et Pénicaud n’est pas seule : l’ensemble des députés LREM présents ont voté comme un seul homme contre l’amendement. Beaucoup ont défendu leur vote dans les mêmes termes que Murielle Pénicaud. Il serait faux de croire que les députés LREM seraient de simples godillots votant dans cette affaire contre leurs convictions pour faire plaisir au gouvernement, comme certains essayent de nous le faire croire.

Non, une grande partie du groupe LREM est parfaitement dans la logique de Pénicaud, telle Sereine Mauborgne qui déclare pendant le débat « Quand on s’achète de la générosité à bon prix sur le dos des entreprises, c’est quand même un peu facile ». « Touche pas à l’entreprise » est le réflexe naturel de cette majorité, et il le reste quand même bien cela conduirait à une position « inhumaine ».  

Lionel Jospin s’était illustré par la formule « oui à l’économie de marché, non à la société de marché ». Ce que Jospin n’a pas compris, c’est que comme le disait le vieux Karl, c’est la structure économique qui détermine en dernière instance les rapports sociaux. Une économie de marché est nécessairement liée à une société de marché. Confier aux mécanismes de marché la régulation de l’économie implique à courte échéance en faire le régulateur de domaines comme l’éducation, de la santé, de la vieillesse, de la famille, et cela quand bien même on proclamerait publiquement qu’on entend les y soustraire.

Le vieux Karl nous avertissait que le capitalisme allait réduire l’ensemble des rapports humains « au paiement comptant ». Avec le personnel politique macronien, nous n’en sommes pas loin: le vote des députés LREM n’est pas une erreur, un aléatoire. C’est la conséquence logique d’une pensée mercantile, et d’une méthode qui, au nom de la « transgression », a supprimé une à une les barrières qui empêchaient l’expression brutale de l’égoïsme de classe. François Hollande parlait des « sans dents » en privé. La « transgression » macronienne permet de dire aujourd’hui la même chose en public, et sans honte.

Dans ce contexte, comment interpréter l’appel du président de la République au gouvernement à « faire preuve d’humanité » ? Avouez que le choix des mots est intéressant. Je me demande s’il y a un précédent d’un président de la Vème République – ou de n’importe quelle autre – qualifiant l’action de son propre gouvernement de « inhumaine ». Car il ne faut pas se voiler la face : appeler le gouvernement à un comportement « humain » n’a de sens que si le président estime que ce n’est pas déjà le cas. Et la question qui se pose immédiatement est celle de savoir comment un président peut-il garder un gouvernement qui se comporte de la sorte.

On peut interpréter la formule macronienne comme une simple opération de communication. On peut, si l’on veut être gentil avec le président, y voir le cri du cœur d’un homme horrifié par sa propre création, réalisant que sa volonté de « transgression » a fait tomber les barrières de la décence, et rendu possible l’expression nue des pires égoïsmes. Un apprenti sorcier, en quelque sorte…

Descartes

 

Tag(s) : #Macron
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