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L’objectif de ce nouveau conflit était d’assurer la création d’un État libre et démocratique en Pologne, mais aussi d’empêcher la chape de plomb communiste de tomber sur l’Europe de l’Est.

L'opération «Unthinkable»,
un plan britannique daté du 22 mai 1945

coalition des alliés et de la Wehrmacht contre l'Armée rouge ?

Quelques jours après la capitulation allemande, une nouvelle guerre contre l'Union soviétique a-t-elle été envisée par les Britanniques ?macht ?
L’opération « Impensable » : le plan de Churchill pour la Troisième Guerre mondiale, par Jonathan Walker

Source : Jonathan Walker, The National Archives,

Le plan top secret de Churchill pour attaquer l’Empire soviétique était planifié pour le 1er juillet 1945. Les forces britanniques, américaines, polonaises et allemandes devaient tenter de libérer l’Allemagne de l’Est et la Pologne, et ramener Staline à la table des négociations. Si elles n’avaient pas réussi, les forces alliées auraient été aspirées dans une troisième guerre mondiale. A quel point la Grande-Bretagne s’est-elle approchée de l’Armageddon en 1945 ?

Jonathan Walker est l’auteur de « L’Impensable Opération : les plans Britanniques pour attaquer l’Empire soviétique en 1945 ». Il est membre de la Commission britannique pour l’histoire militaire. Il est également vice-président de la West Country Writers Association et a récemment pris sa retraite de son poste d’associé de recherche honoraire à l’Université de Birmingham. Il écrit, fait des émissions et des conférences portant essentiellement sur les différents aspects des guerres du 20ème siècle. Il se rend régulièrement sur les champs de bataille à travers le monde.

Bonjour à tous, mesdames et messieurs, je suis très heureux de vous voir.

Les événements en Ukraine ont vraiment mis en évidence tout le problème de l’Europe de l’Est, mais cet après-midi, nous allons examiner le plan extraordinaire de Churchill pour attaquer l’Empire soviétique le 1er juillet 1945 et tenter de récupérer, en première instance, l’Europe de l’Est et la Pologne.

Il est étonnant de penser que seulement deux mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, le monde aurait pu faire face à une apocalypse et nous allons voir à quel point nous nous en sommes approchés.

L’histoire de ce plan étonnant commence vraiment avec ce document des archives nationales. Il s’agit d’un dossier appartenant à l’Équipe de planification conjointe, qui était en charge, pendant la Deuxième Guerre mondiale, d’élaborer toutes sortes de plans. La plupart de leurs dossiers ont été rendus publics en 1972, dans ce qui était alors le Bureau des documents publics ; ceci est un mémorandum de certains de leurs plans de guerre et vous verrez que nous avons là un numéro qui manque.

Maintenant, lorsque les chercheurs ont commencé à se pencher là-dessus, ils ont eu envie d’aller un peu plus loin parce qu’ils avaient entendu des rumeurs, il y avait un plan impensable ; qu’est-ce qui lui était arrivé ? Et évidemment, c’était probablement l’un de ceux du mémorandum initial.

Des demandes de renseignements ont été faites au bureau du Cabinet qui a fermement refusé de commenter ; ils ont dit qu’il n’y avait pas de plan. Puis tout à coup en 1998, le plan appelé opération « Impensable » est apparu soudainement dans le PRO [Bureau des documents publics] de l’époque, c’était la référence CAB 120/691. De toute évidence, à partir de ce moment-là, le bureau du Cabinet a pensé qu’avec la fin de guerre froide, la Russie ne serait pas trop contrariée de nos plans pour l’attaquer.

Maintenant, c’est ici que l’histoire de ce plan commence réellement ; certains d’entre vous en sont peut être déjà familiers. Churchill le connaissait comme son sale document (naughty document), comme il l’appelait. Il a été concocté à un moment où Churchill s’inquiétait que l’Armée rouge puisse arriver aux portes d’Athènes. Et il a eu une rencontre avec Staline, ils sont assis en face l’un de l’autre et Churchill a griffonné cette note avec des pourcentages d’influence dans tous les pays d’Europe et il l’a poussée à travers la table vers Staline, qui l’a cochée en haut.

