Le destin politique de Jean Luc Mélenchon s’est achevé le 23 avril 2017 au soir, au moment de la proclamation des premiers résultats. Jean Luc Mélenchon vient de gagner et pourtant il s’exprime comme un battu et va commencer à démolir méthodiquement ce qui avait été construit au cours des derniers mois et qui s’était cristallisé sur son nom. Avec 19,58 % des suffrages (plus de 7 millions d’électeurs ont voté pour lui), il talonne François Fillon et n’est qu’à 600 000 voix de Marine Le Pen. Personne n’aurait imaginé ce résultat quelques mois plus tôt. Les plus optimistes le voyaient à 14 ou 15 % et pendant un moment Benoit Hamon le dépassait. Ce résultat est dû à deux facteurs : la très bonne campagne menée par un Mélenchon au mieux de sa forme et l’effondrement du candidat socialiste Benoit Hamon dont on peut se demander si l’appareil du PS ne l’avait pas désigné à cette fonction pour gêner le moins possible le vrai candidat « socialiste », Emmanuel Macron.
La bonne campagne menée par Mélenchon reposait sur deux piliers. D’abord, un républicanisme puissamment réaffirmé sur tous les plans et avec ses symboles : la ré appropriation de la Marseillaise et du drapeau tricolore laissés jusque là au FN. Ensuite la défense des travailleurs, surtout des salariés. Jean Luc Mélenchon semblait rénover la figure de Jaurès en envoyant balader un clivage droite-gauche des plus confus. Il renouait ainsi avec cet électorat « de gauche » traditionnel, socialiste, mais aussi communiste, qui lui permettait peu à peu de dépasser Hamon dans les sondages et de talonner les trois candidats du système. Mais plus, il regagnait une part des électeurs du FN démoralisés et désorientés par les errements des partis de « gauche ». Ainsi, après la dérive de la vieille social-démocratie devenue un simple appendice des partis bourgeois, la possibilité s’offrait de la reconstruction d’un vaste mouvement politique, fondé sur les classes laborieuses et apte à redonner tout son sens à la vieille formule de la république sociale. La véritable victoire de LFI était là, dans cette politisation nouvelle et ce pas réel en avant qui venait d’être accompli.
A l’opposé des perspectives que lui offrait l’épreuve électorale, le candidat de LFI apparaissait à la télévision, les traits tirés, la mine de mauvais jours, et commençait pas annoncer sa défaite : « le résultat n’est pas celui que nous avions espéré », dit-il, avant de poursuivre en laissant entendre que le résultat réel n’est pas celui qui est annoncé, bref qu’on lui a volé la victoire. Il se voyait déjà président de la République. On dit que le secrétaire général de l’Élysée ainsi qu’un « gouvernement de l’ombre » étaient déjà nommés !
Le fait qu’il ait pu imaginer être vainqueur indique le degré mégalomaniaque atteint par le chef de la FI. S’il avait devancé Marine Le Pen tous les partis auraient fait bloc derrière Macron, mais cela semble lui échapper. Comme lui échappe surtout le caractère anti démocratique d’une élection dans laquelle un électeur sur deux boude les urnes et dans laquelle le vainqueur ne rassemble qu’a peu prés 20% du corps électoral. Dans les mêmes conditions donc, Mélenchon aurait été légitime là où Macron est frappé du sceau de l’illégitimité compte tenu le résultat issu des urnes. Début d’abandon des principes ?
La stratégie du candidat Macron en 2017 -qu’il va nous rejouer pour 2022- repose sur la présence de Marine Le Pen :
- « Entre l’extrême droite et la démocratie que je représente, le choix me sera favorable ».
Voilà en gros ce que pense le président de la République, conforté en cela par une série de gauchistes -qu’on retrouve aujourd’hui au sein de la FI- pour qui l’ennemi premier est le fascisme « lepéniste » qui frappe à la porte.
C’est en réalité Jean Luc Mélenchon qui a conforté dés le début cette position, mettant au second plan la politique réelle proposée et menée par Emmanuel Macron, qui n’a strictement rien à envier aux propositions du FN.
