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Fantasia chez les ploucs

L’invasion du capitole est de ce genre d’événement dont on a du mal à évaluer l’importance réelle. Certes ce n’est pas un coup d’État fonctionnel tel qu’il pourrait être mis en œuvre par des troupes armées ou la police. Ces insurgés semblent plus pressés de faire des selfie que de s’emparer des leviers de commande de l’État, dont on peut présumer aussi qu’ils ne se trouvent pas ou fort peu au sein même du bâtiment envahi.

Reste la symbolique.

Un tabou protège ce lieu qui est en quelque sorte profané par les ploucs indésirables rameutés par le président sortant sur Twitter. Il s’agit du même tabou que celui qui protège les lieux de pouvoir dans l’espace parisien dans le secteur des Champs Élysées que les Gilets Jaunes ont allègrement profané en 2018. Ce tabou plonge ses racines en la croyance en la démocratie électorale et la fonde, la croyance que la victoire électorale obtenue régulièrement donne une légitimité à gouverner, ce qui signifie aujourd’hui, à imposer aux peuples tout ce que demandent les super-riches.

La contestation des résultats électoraux, qu’elle soit fondée ou non sur les faits, met à mal tout l’édifice. On peut dire que les thuriféraires de l’impérialisme ont scié la branche sur laquelle ils étaient assis. Depuis une génération les États-Unis et plus largement l’Occident se déchaînent contre les élections du deuxième monde lorsque les résultats n’ont pas l’heur de leur plaire. Ici , le retour de bâton à frappé au centre même.

On dirait bien que la saisie symbolique de ces espaces porte un coup violent au moral de ceux qui s’en estiment les occupants légitimes, et plus encore de ceux qui sont payés pour en chanter les louanges.

Et il est vrai qu’une armée peut se disloquer sans combattre lorsqu’elle perd la foi en sa cause et en ses chefs.

Sans doute une manifestation de Noirs aurait été beaucoup plus brutalement réprimée dès le début et n’aurait jamais pu forcer la porte du palais du pouvoir législatif américain. Mais se borner à relever cela, même si c’est exact, c’est passer à coté de la question.

Ces ploucs fachos ont porté atteinte bien plus profondément qu’ils n’auraient voulu à l’imaginaire démocratique qui recouvre la réalité de la dictature du capital. Et en réponse, ils ont été finalement accueillis à balle réelle.

Les ploucs du Capitole vont subir une intense répression, privatisée et implacable, ils sont ostracisés par les GAFA et déjà ils perdent leur emploi, et sont traqués sur le Net par des millions de mouchards volontaires enthousiastes et sûrs de leur bon droit ; et ceux qui se sont complaisamment photographiés leurs gros culs vautrés sur les fauteuils des législateurs ou les bottes posées sur les bureaux des puissants de ce monde se font arrêter les uns après les autres par le FBI.

Ce ne sont pas des représentants du prolétariat, mais plutôt pour le peu qu’on sache encore, des éléments des classes moyennes et intermédiaires qui vivent sur un siège éjectable dans un pays quasi sans protection sociale. Ils sont organisés par des réseaux qui émargent simultanément et de manière incohérente à l’idéologie libertarienne athée, à la mafia anti-cubaine, aux Églises évangélistes anti-darwiniennes, aux survivalistes de l’apocalypse écologique, aux OVNI et au reste de l’imaginaire porté à la paranoïa de la culture « new age ». Et qui tout comme leurs adversaires adeptes du "Russiagate" croient à des complots délirants.

Ce ne sont pas des gens dotés d’une analyse très lucide, même en se plaçant au point de vue de leur idéologie. Que penser de cet individu qui se promène presque à poil, avec des cornes, et qui croit qu’un complot communiste s’est emparé de l'État fédéral ? Il ressemble plus, bêtise et laideur incluses à un artiste contemporain qu’à un militant politique. La parade du drapeau confédéré indique la forte prégnance du suprématisme blanc, mais un suprématisme qui joue à la guéguerre et qui a déjà perdu, ils rêvent de refaire la guerre civile comme les joueurs de Kriegspiel voulaient refaire le Troisième Reich dans le roman du même nom de l’écrivain chilien Bolaño. C’est la tragédie de l’histoire des États-Unis qui fait retour sous la forme de la farce.

Mais sauf preuve du contraire, pas ou peu d’ouvriers. Les ouvriers peuvent voter Trump, ils n’ont ni le moyens ni les loisirs de manifester spontanément à des milliers de kilomètres de chez eux.

Par contre , un grand nombre de femmes. Les femmes aussi veulent avoir leur histoire et leur quart d’heure de célébrité. Pourquoi les féministes ne se posent-elles jamais la question de savoir pourquoi il y a depuis Ayn Rand et Margaret Thatcher jusqu’à Marine Le Pen et Hillary Clinton tant et tant de "femmes puissantes" et perverses à droite ?

Ces fascistoïdes participent au fond au mythe libertarien qui identifie tyrannie et puissance publique. Pour lequel la liberté se mesure comme dans les sagas nordiques à la possibilité d’opprimer les voisins et de tuer ses ennemis sans la médiation d’une justice d’État. Mais s’agit-il d’un vrai programme politique, ou plutôt d’un jeu de rôle pour des esprits où la frontière entre le réel et la fiction s’est brouillée depuis deux générations ? Les parents de ces joueurs de jeux en ligne jouaient déjà à des jeux video.

Le nouvel âge politique du capitalisme, fondé sur la toute puissance du désir, développe aussi à manière de la chasse aux Pokémon en 3D des réalités fantasmées. La première des révolution développées dans l’espace des fantasmes étant notre non-événement national mai 68. Il était « d'extrême gauche » ; en voici un équivalent « d'extrême droite ».

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http://www.reveilcommuniste.fr/2021/01/fantasia-chez-les-ploucs.html

GQ, 11 janvier 2021​​​​​​​

Tag(s) : #Etats-Unis
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