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Macron a-t-il fait son autocritique ? Est-il devenu europhobe, souverainiste, populiste ?

Cette crise met en évidence en tout cas l’échec idéologique du macronisme. Et ce n’est pas moi qui le dit, c’est Macron lui-même, qui à chaque expression publique contredit aujourd’hui ce que fut son discours en d’autres temps. A ce propos, le discours prononcé le 12 mars dernier (1) marque une rupture conceptuelle que peu de commentateurs ont notés, mais qui est bien là. Dans un seul discours le président a mis en évidence les contradictions de sa propre logique idéologique. Ainsi, voyons ce paragraphe émouvant : « C’est pourquoi, en votre nom, je tiens avant toute chose à exprimer ce soir la reconnaissance de la Nation à ces héros en blouse blanche, ces milliers de femmes et d’hommes admirables qui n’ont d’autre boussole que le soin, d’autre préoccupation que l’humain, notre bien-être, notre vie, tout simplement ». Mais dites, monsieur le Président, ces femmes et hommes admirables, sont-ils pour vous des « premiers de cordée » ? Lorsqu’ils prennent le train, sont-ils de « ceux qui ont réussi », ou au contraire de « ceux qui ne sont rien » ? Tout à coup, dans la vision macroniste où seuls sont respectables ceux qui font de l’argent, on parle de « héros » qui « n’ont d’autre préoccupation que l’humain ». Avouez qu’on est dans le « transgressif », là…

Mais laissons de côté ces détails, et prenons une question plus lourde conceptuellement, celle de la nation. Il n’est pas nécessaire d’être très lucide pour observer que dans l’espace européen, l’épidémie met en évidence le poids des espaces nationaux comme seuls espaces de solidarité. Alors que la solidarité à l’intérieur des frontières nationales va toujours de soi, et que personne ne conteste le rôle des gouvernements nationaux à l’heure de partager les ressources, de transférer des malades ou des équipements de protection d’un point du pays à un autre, l’Europe est absente, inexistante. Les citoyens, qui exigent tout de leur Etat, ne demandent et n’attendent rien de l’Europe et la réaction des institutions européennes les justifie amplement. A l’heure de fournir aide et soutien, l’Italie a plus à attendre de la Chine que de l’Union européenne.

Et que nous dit Macron de la Nation – avec un « N » majuscule dans le texte publié, la graphie n’est pas ici anodine ? Ecoutons le président : « C’est cela, une grande Nation. Des femmes et des hommes capables de placer l’intérêt collectif au-dessus de tout, une communauté humaine qui tient par des valeurs : la solidarité, la fraternité » (2). Et il rajoute : « L’autre écueil, ce serait le repli individualiste. Jamais de telles épreuves ne se surmontent en solitaire. C’est au contraire en solidaires, en disant nous plutôt qu’en pensant je, que nous relèverons cet immense défi. C’est pourquoi je veux vous dire ce soir que je compte sur vous pour les jours, les semaines, les mois à venir. Je compte sur vous parce que le Gouvernement ne peut pas tout seul, et parce que nous sommes une nation ». Et ce n’est pas tout : « Je compte sur vous toutes et tous pour faire Nation au fond. Pour réveiller ce qu’il y a de meilleur en nous, pour révéler cette âme généreuse qui, par le passé, a permis à la France d’affronter les plus dures épreuves. » De Gaulle n’aurait pas dit mieux…

Il n’aura échappé à personne combien ce discours revalorise finalement la Nation en tant que collectivité politique, ce qui implicitement remet en cause tout le crédo européen que Macron a fait sien lors de la campagne présidentielle et ses première années au pouvoir. Car pourquoi faudrait-il « faire Nation au fond » s’il était possible de « faire Europe » ? Pourquoi cette référence à ce qui fait une « grande Nation », la solidarité et la fraternité, alors qu’on est censés avoir ces mêmes valeurs dans l’ensemble de l’Union européenne ? Que veut dire Macron lorsqu’il nous dit qu’il « compte sur nous » parce que « nous sommes une nation » ? Qu’on ne peut pas compter sur les européens parce qu’ils n’en sont pas une ?