A second tour des présidentielles, Mélenchon s’est fendu d’un « j’irai voter et je ne voterai pas Le Pen » , ce qui veut clairement dire en absence de précision « j’irai voter Macron ». Mélenchon était ici dans la lignée de son « tout sauf Le Pen » qui lui servait de vade mecum depuis plusieurs années quand il était désemparé. On se souvient de la rencontre sur vieux port de Marseille avec Macron où le FN sera le prétexte à une rencontre pour le moins improbable. On se souvient aussi qu’en 2012, après ses 11 %, Jean Luc Mélenchon était allé se présenter dans le Pas-de-Calais à Hénin-Beaumont. Marine Le Pen avait fait deux fois plus de voix que lui alors éliminé du second tour, devant s’effacer devant Philippe Kemel, lequel sera élu contre Marine Le Pen. La stratégie mitterrandiste, inventée en 1983-84, agiter l’épouvantail Le Pen pour se faire élire non sur sa ligne, mais contre Le Pen, avait de toute évidence fait son temps.
Revenons à 2017. Après avoir douché ses partisans et ses électeurs, Mélenchon affirmait pour les législatives qu’il fallait voter LFI pour obtenir une majorité contre Macron. Le lider maximo faisait ses offres de service pour devenir Premier ministre. Mais le résultat sorti des urnes est assez mauvais. LFI peut constituer un groupe parlementaire très réduit à l’issue notamment de négociations avec des élus qui n’étaient pas spécialement LFI avant l’élection, et un électron libre, François Ruffin, élu sur sa propre campagne, indépendamment des directives nationales, sur une base « union de la gauche ». L’analyse des voix laisse vite paraitre un résultat des plus médiocres. La moitié des électeurs de Mélenchon a fait défaut, soit par l’abstention, soit en revenant au PS ou au PCF.
L’avertissement était clair : il fallait réfléchir à la stratégie, construire quelque chose de plus solide que le « mouvement gazeux », essayer de s’implanter durablement dans le pays par des sections locales, appeler à l’unité. Mais rien de tout cela ! Sans tirer les leçons, LFI est conçue comme un dispositif de comités de bases, de 12 membres maximum, qui n’ont aucun droit de se fédérer au niveau d’une commune par exemple. Il faut que le sommet, c’est-à-dire Mélenchon, conserve le contrôle avec quelques parades médiatiques, des conventions réunissant des « délégués » tirés au sort. Mélenchon n’aime plus les partis, parce qu’il faut discuter, soumettre ses thèses au vote, éventuellement être mis en minorité. Il prétend défendre une Sixième République bien plus démocratique que l’actuelle république, mais son parti est un modèle de « parti du chef », semblable aux autres partis du même genre inventés par les capitalistes quelques années plus tôt. (Voir Mauro Calise, Il partito personale. I due corpi del leader, 2000). Le modèle Mélenchon est exactement le même que celui de Macron avec LREM.
Sur des bases aussi incertaines, LFI entame une série de zigzags qui vont progressivement laisser de côté l’essentiel de l’électorat de 2017 et une bonne partie des cadres du mouvement. Comment donc ces errements ont-ils été possibles ? C’est qu’ils étaient compatibles avec le fameux programme « Avenir en commun » sur lequel tous sans exception -parfois même avouons-le sans l’avoir lu- ont juré comme un seul homme.
L’ère du peuple (EP) signé Jean Luc Mélenchon est publié deux ans avant l’Avenir en commun . Il « préface » le programme de la FI et concentre une jolie collection d’innovations assez époustouflantes qui ne laissent pas pierre sur pierre du vieux matérialisme historique, pourtant enseigné parait-il dans les écoles de formation des cadres de la LFI.
- La mémoire courte
- Le livre commence par noter que depuis un siècle « aucun reniement à gauche n’égale celui de François Hollande en deux ans et demi. » Mélenchon a oublié que le gouvernement de Jospin en 1997 est le gouvernement qui a battu le record des privatisations, vendu France-Télécom et préparé la privatisation des autoroutes. Entre la signature des accords d’Amsterdam-Dublin et celle des accords de Barcelone, le gouvernement de Jospin est celui qui a organisé le plus méthodiquement l’impuissance de l’État… avant d’aller faire la guerre en Afghanistan, comme François Mitterrand était allé faire la guerre dans le Golfe. Mais il est vrai que le gouvernement Jospin, gouvernement de la « gauche plurielle » avait le soutien plein et entier de Mélenchon qui finit même par en faire partie.
