Mon cher Michel,
J’ai été très honoré de la proposition que vous m’avez faite de rejoindre dès le départ votre nouvelle revue. Dans mon esprit, il s’agissait d’un engagement destiné à mener un combat pour que le monde d’après puisse mettre fin au monde d’avant dont vous dénoncez les tares depuis déjà longtemps.
Je trouve l’idée et le projet superbes, j’irai même jusqu’à dire indispensables. Vous n’avez pas froid aux yeux, êtes capable de prendre des risques, ne détestez pas le combat, toutes qualités nécessaires pour mener une aventure avec vous. Je vais reprendre l’expression (israélienne ?) qui permet de se prononcer sur le courage de quelqu’un: "Je n’aurais pas de problème à partir à la guerre avec lui"… Donc avec vous.
Lorsque j’ai assisté au violent tir de barrage dont vous avez (nous avons) été l’objet, voyant d’où il venait, et y trouvant une validation, mon intérêt s’est transformé en gourmandise. Je me suis dit : "Ils ont peur, chic on va bagarrer." Mais il ne m’a pas semblé utile de réagir. Car répondre à Abel Mestre ou Laurent Joffrin, voire Mathieu Aron est vraiment une perte de temps.
Vous en avez jugé autrement pour vous-même. Sans doute parce que nous n’appartenons pas au même courant "politique" ou "philosophique", ce qui n’est absolument pas un problème pour moi.
Seulement, la contre-attaque que vous avez publiée sur le site de Front Populaire m’a un peu chagriné, et ce pour plusieurs raisons:
• Tout d’abord pour disqualifier Le Monde et Libération, je pense qu’il n’était pas nécessaire de retourner ainsi dans le passé. Tout le monde a oublié Hubert Beuve-Méry d’une part et Serge July d’autre part. Et c’est tant mieux. En revanche il y a tout à dire sur l’actuel propriétaire (et donc patron) du Monde, l'oligarque "socialiste" Matthieu Pigasse, et sur celui de Libération, Patrick Drahi, flibustier notoire dévoué à Macron en remerciement des services que celui-ci lui a rendus. Parce que c’est à ces deux souteneurs (j’irai jusqu’à dire commanditaires) de Macron, que l’on doit la violence de l’attaque.
• Ensuite cette mise en cause pour le moins violente du passé de la gauche et seulement de celle-ci risque de heurter toute cette frange du peuple qui appartient encore à la culture de la "gauche zombie". Il y a des raisons historiques, familiales et géographiques à cette persistance, et je pense qu’il ne faut pas se couper de ce monde-là, que je crois disponible pour le combat de restauration de la souveraineté du peuple français.
• Enfin, vous avez exprimé un anticommunisme virulent, qui ne me pose aucun problème de principe. Mais l’Histoire ayant rendu son verdict et respectant en bon juriste "l’autorité de la chose jugée", je le considère inutile dans ces termes, surtout pour disqualifier le groupuscule captateur d’héritage qui se fait appeler PCF et le misérable folliculaire Abel Mestre, dont son rattachement à ce courant politique relève de l’imposture. Mais le problème pour moi est plutôt que vous faisant historien, vous avancez une série de faits pour diaboliser ce qui fut le PCF. Outre l’anachronisme de la présentation, un certain nombre de ceux-ci me semblent historiquement inexacts pour les uns et faux, pour les autres. Concernant ces derniers cette appréciation relevant de mon expérience personnelle.
J’ai appartenu au Parti communiste français auquel j’ai adhéré à l’âge de 25 ans, preuve qu’il ne s’agissait absolument pas d’une révolte adolescente contre le milieu particulier dont je suis issu. Le "communisme" fut la grande passion du XXe siècle, je pense l’avoir en partie partagée. Cette organisation qui n’était pas sans défauts a eu quand même quelques mérites. Ceux-là qui me permettent de considérer que je n’ai absolument pas à rougir de ce que j’y ai fait. Je ne suis pas le seul dans ce cas-là, et il m’apparaît vraiment contre-productif de salir cet engagement en reprenant des arguments relevant d’une déformation historique, quand ce ne sont pas carrément des erreurs factuelles.
Alors mon cher Michel, je ne vais sûrement pas vous convaincre et ce n’est pas du tout mon intention. Votre anticommunisme furieux (tel qu’il s’exprime dans votre texte) ne me gêne pas. La violence du communisme, sœur jumelle de celle du capitalisme dans ce cours XXe siècle, les deux étant filles de l’énorme violence de l’accouchement de la société industrielle au XIXe siècle (ce qui n’excuse rien) sont des questions incontournables. L’échec sanglant de la tentative d’émancipation initiée par les bolcheviques mérite recherches, analyses, explications, sans détours et sans pudeur et j’en suis le premier convaincu. Je pense souvent à ce que Zizek disait à BHL: "Vous n’êtes pas assez anticommuniste, vos explications sont insuffisantes pour comprendre l’échec." Mais je pense aussi à la phrase prononcée par un militant à la fin du film réalisé par Nani Moretti sur le dernier congrès du Parti communiste italien: "Tous formidables mais ça n’a pas marché ."
Dans ma propre vie militante, et à ma place j’ai été aux côtés des couches populaires, au sein d’un parti politique, qui outil de leur intégration à la nation, et pratiquement seul à le faire, les défendait, en faisait la promotion et l’éducation, et imposait leur place dans la vie politique et culturelle du pays.
Membre de son "bureau de politique extérieure", j’ai également assuré à la demande de la direction du Parti des responsabilités internationales assez lourdes, notamment en Amérique latine pendant les années de plomb, celle des abominables dictatures chiliennes, argentines, guatémaltèques et autres. J’y ai pris quelques risques, perdu des amis et ai pu en sauver quelques-uns. Expérience qui me permet de mesurer la niaiserie des antifascistes en carton.
Cela vous surprendra peut-être, mais tout cela, je considère que ce n’est pas ce que j’ai fait de pire dans ma vie.
Si j’ai accepté votre proposition, c’est parce que j’ai spontanément pensé qu’au sein de votre projet, je pourrais poursuivre ce combat personnel pour le progrès humain, que je mène à ma façon depuis 45 ans…
Et qu’être avec vous pour les défis et les échéances auxquelles nous sommes confrontés n’est pas le plus mauvais des endroits. J’ai précisé que j’étais monté sur ce bateau dont vous tenez la barre et que je l’avais fait avec mon sac.
Je tenais mon cher Michel à apporter ces précisions. C’est donc très à l’aise que je vous confirme mon engagement sans réserve dans votre projet dont je redis l’importance et même le caractère indispensable en ce moment où la République traverse tant de difficultés majeures.
Bien amicalement,
Régis de Castelnau