Il est intéressant de noter que le seul pays sur lequel il n’y a pas eu un accord en pourcentage est la Pologne, parce que Churchill voulait la garder relativement libre et démocratique, par rapport à beaucoup d’autres pays.

Au moment où Churchill, Staline et Roosevelt, les trois Grands, s’étaient rencontrés à Yalta en février 1945, Staline avait déjà entourloupé la Pologne. Il avait le contrôle virtuel du pays, avait éliminé la résistance et il était en train de mettre en place un gouvernement provisoire, communiste et pro-soviétique.

Churchill est déterminé à ne pas lâcher sur des élections libres et équitables en Pologne, mais son problème est que Roosevelt, qui est clairement un homme malade, est déterminé à agir en honnête courtier : il n’a pas envie de contrarier Staline. Primo, parce que Roosevelt est anti-impérialiste et parce qu’il soupçonne que tout ce que Churchill trame ou suggère fait partie de son ambition de maintenir l’influence de l’Empire britannique ; et secundo, Roosevelt est très désireux de garder Staline à bord, car il veut l’aide soviétique pour en finir avec le Japon. Et rappelez-vous, à ce stade de la guerre, la guerre avec le Japon se poursuivra probablement jusqu’en 1946. Par conséquent, Churchill est écarté d’un coup de coude.

Maintenant que Yalta avait pris fin, la course se poursuivait entre les commandants américains et britanniques pour atteindre des objectifs stratégiques en Allemagne et ici nous voyons dans une jeep Churchill et Montgomery en direction du Rhin, et cela six semaines avant la fin de la Guerre.

Monty était en faveur d’une poussée directe vers Berlin, mais il fut contrecarré par Eisenhower, le commandant suprême allié, qui était déterminé à faire de la Ruhr industrielle la cible alliée principale, laissant Berlin aux Soviétiques. Et c’était cette présence massive et menaçante de deux millions et demi de soldats soviétiques autour de Berlin qui alarmait vraiment Churchill.

Au cours de cette période, Churchill envoie constamment des télégrammes à Roosevelt, l’avertissant de la menace de nouvelles avancées soviétiques. Le président des États-Unis, que nous avons vu ici dans un très mauvais état de santé, dit néanmoins sans ménagement à Churchill : « J’ai essayé de vous expliquer, Winston, que, pendant tout le temps où nous serons vos alliés et impliqués jusqu’à la victoire , vous ne devrez jamais vous imaginer que nous sommes là pour vous aider à vous accrocher à votre empire archaïque et médiéval ». Et l’autre problème pour les Alliés, dans l’équation entre l’Est et l’Ouest, c’est que Roosevelt décède le 12 avril et son successeur est un fermier joueur de poker du Missouri, Harry Truman.

Il a rejoint la partie à une étape critique sans avoir rencontré les principaux joueurs. Mais Churchill est d’abord ravi de l’accession de Truman parce qu’il a une position très dure envers Staline ; c’est-à-dire, avant que le Département d’État américain ne le persuade.

Un autre point d’achoppement potentiel entre l’Est et l’Ouest était la zone située en haut de l’Adriatique. Je ne sais pas si l’un d’entre vous a été dans cette région, on l’appelle Venezia Giulia et c’est juste en dessous des Alpes juliennes. Dans tous les documents que vous pouvez lire concernant cette zone, c’est là que, dans les derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, les planificateurs pensent que la Troisième pourrait commencer.

Mais le problème, c’est que Tito et les partisans communistes yougoslaves arrivent de ce côté, les forces britanniques comme Alexandre, étant stoppées ici. Tito essaie de prendre Trieste et la crainte est que, s’il y a un affrontement dans cette zone, Staline ne pèse du côté de Tito, que les Américains soient obligés de soutenir les Britanniques et que ce soit le coup d’envoi général.

Les autres points chauds qui inquiètent les Alliés sont l’Autriche, là haut, où l’Armée rouge fait face aux forces alliées. Les unités des armées américaines et soviétiques se rencontrent finalement le 25 avril 1945 à Torgau, sur l’Elbe. Rappelez-vous que pendant la Seconde Guerre mondiale ou, comme les Soviétiques l’appellent, la Grande Guerre patriotique, ils ont perdu plus de 25 millions de citoyens et le pays a perdu un tiers de sa richesse nationale. Dans sa vision générale des choses, Staline croit que, en raison de ce sacrifice, il a le droit de prendre en récompense autant de territoires européens qu’il le peut en s’en tirant en toute impunité. Malgré les fausses scènes d’admiration mutuelle entre les forces américaines et soviétiques lorsqu’elles se rencontrent, il y a de grandes tensions sous-jacentes.