- En matière de reniements, on pourrait remonter un peu en arrière : entre 1989 et 1993, les gouvernements Rocard puis Cresson, tous appuyés par le sénateur Mélenchon ont fait assez fort. Le grand « marché unique » mis en place avec ardeur par Bérégovoy, la déréglementation des marchés financiers, c’est encore autre chose que les reniements assez misérables de Hollande. Et encore en arrière, le tournant de la rigueur et le « sale boulot » de destruction de la sidérurgie par Fabius, ce n’était pas mal non plus. On peut encore remonter un peu plus loin, évoquer la guerre d’Algérie et la torture « socialiste », remonter aux premières années de la guerre froide, et de fil en aiguille jusqu’à la grande trahison de la 1914 : l’encre des résolutions de l’Internationale était à peine sèche que les chefs socialistes de chaque pays se précipitèrent dans la grande boucherie dont sont sortis tous les malheurs du XXe siècle.
Ainsi Mélenchon a de gros trous de mémoire. Les enseignements de l’histoire n’ont pas de place dans son écrit. Le but du livre est en effet défini :
- « ne pas laisser croire que notre avenir serait de revenir à la doctrine de je ne sais quel passé glorieux. »
Voila qui est clair pour qui sait lire : Jean Luc Mélenchon ne veut pas « revenir » à la doctrine du « passé glorieux », c’est-à-dire au marxisme. Il est résolument, comme Chantal Mouffe et Ernesto Laclau un « postmarxiste ». Et comme on va le voir son livre ne vise pas seulement à rompre avec un marxisme dogmatique et fossilisé, mais surtout à liquider l’analyse marxienne du mode de production capitaliste et à jeter les fondements d’une révision radicale de ce qui a constitué le mouvement ouvrier.
- Erreur de diagnostic
Au point de départ, il y a une erreur de diagnostic, erreur nécessaire pour qui veut se débarrasser des vieilles doctrines. Nous ne vivons pas une crise, dit l’auteur d’EP, mais nous sommes à une bifurcation de l’histoire, « un changement totale de la trajectoire de l’histoire de l’humanité ».
Pour faire son diagnostic et annoncer la grande bifurcation, Jean-Luc Mélenchon n’emploie pas une fois le mot « capital » , ni « capitalisme » , ni « mode de production » . Autrement dit, dès le début, il a tourné le dos au « matérialisme historique » , quelque acception que l’on donne à cette expression dont on a usé et abusé. Étrange, non ?
Pourtant l’alternative devant laquelle se trouve l’humanité depuis 1914 était clairement exprimée par Rosa Luxembourg ( excellent auteur, militante courageuse, femme remarquable entre toutes ), « Socialisme ou barbarie ». Pour des raisons historiques déterminées, même si Jean-Luc Mélenchon ne veut plus entendre parler de cette histoire, nous vivons une nouvelle phase de développement du mode de production capitaliste, qui s’est débarrassé de tous les vestiges des vieilles sociétés qui encombraient sa marche et qui nous mène directement à la barbarie dans tous les domaines, technologique autant que politique et morale.
- Gauche et droite
Jean Luc Mélenchon part du constat qu’il n’existe plus aucune alternative à la « finance globalisée » , à l’échelle internationale. Mais le problème n’est pas la « finance globalisée » mais le mode de production capitaliste dont la finance globalisée n’est qu’une expression et même l’expression suprême si on en croit un vieux doctrinaire barbu « totalement dépassé », un certain Karl Marx. Contrairement à ce que croit Jean-Luc Mélenchon, ce n’est pas parce que la social-démocratie s’est dissoute dans le libéralisme qu’il n’y a plus de gauche. Certes, la vieille gauche, celle qui avait un lien avec la classe ouvrière, avec le mouvement syndical, celle qui se réclamait du socialisme, est effectivement morte et bien morte. Mais en réalité, il existe toujours une gauche, la gauche du capital. Elle est même très active dans les classes moyennes instruites, elle a pris le contrôle d’un certain nombre de métropoles, en France et dans le reste du monde… et elle fait la conquête de la France Insoumise et de Mélenchon lui-même !
