Qui peut en douter ? Si les mêmes restent aux affaires, le jour d’après la pandémie ne marquera pas le début d’une renaissance. Ce gouvernement-ci ou le suivant tenteront de relancer la machine en visant le retour à la croissance – et non un nouveau mode de développement. Il ne saurait en être autrement car la macronie vit en symbiose avec le capitalisme sous l’égide des normes bruxelloises, en s’appuyant sur ce qu’il reste d’un Etat dont les missions ont été subverties par le Nouveau management public (1).
Dans ces conditions, il n’est pas surprenant que la gestion désastreuse de la crise sanitaire se double d’une réaction piteuse à la brutale récession qui frappe notre pays. Un plan de soutien à l’économie de 100 milliards, avec seulement 30 milliards de dépenses publiques supplémentaires, c’est peu, trop peu pour faire face à une crise que Bruno Le Maire déclare “vertigineuse”. L’Allemagne, que l’oligarchie chercher à imiter quand ça l’arrange, annonce quant à elle un plan de 1 100 milliards…
Avant même que la France soit au cœur de la tempête, car le pire est à venir, des voix s’élèvent pour annoncer que le temps de la reprise sera celui des sacrifices. Gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau déclarait le 18 avril qu’il “faudra rembourser” la dette publique qui va atteindre 115% du PIB. Un remboursement qui se fera, a-t-il précisé, par des coupes dans les dépenses sociales. Plus évasif, Bruno Le Maire avait annoncé le 10 avril qu’il faudrait “faire des efforts” pour rembourser mais il n’est pas difficile de deviner à quelles classes sociales et à quels secteurs les “efforts” seront imposés.
Rembourser la Dette ! Telle est la sempiternelle injonction des “gouvernances” oligarchiques qui se double d’un appel à la responsabilité parentale : il faut rembourser la Dette pour que son poids ne retombe pas sur la tête de nos enfants. Tous coupables, ces Français qui sont de mauvais citoyens doublés de parents exécrables… Ce discours moralisateur que la classe dirigeante assène depuis des décennies doit être dénoncé pour ce qu’il est : un tissu de mensonges, une entreprise de chantage destinée à faire accepter des mesures punitives.
La dette publique n’est pas une donnée immédiate qui s’imposerait par l’évidence scientifique des chiffres publiés. Cette dette est une construction qui résulte de décisions politiques (2). On peut, par exemple, on peut présenter une dette brute, ou bien une dette nette moins lourde grâce à la prise en prise en compte des actifs financiers de l’Etat. Et c’est sur injonction de Bruxelles que depuis vingt ans les transferts relatifs aux régimes publics de retraites sont considérés comme des dettes de l’Etat. Faire gonfler la dette, c’est se donner un argument massue pour justifier l’austérité. Le thème d’une France “qui vit au-dessus de ses moyens” résulte de cette construction comptable.
Le mensonge est encore plus gros lorsqu’on évalue le poids de la dette publique par rapport au Produit intérieur brut (PIB). Ceci pour une raison toute simple : en fin d’année, l’Etat n’a pas à rembourser l’intégralité de ses emprunts. Concrètement, l’Etat fait rouler sa dette d’une année sur l’autre et, à la différence d’une personne privée, il peut ne jamais la rembourser. En d’autres termes, l’Etat ne paie jamais ses dettes mais seulement les intérêts sur ses dettes.
Le problème auquel notre pays est confronté n’est pas celui d’une dette “à 115% du PIB” ou même à 150% comme à la Libération : c’est la perte de notre souveraineté monétaire. Une crise économique se combat d’abord par une injection massive de monnaie pour soutenir l’offre et la demande : subventions publiques aux entreprises nationales, aides aux entrepreneurs privés, renforcement de la protection sociale…
Depuis que l’Etat n’a plus à entreposer des sacs de pièces d’or et d’argent, la Banque centrale crée cette monnaie et fait au Trésor des avances qu’il n’y a pas à rembourser puisque la Banque de France et le Trésor public sont deux fonctions d’un même État… du moins quand l’Etat dispose de l’ensemble des moyens de sa politique. Mais quand la Banque centrale est installée à l’étranger avec un statut qui la rend indépendante des Etats nationaux, la création monétaire échappe aux gouvernements démocratiquement élus qui ne peuvent plus financer librement les dépenses publiques.
Nous nous souvenons que l’indépendance de la Banque de France et celle de la Banque centrale européenne ont été décidées pour que les Etats réduisent vertueusement leurs dépenses. Une vertu furieusement outragée par la BCE puis la monnaie qu’elle crée alimente une spéculation meurtrière sans réduire le montant des dettes publiques. Certes, Francfort a annoncé un plan de soutien à l’économie. Mais il aura pour contrepartie le retour à l’austérité annoncé, avec une impatience manifeste, par le gouverneur de la Banque de France. Pour sortir de ce piège, et en finir avec “La Dette”, il faut renationaliser la Banque de France afin qu’elle crée à nouveau toute la monnaie nécessaire à l’économie et à la société françaises.
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(1) Cf. l’entretien accordé par Arnaud Teyssier au Figaro le 26 avril.
(2) Cf. Benjamin Lemoine, L’ordre de la dette, La Découverte, 2016.
Editorial du numéro 1189 de « Royaliste » – mai 2020