Au 8 mai, les forces occidentales avaient dépassé de 150 milles environ les délimitations fixées par accord à Yalta, avec la ligne de contact avec les Soviétiques. Donc, toute cette zone rose ici, c’est ce que les Alliés prennent en plus de ce qui était convenu, la ligne de Yalta était ici, mais en raison de la logistique, ils ont poussé jusqu’à cette ligne ici. Les Américains sont très désireux de céder la zone ; Churchill veut s’y accrocher comme monnaie d’échange.

Churchill câble à son ministre des Affaires étrangères, Anthony Eden : « Les Alliés ne doivent pas se retirer de leurs positions présentes tant que que nous n’avons pas satisfaction pour la Pologne et ne soyons assurés du caractère temporaire de l’occupation russe en Allemagne. Si ces problèmes ne sont pas réglés avant que les armées américaines ne se retirent d’Europe et que le monde occidental ne plie ses machines de guerre, il y a très peu de chances d’empêcher une troisième guerre mondiale ».

C’est écrit ici noir sur blanc.

L’autre inquiétude de Churchill comme la guerre se termine, ce sont les intentions soviétiques sur la péninsule du Danemark. Les forces britanniques arrivent ici et viennent de réussir à atteindre le point ici [près de Lemberg], juste12 heures avant que les Soviétiques n’arrivent et alors que les forces britanniques reçoivent des rapports erronés, c’est ce qui s’est produit, disant que, à Copenhague, les parachutistes soviétiques sont en train d’atterrir. Il y a donc dans l’air une peur très réelle que les Soviétiques poussent à travers le Danemark et peut-être jusqu’aux Pays-Bas.

À ce moment, Churchill reçoit beaucoup de rapports sur les viols et les destructions systématiques qui se déroulent autour de Berlin et dans les zones occupées par les soviétiques. Dans ses lettres qui montrent la très grande étendue de ses peurs, elles sont conservées à Churchill Collage, il discute régulièrement avec ses collègues politiques et ses commandants militaires, disant sa préoccupation que ce système de viols et de pillage se produise dans toute l’Europe de l’Est.

Une autre chose qui préoccupe les Alliés, c’est la façon dont les Soviétiques démontent les infrastructures des territoires qu’ils occupent. Cette usine en Allemagne, les dégâts n’ont pas été causés par les bombardements alliés, ce sont des ingénieurs soviétiques qui ont démonté et enlevé tout ce qui pouvait être utile et l’ont ramené en Union soviétique. Et cette politique spécifique touche beaucoup la Pologne.

Les préoccupations que nous venons de voir ont contraint Churchill, au début de mai 1945, à ordonner à ses chefs d’envisager une nouvelle guerre avec l’Union soviétique. Il est tout à fait clair que Staline a renié l’accord de Yalta, en particulier en ce qui concerne la tenue d’élections libres et non truquées en Pologne. Si l’Occident pouvait envahir l’Allemagne de l’Est et la Pologne et infliger à Staline une défaite écrasante, courte et décisive, Staline pourrait devoir repenser sa domination en Europe de l’Est.

Mais la Grande-Bretagne devait agir rapidement alors qu’elle en avait encore la force militaire. Les mois passant, la démobilisation risquait d’affaiblir cette force et les Américains, bien sûr, se préparaient à déplacer un grand nombre de troupes en Extrême-Orient.

Alors, les chefs et leurs planificateurs ont commencé immédiatement à travailler sur le plan top secret de l’opération « Impensable ». Et la date de début de l’opération devait être le 1er juillet 1945, deux mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Les planificateurs britanniques anticipent que les Américains devront être impliqués, mais à ce stade, ils ne sont pas consultés.

Il est toutefois difficile de savoir, d’après la politique de Truman et du Département d’État, s’ils se seraient jamais impliqués ; ils continuaient à voir Churchill comme la mouche dans le potage de leurs transactions avec Staline. Un général américain, cependant, était prêt pour une nouvelle bagarre. Il n’a pas besoin d’être présenté, mais je pense qu’il montre la route vers Moscou ; il aurait été prêt à le faire.