Mélenchon ne s’étend guère sur le processus de conversion de la social-démocratie à la politique libérale. Il dit simplement :
- « La social-démocratie s’est vite convertie avec zèle à la politique libérale prescrite par le parti démocrate américain sous la houlette de Bill Clinton. Dans ce processus, François Hollande occupe dès 1983 une place bien à droite, à contresens de la tradition française du socialisme. Car le socialisme français a toujours été singulier en Europe par son programme et ses alliances, du fait de l’histoire révolutionnaire particulière qui fonde notre République. »
Si on comprend bien, dès 1983, le coupable était Hollande qui a dû sans doute agir dans le dos de François Mitterrand, le président de la République de l’époque, lequel avait sûrement apporté un enthousiaste soutien à Reagan par simple inadvertance (voir l’accueil fait au sommet du G7 de Versailles de 1982). C’est aussi à l’insu de son plein gré et grâce aux manigances de l’horrible M. Hollande, que Mitterrand, l’idole de Mélenchon, est allé en Allemagne soutenir le déploiement des fusées de l’OTAN dirigées contre la Russie… Jean Luc Mélenchon a de toute évidence des souvenirs très sélectifs. Il appelle « solfériniens » les liquidateurs de la vieille maison socialiste, mais il omet d’en faire une liste complète, car il pourrait même en faire partie. Une plaisanterie disait que Mitterrand était un homme honnête car il rendrait le PS dans l’état où il l’avait trouvé (c’est-à-dire en ruines). C’est très exactement ce qui s’est passé et Jean Luc Mélenchon l’a toujours soutenu, sur tout ce qu’il caractérise aujourd’hui comme épisodes liquidateurs, y compris dans le pire.
Dans l’EP, il y a une violente polémique contre Hollande, polémique justifiée sur le fond, mais qui omet simplement de dire qu’Hollande a continué la politique des socialistes depuis trente ans. Dans L’Illusion plurielle (JC Lattès, 2001), nous avions commencé de faire cette histoire, d’en analyser les tours et les entourloupes. Jean Luc Mélenchon aurait pu lire notre livre… Il aurait appris que Hollande est l’héritier légitime de Mitterrand et de Delors. On peut dénoncer en Hollande un « ami de la finance ». Mais quel meilleur exemple pour indiquer que celui-ci s’inscrit dans les pas des différents chefs socialistes, dans la lignée par exemple de Laurent Fabius et de son fameux hymne à « la France qui gagne » (du fric), ou dans celle de François Mitterrand incarnée par l’intronisation de Bernard Tapie au plus haut niveau.
Même sur le chapitre des institutions, Jean-Luc Mélenchon a sûrement raison de dire :
- « Sa pratique de la monarchie présidentielle a conduit la 5e République aux limites de toutes ses tares technocratiques et autoritaires. »
Mais cette phrase autant qu’à Hollande pourrait s’appliquer à Mitterrand autant qu’au duo Chirac-Jospin qui avec la double réforme quinquennat-inversion du calendrier électoral a définitivement transformé le parlement en simple projection de la présidence, en écartant de fait tout risque d’alternance. Les silences de Mélenchon sur ces questions essentielles ne sont-ils pas lourds de signification ?
Ces silences permettent de balancer par-dessus bord la vieille doctrine et d’ouvrir sur un nouveau sujet historique, « le peuple », tel qu’il est défini en 1789. Le retour à 1789 serait donc cette nouvelle trajectoire historique ? Toujours fâché avec l’histoire…
Mélenchon découvre la démographie.
- « Changer notre regard sur le monde commence par accepter de voir ce nombre et ses pulsations comme le sujet de l’histoire et non comme un vague décor sans rapport avec la pièce qui se joue au premier plan sous les spots médiatiques. »
Le nouveau sujet de l’histoire serait donc le sujet abstrait, « le nombre ». Quelle découverte ! Mais non, le nombre n’est pas le sujet. Le sujet de l’histoire s’appelle « capital » et la population est précisément un produit du développement du capital, comme sa répartition entre les producteurs (l’immense majorité) et les « profiteurs », (la minorité de parasites qui ne vivent que du travail des autres).
La substitution du « nombre » au « capital » comme sujet de l’histoire, du « peuple » et de « l’oligarchie » aux classes sociales, a abouti très logiquement à substituer les questions sociétales aux réalités sociales.
