Les Gilets jaunes mobilisés a Caen (Normandie) le 18 novembre 2018
RT France
Deux ans après l'acte I des Gilets jaunes, le mouvement semble au plus bas. Pourtant, les facteurs sociaux et politiques de la mobilisation se sont aggravés. Entre réactions et analyses, RT France revient sur les deux ans de ce mouvement populaire.
Les Gilets jaunes, animés par la volonté de conserver leur niveau de vie, auront finalement profondément rappelé les mots de Georges Bernanos dans son essai La France contre les robots : le peuple français est «le peuple des barricades».
Le 17 novembre, les Gilets jaunes fêtent l'anniversaire de la naissance de leur soulèvement. Deux ans plus tard, le mouvement social s'est étiolé : d'une centaine de milliers de personnes mobilisées chaque week-end, les manifestations réunissent désormais quelques centaines, voire quelques dizaines de personnes.
Malgré la pandémie, certains continuent pourtant à se mobiliser comme à Lille le 14 novembre où 250 personnes s'étaient rassemblées. Même son de cloche à Paris, le même jour, contre l'Etat d'urgence sanitaire où quelques dizaines de personnes s'étaient réunies. Sur Facebook, un évènement nommé «anniversaire des Gilets jaunes» prévoit des actions surprises révélées à la dernière minute le 17 novembre, jour de l'anniversaire du mouvement. Un événement porté par le slogan : «On ne lâche rien», qui n'a pour le moment intéressé que 3 400 personnes sur le réseau social.
Un mouvement qui peine désormais à mobiliser
Une mobilisation en berne et bien éloignée du point culminant de 2018. Pourtant, pour Jérôme Rodrigues contacté par RT France, la colère reste intacte. Le Gilet jaune estime qu'«actuellement, rien n'a changé, il n'y a aucun point positif sur nos revendications et ce qui nous a fait descendre dans la rue».
«A défaut d'expliquer que les Gilets jaunes sont morts, il vaut mieux expliquer pourquoi ils sont morts», explique Jérôme Rodriguez, avant d'ajouter : «si on prétend qu'ils sont morts». «Je suis assez bien placé chez les Gilets jaunes pour garantir que la colère est encore là. Dans l'ensemble de la classe médiatique, personne ne parle des 135 euros d'amende, on ne parle pas des yeux crevés, des mains arrachés, des gens qui sont allé en prison parce qu'ils ont simplement refusé de porter un masque», fustige le militant.
«Aujourd'hui, le levier du gouvernement, c'est de faire peur aux gens. Le jour ou les invisibles descendent dans la rue, on leur demande de rester invisibles en leur tirant dessus», conclut Jérôme Rodrigues.
Une répression policière dénoncée par un rapport d'Amnesty International, publié le 29 septembre, qui révélait un système judiciaire destiné à «réprimer» des personnes qui n'ont pas commis d'infractions. Selon l'ONG, des dizaines de manifestants furent «arrêtés arbitrairement» et «victimes d'acharnement judiciaire», en particulier durant la mobilisation populaire des Gilets jaunes.
Le facteur pandémique pèse dans la balance alors que les manifestations sont souvent interdites dans le cadre des dispositions sanitaires du gouvernement comme le démontre Marco Perolini, chercheur d’Amnesty International sur l’Europe, cité dans ce rapport : «les restrictions disproportionnées des manifestations en France après le confinement s’inscrivent dans la continuité d’une situation inquiétante pour les manifestants pacifiques, pris sous le feu de la police et de la justice». Ainsi, «des milliers de personnes ont été verbalisées, interpellées, arrêtées et poursuivies en justice pour des activités pacifiques qui n’auraient pas dû être considérées comme des infractions», conclut le chercheur.
Un mouvement qui s'est éloigné de ses revendications initiales ?
Autre élément d'explication, celui d'un mouvement constitué sur les réseaux sociaux autour de revendications simples comme l'opposition à une hausse des taxes sur le carburant, ou le souhait d'une démocratie directe. Un mouvement majoritairement circonscrit à la France périphérique décrite par le géographe Christophe Guilluy dans le premier chapitre son ouvrage éponyme paru quatre ans avant le début du mouvement : «Le nez collé aux banlieues, les classes dirigeantes n’ont pas vu que les nouvelles radicalités sociales et politiques ne viendraient pas des métropoles mondialisées, vitrines rassurantes de la mondialisation heureuse, mais de la France périphérique.» Les Gilets jaunes sont devenus l'emblème de toutes les contestations : climatiques, souverainistes, sanitaires, sociales, voir même sociétales. Ainsi, le 29 août, quelques Gilets jaunes s'étaient réunis en compagnie d'anti-masques pour dénoncer l'obligation du port du masque. Des revendications qui semblent bien loin de celles des premiers jours.
Les revendications qui ont fédéré le mouvement sont toujours restés les mêmes.