Et voici le plan, à l’époque top secret, connu seulement de Churchill, de ses trois Chefs d’état-major et de leurs équipes de planification. L’idée est donc d’utiliser une force composée des forces britanniques, américaines, polonaises et allemandes pour attaquer et vaincre l’Armée rouge et, selon les termes des planificateurs : « Le but général ou politique est d’imposer à la Russie la volonté des États-Unis et de l’Empire britannique ».

De rudes paroles, vraiment.

Fait intéressant, les cartes et les plans n’ont jamais été versés dans le domaine public : soit ils ont été détruits, soit ils sont encore retenus. Voici une carte que j’ai construite à partir des mouvements très détaillés décrits dans le plan. L’idée était que ce serait une attaque en deux poussées : au nord, ici, sur une ligne de Stettin à Bydgoszcz, se courbant ici et longeant une partie de la côte de la mer Baltique. Il y aurait des attaques alliées ici, entrant par là dans Gdańsk ; on pensait que c’était une zone assez facile à prendre. La partie délicate serait le côté sud qui avancerait ici par Cottbus, à travers Poznan et se détacherait ici pour prendre Wrocław.

Le problème, c’est que le flanc sud, la Tchécoslovaquie, est plein à craquer de forces soviétiques et le danger est que, si les Alliés poussent trop profondément en Pologne, ils soient coupés par une avancée de l’Armée rouge dans le sud, depuis la Tchécoslovaquie.

Donc, l’idée est de vaincre l’Armée rouge dans cette zone-ci, et cela suppose de défaire leurs régiments de blindés, puis d’établir une ligne de Gdańsk jusqu’à Wrocław en bas ; avec l’espoir que Staline aurait alors pris un tel coup sur le nez qu’il serait revenu à la table de conférence et que nous aurions pu renégocier les frontières.

Maintenant, le problème était que, si nous n’avions pas vaincu l’Armée rouge sur le terrain de façon décisive mais avions été attirés plus loin, nous aurions connu le même sort que Hitler et avant lui, Napoléon : la prise en tenailles classique. Les planificateurs pensaient également qu’une fois que nous aurions attaqué l’Armée rouge, Staline aurait avancé jusqu’ici, pris la Norvège et serait descendu jusqu’à Trondheim. Il aurait également envahi la Grèce, pris la Turquie et descendu ici et pris l’Irak et l’Iran, pour leur pétrole.

En même temps, ils pensaient qu’une fois que les hostilités auraient commencé, Staline se serait immédiatement allié au Japon ; donc des problèmes sur tous les fronts. Et en dépit du fait que les Polonais avaient le plus à gagner de l’opération « Impensable », ils étaient à ce moment gardés dans l’ignorance du plan et il semble qu’il n’y ait aucune trace de l’Opération impensable dans les archives polonaises. Mais leur armée aurait été un élément important et ils auraient été une force considérable car, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, ils comptent environ 250 000 hommes et leur nombre augmente. Leurs rangs sont en effet continuellement renforcés par des prisonniers de guerre libérés et également par les Polonais incorporés dans la Wehrmacht allemande, ils reviennent se joindre à l’armée d’Anders parce que, bien qu’ils ne connaissent pas l’opération Impensable, ils croient vraiment qu’il y a une opportunité d’affronter l’Union Soviétique. Et si l’opération Impensable avait été lancée, le général Anders aurait été un homme dont les Alliés auraient eu absolument besoin.

À la fin de la guerre, il commande le Deuxième Corps [polonais NdT] dans le nord de l’Italie. Un adversaire implacable, à bien des égards, de Churchill ; parfois c’est de l’amour-haine et parfois c’est simplement de la haine. Anders a passé un certain temps dans les prisons soviétiques, alors il a tout appris sur la façon dont leur mentalité fonctionne et il dit toujours à Churchill comment Staline pense et fonctionne. Churchill, de son côté, a souvent des poussées d’exaspération et lui rétorque : « nous n’avons pas besoin de votre aide, vous pouvez reprendre vos divisions ; nous ferons sans ». Et bien sûr, si on en était venu à la guerre, nous en aurions eu absolument besoin. Et si l’armée d’Anders qui, comme je l’ai dit, grandissait encore et encore juste après la fin de la guerre, n’est pas démantelée avant 1947, c’est bien parce que, parmi les dirigeants polonais, il y a toujours l’espoir qu’ils soient en capacité de récupérer leur territoire.