Peu à peu Jean-Luc Mélenchon s’est séparé de façon des plus autoritaires de tous ceux qui se permettaient d’introduire une virgule dans la Doxa mélenchonienne. Les groupes locaux récalcitrants étaient dissous sur décision du chef. Les compagnons étaient qualifiés de « tireur dans le dos », ce qui, traduit en langage stalinien, veut dire « traître ».
Peu à peu le gauchisme prend sa place dans LFI. A l’automne 2017, LFI s’engage dans une bataille qui aurait encore pu être axée sur la nécessaire unité des organisations syndicales et politiques pour faire plier Macron sur la loi travail, héritière de la loi de la socialiste EL Khomri. Mais le gauchisme centré sur la substitution à la bataille d’unité va s’imposer avec l’encouragement du chef. Une manifestation nationale est organisée à Paris qui réunit 30 000 personnes, un chiffre honorable qui pouvait servir de point de départ à une véritable bataille unitaire. Mais selon les méthodes habituelles, le chiffre est gonflé outrageusement : Jean-Luc Mélenchon annonce 150 000 manifestants qui pourtant tenaient tous à l’aise sur la place de la République (nous laissons le lecteur, muni d’une bonne carte de Paris faire le calcul de la surface de la place de la République et en déduire le nombre de manifestants possibles).
30 000 étaient donc un bon départ pour mettre en œuvre la ligne définie par Jean-Luc Mélenchon : une grande manifestation nationale de plus d’un million sur les Champs-Élysées, organisée dans l’unité par les syndicats. Mais LFI a tourné le dos à cette orientation. Mélenchon s’est pour la première fois révélé au grand jour comme adepte « d’une chose et son contraire », capable de prôner une orientation un jour pour satisfaire les uns, son contraire le lendemain pour faire plaisir aux autres, et en définitives un paquet de contradictions pour déplaire à tout le monde.
L’épisode révèle pour qui sait voir, que LFI n’est qu’une coquille vide, une étiquette qui recouvre des marchandises souvent avariées et que le verbe mélenchonien fait tenir ensemble.
Cet épisode et ce qui va suivre scelle la rupture de Mélenchon et de LFI avec l’électorat qui avait fait son succès, un électorat plutôt jeune, relativement ouvrier — tout est relatif en ce domaine — et surtout petites classes moyennes, de tradition de gauche, mais capable d’agglomérer aussi des abstentionnistes de longue date et des électeurs FN.
Cette coupe de l’électorat Mélenchon ne correspond pas du tout à la LFI. LFI est formée par la garde rapprochée de Mélenchon, c’est-à-dire le groupe dirigeant de feu le parti de gauche (ce parti n’est pas officiellement dissout, mais il n’a plus qu’une existence fantomatique). Ce parti, pour ceux qui le connaissent un peu, est ou était le dernier parti stalinien de France. Des cadres dirigeants et des intellectuels de ce parti, une part très importante est maintenant en dehors de LFI : François Cocq, Manon Le Bretton, Charlotte Girard, Georges Kuzmanovic, mais aussi Henri Pena-Ruiz chassé lors des AMFIS de 2019 par la coalition des islamistes. Jacques Généreux, qui publie toujours des livres d’économie, semble avoir disparu des écrans radar de la politique mélenchoniste.
Opportuniste, croyant qu’il suffit de flatter pour conquérir, que les programmes et engagements n’engagent vraiment que ceux qui ont la naïveté d’y croire, Jean Luc Mélenchon est aujourd’hui entouré des porteurs d’une idéologie qui n’a rien à voir avec les larges masses qui se sont portées en 2017 sur son nom.
- Parmi les nouveaux venus dans l’orbite mélenchoniste, il y a les végans. Jean-Luc Mélenchon qui n’est pas membre de la secte leur fait une cour assidue, LFI se prononçant maintenant clairement pour la liquidation des éleveurs français. La commission agriculture de LFI qui ne partageait pas ces vues impulsées par le chef, notamment après son tournant quinoa (il avait réalisé une vidéo à la gloire du régime quinoa), a été purement et simplement dissoute. Maintenant c’est Bastien Lachaud député et les sectaires de L214, association qui milite pour l’abolition de l’élevage, qui donnent la ligne de LFI.