Il y a dans ce discours une rupture évidente avec le discours habituel du macronisme. Et même si on peut trouver un paragraphe fustigeant « le repli nationaliste » et qualifiant la coordination européenne de « essentielle », on sent que le cœur n’y est pas. Preuve s’il en est le dernier paragraphe de son intervention, peut-être le plus révélateur jusque dans ses contradictions et ses hésitations :

« Mes chers compatriotes, il nous faudra demain tirer les leçons du moment que nous traversons, interroger le modèle de développement dans lequel s’est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour, interroger les faiblesses de nos démocraties. Ce que révèle d’ores et déjà cette pandémie, c’est que la santé gratuite sans condition de revenu, de parcours ou de profession, notre Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux, des atouts indispensables quand le destin frappe. Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. »

On voit bien l’hésitation dans la formule « une France, une Europe souveraine ». Formule contradictoire, puisque deux entités souveraines ne peuvent être subordonnées l’une à l’autre (3). On le voit aussi dans le reste du texte. Lorsque Macron nous dit que « déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d’autres est une folie », qui est ce « nous » et qui sont les « autres » dont il parle ? La seule institution à laquelle nous ayons « délégué notre alimentation, notre protection », c’est l’Union européenne, et c’est là encore l’institution qui nous pousse à « confier au marché » l’ensemble de nos services publics. La construction européenne serait donc la « folie » dont parle Macron ?

L’ambiguïté du texte est probablement voulue. Sans elle, le discours présidentiel serait une attaque sans nuance contre la construction européenne telle qu’elle s’est faite depuis au moins l’Acte unique de 1986, et Macron connaît suffisamment bien son électorat pour savoir quel en serait l’effet. En temps normal, un tel discours aurait provoqué un tollé parmi les partisans du président de la République. Vous vous imaginez, parler de placer certains « biens et services » hors marché, alors que le crédo de l’Union européenne depuis un demi-siècle est celui du « marché libre et non faussé » dans tous les domaines de l’activité humaine ? C’est la crise qui donne à ce qui hier aurait été indicible la valeur de l’évidence.

Faut-il s’attendre à des révisions déchirantes dans l’après-virus ? Déjà certains expliquent combien la vision néolibérale consistant à produire là où c’est le moins cher, laissant de côté des considérations de sécurité nationale ou de stratégie industrielle a fait son temps. Mieux encore : ceux qui brodaient sur l’impuissance des Etats à l’heure de la mondialisation, de la décentralisation et de l’européisation découvrent tout à coup le vrai sens de la souveraineté. Ceux qui expliquaient que le droit européen rendait impossible toute politique indépendante découvrent qu’une nation peut parfaitement s’affranchir des textes européens lorsque la volonté politique est là (4). Au-delà des pleurnicheries de tel ou tel ministre, la possibilité est là pour autant qu’on veuille s’en saisir. Paradoxalement, cette crise fera redécouvrir aux citoyens mais aussi aux politiques la dimension tragique de la politique, et aussi l’existence de leviers qui, même s’ils sont un peu rouillés faute d’usage depuis longtemps, sont toujours là. L’oublieront-t-ils une fois la crise passée ?

Nul n’est prophète à l’heure de prévoir d’où les révolutions viendront. Jean-Luc Mélenchon promettait une “révolution citoyenne” par a prise de conscience par “le peuple” des injustices de notre société. Je me demande si elle ne viendra plutôt de la prise de conscience, du fait de l’épidémie, de l’importance de “faire nation” à l’heure de bâtir les institutions collectives qui nous protègent. Le débat est ouvert…

Descartes

(1) Le texte intégral est consultable sur https://www.vie-publique.fr/discours/273869-emmanuel-macron-12032020-coronavirus

(2) Là encore, on se demande ce que sont devenus les « premiers de cordée » et autres créateurs de start-up. Eux aussi « placent l’intérêt collectif au-dessus de tout » ? La conversion macronienne à une logique de « solidarité et fraternité » est remarquable. Nous pensions avoir un président « libéral », adhérant à l’idée qui veut que la poursuite égoïste de son avantage produise, grâce au mécanisme de marché, une société vertueuse – résumée par la formule de Mandeville « vices privés font les vertus publiques ». Nous nous retrouvons avec un président vantant les valeurs de solidarité et fraternité, et rendant hommage à ceux qui mettent l’intérêt collectif au-dessus de l’intérêt égoïste. Prise de conscience, ou simple technique de communication ?

(3) Par définition, une entité est souveraine lorsqu’elle n’est soumise à aucune règle qu’elle n’ait faite elle-même. Une Europe souveraine peut décider d’imposer à la France n’importe quelle règle (puisque toute règle limitant ses compétences ne peut venir que d’elle-même), alors qu’une France souveraine peut rejeter toute règle venue de l’extérieur…

(4) Pensez au décret du 4 mars 2020 réquisitionnant les stocks de masques de protection, décret totalement illégal vis-à-vis du droit européen, mais aussi aux différentes mesures financières qui font totalement dérailler le pacte de stabilité et ses 3% de déficit. Ce qui confirme amplement le point de vue que j’ai toujours soutenu ici : la souveraineté « réside essentiellement dans la Nation ». En d’autres termes, les transferts de compétences ou les limites qu’une nation s’impose à elle-même sont toujours précaires et révocables.

Tag(s) : #Macron
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