- PAR JULIEN CRISTOFOLI
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Le Ministre Blanquer met en œuvre sa « stratégie du choc scolaire ». Mise en lumière de la privatisation à travers 4 piliers violemment attaqués « grâce » à la crise : la gestion des personnels, la territorialisation de l'école, le statut des fonctionnaires, le métier et l'expertise des enseignant·es. L’ attaque en cours est d’une violence inouïe.
Résister est impératif.
Rentrée 2020
LA STRATÉGIE DU CHOC SCOLAIRE
La crise actuelle et l'État d'urgence sanitaire sont les prétextes à des bouleversements sans précédent de l’École publique française qui sont à l'œuvre sans aucun débat démocratique.
Jean-Michel Blanquer a beaucoup de cartes en main pour imposer un modèle scolaire concurrentiel, managérial et digital, permettant un désengagement massif de l’État tout accentuant le leurre du « libre choix » et la surveillance de masse.
Dès septembre 2020, L'École Publique pourrait basculer vers un système scolaire entrepreneurial et ubérisé, profondément inégalitaire et territorialisé, ne faisant plus reposer la scolarité que sur le capital scolaire, social et économique des familles. Analyse d'une attaque majeure... Contre l'égalité des droits, contre l'émancipation par les savoirs et la culture et contre une certaine idée de l'École assurant une mission de service public pour toutes et tous.
Faire face à cette attaque est une impérieuse nécessité et une urgence.
Car une autre École est possible, organisée par ses personnels dans l'intérêt des élèves et de leurs familles.
Une Nouvelle École Publique... Plus émancipatrice, plus démocratique, plus juste et plus solidaire !
Les différentes pièces du puzzle s’assemblent progressivement. À la faveur de la crise, on observe une accélération brutale pour imposer une toute autre École.
Dès son arrivée rue de Grenelle, Jean-Michel Blanquer a agi avec ruse en bon tacticien... Libéralisation des rythmes scolaires dès juin 2017, évaluations permanentes contre dédoublement pour les classes de CP/CE1...
Ensuite, ce fut la loi Blanquer, qui malgré l'extraordinaire opposition qu'elle suscita, imposa de profonds changements.
Et depuis le 13 mars, au prétexte de la crise sanitaire, le ministre accélère de la mise en place coordonnée d'une toute autre École... Test grandeur nature d’un enseignement numérique « à distance », création d’un statut fonctionnel des directeur·trice, mise en place des 2S2C (Sport-Santé-Culture-Civisme) avec limitation de l’École aux savoirs dits fondamentaux, formations des professeur·es des écoles cantonnée au français et aux mathématiques, évaluations nationales pour l’ensemble des classes…
Dès septembre 2020, ces différents changements instaurent l’École de demain voulue par J.M. Blanquer !
Toutefois, ce Ministre n’avance pas véritablement masqué (dans la période, c’est remarquable ! ) puisqu’il a couché sur le papier, au travers de son livre « L’école de demain », son projet d’inspiration ultralibérale.
Il y projette l’École dans un modèle entrepreneurial, voire ubérisé, cher à ses ami·es de l’Institut Montaigne, de la Fondation pour l’École et d’Agir pour l’École. Il y déploie sa vision ultralibérale, managériale et scientiste d’une école et de personnels assujettis (pratiques normées via des évaluations et des guides), précarisé·es (recrutement par les chefs d’établissements, mobilité imposée) en utilisant habilement le vocable de ses adversaires pour mieux en détourner le sens profond et les valeurs.
Depuis son arrivée au Ministère, il n’a de cesse de renforcer ce qui mine l’École : la reproduction sociale.
La sélection, la compétition et l’individualisme sont systématiquement mis en avant sous couvert du mérite, de l’effort, de la volonté…
Faisant fi des apports de l’ensemble de la recherche comme des pratiques et des mouvements d’éducation nouvelle, il récompense une poignée prétendue plus méritante pour mieux s’attaquer à tout le corps enseignant.
Alors que l’enseignement et l’École sont des lieux de partage, d’échange et de solidarité, de construction de l’égalité et de la liberté, il tente de réduire l’Éducation à un marché constitué d’opérateur·trices en concurrence les un·es entre les autres.
Comme ses alliés, Jean-Michel Blanquer est un adversaire résolu l’École Publique française et de ses valeurs. Son parcours est d'ailleurs jalonné des attaques qu’il a déjà portées à l’encontre de l’institution. Ministre, il achève une démolition de l’École Publique dont il n'est pas le seul responsable... Tout en discourant sur la lutte contre les inégalités, sur la confiance et la bienveillance, hypnotisant sa victime, tel Kaa dans le livre de la jungle.
À travers les consignes passées dans les rectorats et les académies, Il ne cesse d’assujettir l'institution et toute une profession et réduit l’École à un outil au service du pouvoir.
Une contre-révolution scolaire, sociale et sociétale de l’École et plus largement de l’Éducation Nationale est à l’œuvre.
Si elle s’opère à bas bruit, elle n’en est pas moins violente. Elle s’opère par une destruction méthodique, systématique et structurée des piliers de l’École. La crise sanitaire et la fermeture des écoles le 13 mars, la mise en place d’un protocole technocratique et la promotion des « vacances apprenantes » constituent, au regard de ses objectifs, une série d’opportunités majeures permettant des bouleversements dont l’École Publique Française ne pourra se remettre et aboutissant à la mise en place d’une école ultralibérale dès septembre 2020.