Maintenant, en mai, alors que Churchill soupèse la menace soviétique, la situation devient très tendue à Berlin, où le maréchal Montgomery doit assurer la liaison avec ses homologues soviétiques que l’on voit ici, les maréchaux Rokossovsky et Zuhkov, avec bien sûr la porte de Brandebourg dans leur dos.

Le 14 mai, juste une semaine après le jour de la Victoire en Europe, Montgomery est revenu en avion à Londres voir Churchill et a été surpris lorsqu’on lui a ordonné de ne détruire aucune arme allemande, au cas où elles seraient nécessaires pour une guerre future avec l’Union soviétique. Donc, on a des stocks massifs d’équipements de la Wehrmacht gardés par les forces britanniques ; de l’artillerie et même des avions, tous maintenus en état de fonctionner, ainsi que beaucoup d’unités allemandes, juste au cas où elles seraient nécessaires.

Un autre problème inquiétait les planificateurs : c’était la démobilisation des troupes britanniques et de l’Empire. Au jour de la Victoire, il y avait environ cinq millions d’hommes et de femmes britanniques qui devaient être démobilisées et bien sûr, ils souhaitent partir et rentrer à la maison. Il y a toujours la crainte d’être envoyé en Extrême-Orient, mais la plupart des soldats trouvaient qu’ils avaient fini leur boulot et voulaient rentrer chez eux. Les planificateurs craignaient que si l’on tardait trop, il n’y ait des troubles.

 

Mais il est intéressant de noter qu’en mai et juin 1945, le taux ralentit ; c’est seulement trois mille hommes par jour qui sont démobilisés. Cela, je pense, est une indication du fait qu’en haut, les gens disent : « Attendez une minute, ne nous précipitons pas trop, au cas où nous aurions besoin de forces dans les prochains mois ». En pratique, les troupes qui avaient mené une dure guerre et s’étaient battues à travers tout le nord-ouest de l’Europe, une fois leur cible atteinte, se voient dire : « Bon, attendez un peu, dans quelques semaines, nous allons remettre ça », je ne peux pas croire que le moral aurait tenu.

Maintenant, si les Alliés étaient entraînés dans une guerre plus profonde en Europe, s’ils n’avaient pas détruit l’Armée rouge au tout début, mais avaient poussé au-delà de Varsovie, ils auraient rencontré des campagnes comme celle que nous voyons là. Je sais que c’est un peu comme la Grande-Bretagne maintenant, mais les terres au-delà de Varsovie sont très difficiles pour avancer ; il y a des marécages immenses, de grandes forêts et les régiments mécanisés auraient été stoppés dans leur avancée sur ce terrain.

Maintenant, la vraie faille de ce plan, c’est le nombre d’hommes. Parce que les planificateurs travaillent d’arrache-pied, ils calculent combien de divisions nous avons, les divisions d’active qui peuvent intervenir, celles d’infanterie et d’artillerie, et ils comparent avec les Soviétiques. Il s’avère que les Soviétiques dépassent nos divisions d’infanterie de 4 pour 1 et pour l’artillerie le rapport est de 2 pour 1 ; donc, un avantage énorme pour l’autre côté. Les Alliés pourraient rassembler 47 divisions tout au plus alors que les Soviétiques pourraient disposer de 170 divisions.

L’une des parties les plus controversées du plan était, peut-être, l’utilisation des troupes allemandes. Après le jour de la Victoire, 700 000 soldats de la Wehrmacht sont conservés dans des formations militaires à l’intérieur de la zone d’occupation. Évidemment désarmés, mais encore conservés dans leurs unités jusqu’à fin 1945 ; en fait, même le gouvernement de remplacement nazi, présidé par l’amiral Doenitz, reste en fonction pendant deux semaines après la fin de la guerre. Mais le problème, c’est comment les forces britanniques, américaines et polonaises auraient réagi à une opération aux côtés de leur ennemi récent, c’est difficile à imaginer.