- Aux végans, il faut ajouter les islamophiles de tous poils, c’est-à-dire essentiellement les prolongements dans toute l’extrême gauche des indigénistes. Porte-parole de ce courant, Danièle Obono ne cache ni sa haine de la République, ni son refus de la laïcité, ni son racialisme profond. Les bases de ce courant se trouvent dans le seul bastion de LFI, la Seine–Saint-Denis qui est aussi un bastion islamiste. Aux municipales 2020 de Saint-Denis LFI a d’ailleurs fait alliance avec les plus connus des chefs islamistes, notamment le fameux Messaoudene. La liste LFI a été battue par le PCF, mais c’est le PS qui a tiré les marrons du feu et a finalement emporté la mairie. Les AMFIs 2020 ont vu la consécration des indigénistes. Taha Bouaf, l’homme qui a organisé le lynchage d’Henri Pena-Ruiz en a été un des grands animateurs et Danièle Obono a reçu avec enthousiasme sa « sœur de race » (sic) Maboula Soumahoro, « théoricienne » très proche du PIR et symbole du noyautage de l’université par les indigénistes. Ce courant avait déjà entraîné Mélenchon et ses amis dans la honteuse manifestation du 10 novembre 2019 contre la prétendue « islamophobie » : on y vit des élus de la république défiler derrière des sonos qui hurlaient « Allahouh Akbar » .
- Il faudrait ajouter l’influence des groupes LGBTQ++ dans LFI dont les prises de position guident toutes les orientations et les votes de LFI sur les questions sociétales. À titre personnel, Jean-Luc Mélenchon n’a certainemet que mépris pour « l’écriture inclusive », mais celle-ci est devenue la norme à LFI.
Le programme AEC (l’avenir en commun) que même ceux qui ont rompu, volontairement ou par exclusion, continuent de défendre comme la prunelle de leurs yeux, a été présenté comme le ciment positif de cet étrange amalgame. Mais d’une part, les programmes valent moins que la pratique. La social-démocratie allemande était devenue depuis longtemps un parti auxiliaire de l’ordre capitaliste, mais elle a attendu 1958 pour répudier le marxisme… Et surtout dans l’AEC, il y a à boire et à manger. C’est une auberge espagnole où chacun trouve ce qu’il a apporté. Ainsi, à côté de bonnes propositions, on trouve de franches aberrations et des idées nocives qui permettent des cohabitations contre nature. Par contre, aucune clarté n’est faite sur des choses aussi essentielles que l’Europe. Quant à l’importance du tirage au sort comme moyen de la démocratie, il n’est d’autre conséquence que d’interdire aux citoyens de choisir leurs représentants, de les conforter, ou d’exiger leur révocation s’il leur prenait l’envie de trahir leur mandat.
Les effets n’ont pas manqué de se montrer. Lors des Européennes de 2019, LFI guidée par une européiste de gauche, Manon Aubry, a fait un résultat quasi groupusculaire, dépassée même par le PS. Elle en a profité pour renouer avec le groupe parlementaire des gauches européennes, le GUE, pour y retrouver, embrassons-nous Folleville, Tsipras ! Aux municipales de 2020, LFI a disparu, noyée le plus souvent dans des listes « citoyennes » à géométrie variable, permettant de renouer parfois avec la bonne vieille union de la gauche et la tambouille tant vilipendée par le passé. Jean-Luc Mélenchon avait analysé l’incapacité du Front de gauche à avoir une stratégie nationale lors des régionales de 2015 comme le prélude à la disparition du Front de gauche que le PG avait noué avec le PCF. La désagrégation de LFI aux municipales est le prélude à sa disparition. Mélenchon, pour l’heure, courtise les Verts et se propose comme « candidat commun » à qui en voudra bien. LFI continue de perdre des « adhérents », c’est-à-dire des groupes actifs. La tambouille qu’a commencé à cuisiner ce vieux spécialiste de la magouille « partidaire » en perdra encore d’autres. Gageons que Mélenchon bazardera le moment venu LFI pour lancer un nouveau mouvement gazeux. « Bis repetita placent » : il n’est pas sûr que la répétition plaise tant que cela aux citoyens, d’autant que Macron, Le Pen et quelques autres ne peuvent regarder que satisfaits cette funeste pièce se dérouler sous leurs yeux.
Denis Collin - Jacques Cotta
Le 11 septembre 2020