Suivant les principes de la stratégie du choc (décrite par Naomi Klein dans son livre éponyme), Jean-Michel Blanquer opère un basculement majeur et particulièrement rapide de l’École et de l’institution. Son objectif : instaurer une « logique » entrepreneuriale et managériale telle que la santé publique et l’Hôpital l’ont subie 15 années durant, avec les résultats dramatiques que l’on a pu toutes et tous observer ces derniers mois.
Chronique d’un « blitzkrieg scolaire » contre de l'Éducation Nationale et contre une certaine idée de l’École.
1er pilier à abattre : la gestion des personnels
Le New Public Management, dont les méthodes déshumanisantes et autoritaires se répandent comme des métastases dans les services publics donne à la chaîne la hiérarchique de l’Éducation Nationale un pouvoir exorbitant, contraire au bon fonctionnement de l'École. Demain, il s'agira se soumettre aux injonctions ministérielles et non plus d’exercer son métier.
Premier axe : faire des directeur·trices d’école des supérieur·es hiérarchiques
Au vu des très fermes et très larges oppositions que sa loi a suscitées, le Ministre Blanquer avait consenti, contraint et forcé, à ôter de son projet ce qui lui permettait de faire basculer les directrices et directeurs d’école dans un rôle de manager (de McDonald ?) à travers la mise en place d’Établissements Publics des Savoirs Fondamentaux (regroupement administratif des écoles primaires sous la coupe d’un chef d’établissement).
Très opportunément (à la faveur de la crise sanitaire) la députée LREM Cécile Rilhac, ancienne cheffe d’établissement du 2nd degré et instigatrice de la libéralisation de l'école, vient de se fendre d’une proposition de loi... Créant non pas un statut de directeur·trice, mais d’un emploi fonctionnel.
Prétendant avoir pris en compte les arguments des opposant·es au statut de chef·fe d’établissement, cet emploi fonctionnel n'en constitue pas moins un piège tendu à l'ensemble de la profession et non seulement aux directeur·trices. Ce dernier·ères seront alors soumis à une lettre de mission, véritable contrat d’objectifs contraire à toute mission de service public et leur imposant de faire du chiffre... Leur poste et leur salaire en devenant largement dépendants. De plus, l'augmentation des décharges pour les école de 8 classes et plus présage d'une forte pression à regrouper les écoles rurales... Et à fermer des classes...
Un tel projet managérial aura comme conséquence de venir percuter frontalement le fonctionnement collégial des conseils des maître·esses :
- lettres de missions via les DASEN,
- prérogatives décisionnelles sur le conseil des maîtres,
- mobilité et salaire lié·es au contrat d’objectifs...
Il s'agit là de la mise en place d’un outil managérial permettant de contrôler et d’assujettir les personnels, les pratiques et donc l'École.
Cette vision technocratique et managériale des collectifs professionnels (lire Pourquoi Joindre l'inutile au désagréable ?) ne vise rien moins que de transformer les écoles en petites entreprises soumises à des contrats d’objectifs chiffrés s’appuyant sur des évaluations nationales, qui opportunément pourraient, du fait de la crise sanitaire, concerner l’ensemble des élèves de la maternelle au CM2 dès la rentrée 2020.
Deuxième axe : cadenasser la parole et instaurer une nouvelle « grande muette »
La loi Blanquer vise à poser une chape de plomb sur l’École et ses personnels. Contrainte·es de taire leurs maux, les agent·es de l’Éducation Nationale sont assujetti·es au sein d’une École où la verticalité du pouvoir est totale… Le Ministre est en prise directe avec la profession, se substituant aux cadres intermédiaires tout en leur assignant des feuilles de route draconiennes.
Ainsi, selon la doxa managériale ayant cours depuis les « plus hauts sommets de l’État », l’École est sommée d’obéir, de s’adapter de gré ou de force, de se soumettre et de fonctionner comme l’exécutif l’a décidé quand bien même rien de ce qui a été décidé n’a été confronté au réel. « L’intendance suivra… », mais sans moyen, sans réflexion, ni délai.
La rouverture des écoles le 11 mai et la mise en place du protocole sanitaire en sont les derniers exemples flagrants. L’institution « Éducation Nationale » ploie sous le poids des injonctions paradoxales.
Les dysfonctionnements structurels organisés, l’imposition de changements non concertés conduisant à des impasses, la réalité professionnelle du métier niée, etc. Rien ne doit plus filtrer, rien ne doit plus transparaître, car ce qui compte véritablement, ce n’est pas l’efficacité ou l’utilité réelle d’une réforme ou d’un changement, mais sa « monétisation » dans le concert médiatique. #PasDeVague
Cette verticalité du pouvoir aura mis en lumière, à la faveur de la réouverture des écoles, la vacuité du rôle des cadres intermédiaires que sont les IEN et les DASEN, quand ce ne sont pas... les Recteur·trices. Toutes et tous se sont vu·es vertement contredit·es par le Ministre… Lui-même contredit par le Premier Ministre ou le Président de la République.
La loi Blanquer vise à verrouiller toute une institution à travers une communication univoque, verticale et managériale, niant le réel et ses aspérités.