Par chance, le plan n’envisageait pas d’utiliser les formations SS, mais puisque les planificateurs fixent le début des hostilités au 1er juillet 1945, c’est qu’ils ne croient pas qu’il soit possible de rééquiper et recycler la Wehrmacht pour travailler avec les forces britanniques et américaines avant le milieu de l’été. Donc s’ils envisagent que la guerre se déroule pendant l’été, c’est parce qu’à ce moment, les forces allemandes pourront être utilisées. Mais même si c’est le cas, on peut se dire qu’un soldat d’infanterie allemand qui a servi quelques années sur le front de l’Est ne voudrait certainement pas y retourner.

Qu’en est-il du rôle des forces aériennes britanniques et américaines ? Les Alliés auraient eu la supériorité sur la force aérienne de l’armée Rouge, mais la force de bombardement tactique alliée serait initialement entravée par le fait de devoir opérer à partir de bases en Angleterre. Il faudrait quelques mois pour déménager les bases en Allemagne, et à ce moment là, bien sûr, l’impulsion serait perdue.

L’autre grosse différence de ce théâtre d’opérations, est la grande distance à couvrir : bien plus importante bien sûr qu’avec l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Maintenant, les objectifs alliés seraient les concentrations de troupes de l’Armée rouge, les chemins de fer et les passages de rivières, ainsi que les voies de communication soviétiques bien plus longues. Mais l’armée de l’air alliée n’aurait pas le grand nombre de centres industriels qui étaient ses cibles favorites en Allemagne, et bien que la technique radar soviétique soit inférieure à celle de l’Ouest, les pertes subies par l’armée de l’air alliée dans l’opération Impensable seraient difficiles à remplacer. Rappelez-vous que nous avions perdu 55 000 équipages de bombardiers et que ce type d’expérience nous a coûté très cher.

En utilisant les ressources du nord-ouest de l’Europe et de la Méditerranée, les planificateurs estiment que nous pouvons rassembler 2 500 bombardiers. Contre eux, l’Armée de l’air rouge pourrait rassembler 3 000 bombardiers, dont un certain nombre seraient pilotés par des équipes féminines, connues sous le nom de Sorcières de la Nuit (Night Witches).

Il y avait environ un millier de femmes soviétiques employées comme pilotes de chasse ou de bombardiers et beaucoup avaient reçu de nombreuses décorations, mais beaucoup d’avions soviétiques étaient obsolètes ou endommagés ; les avions de chasse tactiques de la Force aérienne rouge étaient beaucoup plus impressionnants, car le moral de la Force aérienne rouge était très élevé, mais ils étaient vulnérables.

Ils devaient importer 50% de leur essence de haute qualité pour l’aviation, et si on refusait aux Soviétiques l’aluminium que l’Ouest leur avait fourni tout au long de la guerre, ils ne pouvaient pas remplacer leurs avions perdus. En chiffres, les avions Alliés étaient estimés à 6 500 et les chasseurs soviétiques à 12 000. Donc, pour les avions de chasse, les Soviétiques avaient une supériorité de 2 contre 1.

Les Alliés se trouveraient également confrontés à un problème derrière leurs propres lignes. Une grande partie de l’Europe occupée par les Alliés, l’Allemagne occupée, est désorganisée. Les réfugiés, par millions, avancent et refluent, et l’infrastructure est détruite. Il y a aussi la peur de l’allégeance des groupes de résistance en France, en Italie et dans les Pays-Bas et les planificateurs disent qu’il y a tant de communistes, par exemple ici, dans le maquis, ou dans la résistance italienne ou néerlandaise, que Staline émettrait des ordres pour qu’ils sabotent les opérations alliées.

Qu’en est-il de la force et du calibre de l’infanterie soviétique ? Le 1er juillet 1945, l’Armée rouge comptait probablement environ sept millions d’hommes, dont six millions sur le théâtre occidental ; en plus, il existait environ un demi-million de troupes de sécurité spéciales ou du NKVD [Narodnyy Komissariat Vnutrennikh Del].

Pour les Alliés, le côté positif est que les purges constantes de Staline ont éliminé beaucoup d’officiers capables et instruits. La discipline et la consommation d’alcool sont également un problème et le soldat moyen de l’Armée rouge était plutôt épuisé en 1945. Mais l’équipement soviétique s’était beaucoup amélioré pendant la guerre, et ils s’étaient également emparé de vastes quantités d’armes allemandes, en particulier d’un très grand nombre d’armes antichar. Ils étaient devenus des tacticiens, des ingénieurs et des agents de signalisation compétents, donc, en bref, c’était un adversaire redoutable.

