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Des militants des FARC, lors d’une veillée en hommage à d’anciens guérilleros assassinés, le 25 février à Bogota.

Des militants des FARC, lors d’une veillée en hommage à d’anciens guérilleros assassinés, le 25 février à Bogota.

Trois ans après l’accord de paix, les assassinats d’ex-guérilleros continuent en Colombie

Devant l’autel, un modeste cercueil en bois. « Parce que vous aimiez Astrid, vous êtes vous aussi victimes de la violence, et vous devez faire tout ce que vous pouvez pour y mettre fin », dit le prêtre. Ce dimanche matin, dans la petite église de l’Espiritu Santo de Bogota, ceux qui écoutent son sermon sont pour la plupart d’anciens guérilleros et d’anciennes guérilleras des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) qui ont signé la paix en 2016.

Quatre jours plus tôt, le 6 mars, Astrid Conde a été tuée dans le quartier populaire de Kennedy, dans la capitale. En plein jour. La mort de cette femme de 40 ans « engagée dans un processus de réincorporation à la vie civile » porte à 188 le nombre d’anciens combattants assassinés depuis qu’ils se sont désarmés. Quinze l’ont été cette année, deux à Bogota.

« Nous sommes victimes d’un massacre », soupire Doris, venue enterrer celle qui fut sa compagne d’armes. Le communiqué du parti politique de la Force alternative révolutionnaire commune (FARC) dénonce « une campagne d’extermination menée sous les yeux d’un gouvernement indolent ».

Tueurs à gage

Les organisations des droits de l’homme s’inquiètent, elle aussi, de l’inaction du gouvernement. D’autant que les assassinats ciblés ne visent pas seulement les ex-combattants. Les paysans, élus et militants locaux qui défendent les droits de leurs collectivités sont également visés. Selon l’Institut d’études pour le développement et pour la paix (Indepaz), 817 de ces « leaders sociaux » ont été assassinés depuis le 1er décembre 2016, cinquante-trois cette année.

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Astrid Conde a passé dix-sept ans dans le maquis. Selon la presse locale, elle a été un temps la compagne de Miguel Botache, alias « Gentil Duarte », un des commandants des FARC qui a repris les armes. Arrêtée en 2012 et condamnée pour avoir participé à un assaut armé contre un poste de police, elle a été libérée en 2017 dans le cadre de l’accord de paix.

Son meurtrier présumé a été capturé par la police. « Les indices recueillis indiquent que Jhonatan Sneider aurait reçu une avance pour trouver et assassiner sa victime », selon le parquet. Les tueurs à gage sont faciles à trouver en Colombie.

Le « torchon » de l’ONU

Fin 2019, « l’année la plus violente pour les ex-combattants des FARC », les Nations unies (ONU) demandaient « des mesures plus efficaces pour protéger leur vie ». Mais les relations entre le gouvernement d’Ivan Duque (droite) et l’organisation onusienne sont pour le moins tendues. Rendu public fin février, le rapport annuel sur la situation en Colombie de la Haute Commissaire pour les droits de l’homme, Michelle Bachelet, a été froidement accueilli à Bogota. Emilio Archila, le conseiller du président chargé de la mise en œuvre de l’accord de paix, a qualifié le rapport onusien de « torchon ».

Carlos Antonio Lozada, un ancien commandant des FARC, lors d’une cérémonie en hommage aux anciens combattants assassinés après l’accord de paix, le 25 février à Bogota.

Porté au pouvoir par la droite dure, le chef de l’Etat se défend de vouloir saborder l’accord de paix signé par son prédécesseur Juan Manuel Santos. Ivan Duque se pose même en défenseur de « la paix dans la légalité ».

Mais les chiffres de l’Institut Kroc de l’Université américaine de Notre-Dame, qui assure le suivi de la mise en œuvre de l’accord colombien, confirment que celle-ci traîne. Seules 25 % des dispositions du texte sont effectivement entrées en application. Plus de 10 000 guérilleros ont déposé leurs armes, mais les projets productifs promis pour assurer leur subsistance en temps de paix tardent à voir le jour ou à être rentables.

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Mécanismes « au point mort »

Luis Fernando Cristo, qui était ministre de l’intérieur dans le précédent gouvernement, explique : « Le gouvernement d’Ivan Duque refuse de reconnaître la FARC comme un interlocuteur valide et prétend mettre en œuvre l’accord de façon unilatérale et partielle. Tous les mécanismes accordés entre les parties pour résoudre les inévitables difficultés qui allaient se présenter sont au point mort. C’est le cas de la Commission de suivi et de vérification, ou encore du Conseil national de réincorporation. Comment instaurer des mécanismes efficaces de protection, individuelle et collective des anciens combattants, sans dialoguer avec les intéressés ? »

Dans les locaux de l’Unité de protection des personnes, l’administration publique chargée de veiller sur les citoyens menacés, un fonctionnaire se désole : « Rien n’a été fait. L’unité spéciale prévue par les accords de paix pour garantir la sécurité des ex-combattants est quasi démantelée, faute de budget. »

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« Nous n’avons plus d’armes et nous sommes seuls », soupire Doris, les larmes aux yeux, à la sortie de la messe. Aucun représentant du gouvernement n’a fait acte de présence à l’enterrement d’Astrid Conde. Aucun membre de la direction de la FARC – qui, ce jour-là, tenait réunion hors de Bogota – non plus.

« Impunité quasi totale »

Un des camarades de Doris interroge, exaspéré : « Comment faire confiance à un Etat qui ne respecte pas ce qui a été signé et qui est prêt à tout et à tuer pour défendre les privilèges des riches ? » Un autre, Jaison, considère que « les assassinats d’anciens guérilleros et ceux des leaders locaux servent les intérêts de certains secteurs politiques et économiques du pays. C’est de là que viennent les ordres. »

Tag(s) : #Colombie Les anciens Farc décimés
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