Le mouvement évolue, ressemblant de plus en plus à un mouvement social d'agrégation de luttes, se confondant presque avec les manifestations organisées par les structures de la gauche traditionnelle. «Je ne pense pas qu'il y a eu un glissement idéologique», tempère François Boulo interrogé par RT France. «Les revendications qui ont fédéré le mouvement sont toujours restés les mêmes. On avait une agglomération de revendications catégorielle qui concernaient les retraités, les fonctionnaires, les salariés du privé, les handicapés etc... Tout le monde y allait de sa revendication et s'agglomérait autour d'un désir de justice fiscal, social et démocratique», analyse-t-il.
L'avocat estime qu'il «n'y a pas eu de changement sur le fond idéologique, néanmoins le mouvement a été incapable de se construire une représentation légitime, qui a laissé place à une certaine forme de désorganisation. Dans l'action, cela n'était pas préjudiciable, mais sur le plan du message porté, ça a permis à tout le monde et n'importe qui de prendre la parole sur les chaines d'information, jusqu'à des personnes dont je me demandais bien s'ils faisaient partie du mouvement», regrette François Boulo. «Quelle légitimité avaient-ils à parler ? J'avais parfois l'impression qu'ils parlaient pour eux même. C'est la dessus que le gouvernement à joué. On a eu une dilution du message et les médias se sont jetés sur les contradictions qu'on pouvait avoir, parfois montées de toutes pièces», déplore le Gilet jaune. «On a un pouvoir qui est très peu soutenu par la population, mais les oppositions sont totalement divisées, éclatées et on n'a pas de forces politiques fédérées, puissantes et crédibles pour constituer une alternative. On a du mal à voir les débouchés», conclut celui qui fut l'une des figures de proue du mouvement.
«On m’a beaucoup dit que les Gilets jaunes avaient été récupérés par l’extrême gauche, mais ils ont surtout été récupérés par l’intelligentsia universitaire qui disait six mois avant que ça n’existait pas, que ça ne pouvait pas exister, et qui désormais collent leur propre grille de lecture au mouvement», confesse Christophe Guilluy dans un entretien accordé à Reconstruire, paru le 27 octobre.
Un climat social explosif
Alors que les Gilets jaunes peinent à mobiliser, le mécontentement qui était à la base de leur essor est pourtant restée intact. A l'aune de la crise du Covid-19, 54% des Français n'approuvent pas l'action du président de la République selon un sondage mené par Ifop-Fiducial pour Paris Match et Sud Radio, paru le 3 novembre. Un chiffre en baisse, mais qui demeure majoritaire. Une défiance vis à vis du gouvernement qui se matérialise dans la critique de sa gestion de la crise du Covid-19. Seuls 35% des Français font confiance au gouvernement pour lutter contre la propagation du virus selon un sondage IFOP pour le JDD publié le 8 novembre. De même, selon un sondage Elabe pour Les Echos publié le 5 novembre, 87% des Français interrogés se disent inquiètent pour l'économie française.
Les facteurs qui ont alimenté l'envol du mouvement sont toujours présents, comme le témoigne l'augmentation des inégalités économiques et sociales entre les ménages les plus fortunés et les plus pauvres. L'année de la crise pandémique sera celle marquée par un record en matière d'accumulation de richesses comme le démontre une étude menée par le cabinet de conseil PwC et la banque suisse UBS. D'après les résultats publiés le 7 octobre, le total des actifs des 2 258 milliardaires que compte le monde culmine au niveau record de 10 200 milliards de dollars, battant le dernier pic de 2017 lors duquel il s'élevait à 8 600 milliards de dollars.
Le 2 octobre, divers représentants d'associations caritatives comme la Fondation Abbé Pierre, Médecins du monde, Secours catholique, ATD quart Monde ou Emmaüs ont pointé les effets de la crise sanitaire qui a fait basculer dans la pauvreté un million de Français, qui s'ajoutent ainsi aux 9,3 millions de personnes vivant déjà au-dessous du seuil de pauvreté de 1 063 euros... La crise pandémique a fait rebondir le chômage qui selon l'Insee atteint 9,0% au troisième trimestre 2020.
Enfin, la crise de la représentation politique qui s'installe durablement dans toutes les strates de la société s'est aggravée depuis le début du mouvement. Le scrutin des élections municipales du 28 juin a battu tous les records d'abstention lors d'une élection municipale en France sous la Ve République. L'abstention s'est ainsi élevé à 58,4% des électeurs inscrits à l'échelle nationale.
«Les plus impactés ont redécouvert la puissance de classe, et ça grignote petit à petit toute la société, jusqu'à des catégories plus élevées. Donc, on assiste à une "giletjaunisation" de la société qui conduit à une transformation sociale sans aucun débouché concret» estime le Gilet jaune Christophe Couderc. «Avant, la France était une terre aride de politique, et grâce aux Gilets jaunes elle a retrouvé sa vitalité politique», conclut-t-il.
Le déconfinement sonnera-t-il l'heure du bilan pour le gouvernement et le temps du renouveau pour les Gilets jaunes ?
Charles Demange
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