Le 8 juin 1945, les chefs d’état-major présentent leurs conclusions finales sur l’opération Impensable à Churchill. Par chance, ils ont décidé qu’en raison de la très grande supériorité numérique de l’Armée rouge, une attaque alliée courte et forte en Pologne ne réussirait pas et que la guerre totale serait le seul résultat. Si les Alliés étaient attirés en Union soviétique proprement dite et que son hiver horrible s’installait, les États-Unis en auraient assez et la résolution occidentale s’effondrerait. En même temps que se passent ces planifications, les élections générales britanniques ont lieu. Bien que les élections aient lieu le 5 juillet, comme tous les votes exprimés par les troupes en Extrême-Orient doivent être comptés, les résultats ne seront annoncés que trois semaines plus tard. En attendant, Churchill est toujours rongé par la menace de Staline. Après que ses chefs d’état-major ont rejeté l’idée initiale d’attaquer l’Union soviétique, Churchill renverse la logique de l’opération Impensable et dit à ses chefs : « regardez, si nous ne pouvons pas les attaquer, qu’est ce qui se passera si l’Armée rouge pousse au-delà de Berlin, balaye la France et les Pays-Bas et essaye d’attaquer la Grande-Bretagne ? » Donc, il les fait travailler sur ce nouveau plan. Et alors qu’ils calculent les chances que la Grande-Bretagne soit envahie, Churchill se rend à la Conférence de Potsdam et il prend quelques heures pour visiter le bunker [Führerbunker]. Et ici, il est censé être… la légende de cette photo dit qu’il essaie la chaise d’Hitler pour voir si elle est à sa taille. Bien sûr, c’était une vieille chaise quelconque qu’ils ont trouvée là, je suis plus que sûr que ce n’était pas celle d’Hitler.

Il est intéressant de noter que lorsqu’il visite le bunker, quand on pense qu’il est dans le repaire de son pire ennemi, il n’est pas impressionné, il ne fait aucune déclaration importante. Il fait quelques pas dans le bunker, où l’air est très fétide, remonte et dit à quelqu’un : « Hitler doit être venu ici pour avoir de l’air et entendre les coups de feu qui se rapprochaient de plus en plus ». C’est tout ce qu’il dit, puis il s’en va sans commentaire.

De retour à la conférence, Churchill, Truman et Staline sourient pour la caméra, chacun d’eux avec, probablement, les doigts croisés derrière son dos. Malgré l’amitié forcée de Potsdam, Churchill est toujours très préoccupé. Après tout, l’emprise et le pouvoir de Staline repose sur la lutte révolutionnaire continue. La recherche perpétuelle d’ennemis du peuple doit être menée et son élan doit être maintenu et ils pensent vraiment que cela va le pousser plus loin.

Les planificateurs britanniques calculent que si l’Armée rouge occupe l’Europe occidentale, elle ne tenterait pas un débarquement par la mer, mais ce qu’ils feraient, ce serait d’utiliser la technologie des fusées allemandes et de dégager le chemin en bombardant. Parce qu’ils avaient capturé beaucoup de scientifiques des V2, ils avaient pris le premier site de test des V2 à Wizna en Pologne et ils pensaient, les planificateurs, qu’en quelques mois après la fin de la guerre, les Soviétiques auraient le pouvoir de lancer des salves de V2 contre nous depuis les Pays-Bas. Aussi, un renforcement immédiat des forces britanniques est ordonné.

Jusqu’à quel point Staline a-t-il eu vent de l’opération Impensable ? Bien sûr, il savait bien que les Britanniques stockaient des armes et des fournitures allemandes et il avait peut-être bien reçu des documents britanniques secrets relatifs à l’opération Impensable, probablement par Donald Maclean, plus tard démasqué bien sûr comme l’un des espions de Cambridge. Maclean était le premier secrétaire de l’ambassade britannique à Washington à ce moment-là et nous savons par les papiers de Venona qu’il a transmis à ses manipulateurs soviétiques, des télégrammes secrets entre Churchill et Truman et des télégrammes plus bas dans la chaîne de commandement.

Lors de la conférence de Potsdam, Churchill a été informé de la réussite des tests d’un dispositif atomique par les États-Unis. Selon son chef d’état-major, il s’est animé, déclarant que Staline ne tenait plus l’Occident à la gorge. Il a déclaré : « Si Staline insiste pour faire ceci ou cela, nous pouvons simplement effacer Moscou, Kharkov ou Kiev ».

La bombe atomique avait clairement ranimé l’espoir de Churchill en l’opération Impensable. Le problème était que c’était l’Amérique qui contrôlait la Bombe atomique, et non la Grande-Bretagne.

Le nouveau dispositif allait être utilisé sans délai, pour forcer la capitulation japonaise. Voici Little Boy sur son berceau, prêt à être chargé sur l’avion qui lâchera cette bombe sur Hiroshima.

A la surprise de tous, c’est le parti travailliste de Clément Attlee qui remporte une victoire écrasante aux élections générales britanniques. Pour une fois, Staline a été étonné. Il ne comprenait vraiment pas pourquoi Churchill ne les avait pas truquées. Mais c’est Attlee qui a maintenant pris place aux côtés de Truman et de Staline, et bien que la politique étrangère britannique ne change pas radicalement sous le nouveau gouvernement travailliste, il serait très difficile de voir Attlee reprendre ce plan – bien que peut-être Bevin, ici à l’arrière, aurait pu être persuadé.

Ainsi, l’opération Impensable en était là, avec un nouveau gouvernement et une nouvelle administration, elle a été mise dans un tiroir du bas et oubliée. Voici le colonel Tibbets pilotant l’avion qui décolla le 6 août 1945 pour lancer la première bombe atomique sur le Japon. La bombe a explosé à six cents mètres au-dessus d’Hiroshima et a détruit la ville. Deux jours plus tard, comme convenu à Yalta, Staline déclare la guerre contre le Japon et envahit la Mandchourie pour s’emparer du plus qu’il peut avant la capitulation japonaise. Ce soir-là, une deuxième bombe atomique est lâchée sur Nagasaki et, dans la semaine, le Japon se rend. Mais l’ironie de cela est que, avec la bombe atomique, les États-Unis n’ont jamais eu besoin de l’aide de l’Union soviétique pour vaincre le Japon.

Si la bombe atomique avait été testée avec succès plusieurs mois avant juillet 1945, les États-Unis auraient eu moins de raisons de ménager Staline à Yalta et Potsdam.

Avec une pression déterminée de la part de la Grande-Bretagne et des États-Unis, il est tout à fait possible que Staline ait renoncé à sa domination totale en Europe de l’Est.

Et je vais finir avec cette diapo de militaires américains, hommes et femmes, célébrant la fin de la guerre. Ils rêvent de rentrer à la maison. La paix est tout pour eux et la dernière chose que ces militaires imaginent est un autre conflit avec l’Union soviétique. Mais, dans quelques mois, les chefs d’état-major des États-Unis s’alarmeront de l’ampleur réelle de l’expansion soviétique. Ils commenceront à travailler leurs propres plans pour une guerre avec l’Union soviétique et demanderont à leurs homologues britanniques des réunions sur la meilleure façon de faire face au défi. Ils élaboreront un plan appelé Opération Pincher qui est l’équivalent US de l’opération Impensable. Donc, en 1946, l’opération Impensable n’est plus l’idée plutôt fantasque qu’elle était un an auparavant : la guerre froide avait vraiment commencé.

Merci, mesdames et messieurs, j’espère que cette conférence vous a donné quelques nouveaux angles à considérer et j’espère que mon livre,

L’opération Impensable : la Troisième Guerre mondiale [http://bookshop.nationalarchives.gov.uk/9780752487182/Operation-Unthinkable/], montrera que pendant que la Grande-Bretagne et l’Occident célébraient la fin de la guerre, il y avait des millions de personnes en Europe de l’Est qui s’apprêtaient subir 40 nouvelles années de domination. Merci d’être venus.

Transcrit par Matthew Vernon dans le cadre d’un projet de bénévolat, novembre 2014.

Source : Jonathan Walker, The National Archives, 28-04-2014

Traduit par les lecteurs du site www.les-crises.fr. Traduction librement reproductible en intégralité, en citant la source.

Tag(s) : #Histoire
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