Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Résultat de recherche d'images pour "Manif's populaires au Chili Images"

Manifestation populaire au Chili pour la démocratie

Une augmentation de 4 pesos (30 centimes d’euro) du prix du ticket de métro ! Telle est, en version simplifiée, ce qui provoque l’explosion sociale, à Santiago du Chili, le 18 octobre 2019. Si l’on élargit l’analyse, on déduit que la révolte est due à la politique néolibérale du président Sebastián Piñera ainsi qu’à la déconnexion des « élites » et de la classe politique face à un quotidien insupportable pour de très larges pans de la population.
En une semaine, le Chili s’embrase (au sens figuré du mot). Le 25 octobre, dans la capitale Santiago, 1,2 millions de personnes battent le pavé de l’emblématique Plaza Italia, rebaptisée place de la Dignité. Mélange d’aveuglement obtus et d’obstination dans l’erreur, le pouvoir ne prend pas le mouvement au sérieux. La grève générale du 4 novembre lui remet les yeux en face des trous. Cette fois, le Chili flambe (au sens propre du mot). Menée par les carabiniers, la répression s’abat. Féroce, disproportionnée. A la mi-janvier 2020 on dénombrera (au moins) 27 morts, 3 650 blessés (dont 405 victimes de lésions oculaires), 22 000 détentions.

Il s’agit de la plus importante rébellion sociale depuis les « protestas » de 1983-1985 contre la dictature du général Augusto Pinochet. Entre deux manifestations, et plus qu’ailleurs dans les conseils communaux autoconvoqués, on discute beaucoup de la nécessité de transformer le modèle politique et économique. Une revendication émerge : le remplacement de la Constitution votée en 1980, en pleine dictature (1973-1990), sous état de siège et sous l’emprise des Chicago Boys. Ce carcan limite fortement l’action de l’Etat en matière de santé, d’éducation, de retraites, de sécurité sociale, de gestion de l’eau (pour ne citer que ces secteurs), livrées à l’activité privée.
Mis en difficulté par l’ampleur d’une rébellion qu’il ne parvient pas à contrôler, le pouvoir, à contrecœur, doit lâcher du lest. Le 15 novembre 2019, une session marathon du Congrès se termine par l’annonce d’un « Accord pour la paix sociale et la nouvelle Constitution  ». Un processus référendaire se déroulera le 25 octobre 2020.

Deux questions seront posées aux Chiliens :
1) souhaitez-vous une nouvelle Constitution ?
2) si oui, souhaitez-vous que cette Constitution soit rédigée par une Convention mixte (composée à 50 % de parlementaires et à 50 % de citoyens) ou par une Convention constitutionnelle (composée uniquement de citoyens) ?

Le 25 octobre inflige un camouflet à Piñera et à la droite qui appuyaient le « rechazo » (« je rejette ») à l’élaboration d’une nouvelle Constitution. Le « apruebo » (« j’approuve ») recueille 78,27 % des voix. Pour le plus grand déplaisir des parlementaires, toutes tendances confondues, qui en avaient fait leur option privilégiée, une Convention mixte (qui les aurait inclus d’office pour moitié) est vigoureusement rejetée (21 % des suffrages) au profit d’une Convention constitutionnelle (79 %). Sur une base paritaire – autant d’hommes que de femmes –, et avec dix-sept sièges réservés aux peuples indigènes (Mapuche, Aymara, Rapanui, Quechua, etc.), l’élection des 155 constituants aura lieu le 11 avril 2021, en appliquant le système utilisé pour l’élection des députés (à la proportionnelle, dans 28 circonscriptions bénéficiant de trois à huit représentants). Une fois rédigé, le nouveau texte fondamental sera soumis à un plébiscite de ratification, avec vote obligatoire, en 2022.
« Adios, general ! », chante la foule en liesse, le soir de la déroute des conservateurs, reprenant l’un des hymnes de l’opposition à Pinochet…

« Un tournant historique ! » « Le scrutin le plus important depuis la fin de la dictature ! » « Le Chili aura une Constitution rédigée par les citoyens ! »…
Il s’est agi, de fait, d’une incontestable victoire. Mais… A bien y regarder, le panorama n’est pas aussi enthousiasmant qu’il y paraît. Lors de l’accord du 15 novembre, tant Chile Vamos, la coalition de droite pro-Piñera, que la supposée opposition – centristes de l’ex-Concertation (Parti socialiste, Démocratie chrétienne) et coalition de centre-gauche baptisée Front élargi – ont bétonné le processus de manière à ce qu’il ne leur échappe pas. Seuls le Parti communiste et le Parti humaniste ne se sont pas prêtés au jeu.

 

Après avoir défendu (droite) ou s’être accommodée (centre gauche) du système ultralibéral lorsqu’elle gouvernait, cette classe politique, dans le dos des citoyens, a en effet imposé une camisole de force empêchant tout changement radical de la loi fondamentale. D’abord, en écartant le concept d’Assemblée constituante (par définition souveraine et susceptible d’élaborer son propre règlement) au profit d’une Convention constitutionnelle (qui ne peut s’attribuer des fonctions non prévues par l’actuelle Constitution).

Cette limitation a permis d’emblée d’écarter toute remise en cause d’enjeux aussi fondamentaux que les traités internationaux, par définition néolibéraux, ratifiés par le Chili. D’autre part, un quorum des deux tiers de la Convention (plutôt qu’une majorité simple) sera nécessaire à l’approbation des articles composant le nouveau texte constitutionnel. Un droit de veto assuré pour la droite conservatrice, qui, depuis 1990, a toujours obtenu un nombre de siège supérieur à ce seuil, dans tous les scrutins.

Pour l’élection des constituants, ces partis politiques hégémoniques depuis la fin de la dictature sont autorisés à soumettre leurs listes, individuellement ou en alliance avec d’autres formations. De son côté, la société politisée, qui s’en défie et les rejette, va au combat sans structures, sans financements, en ordre dispersé. D’après le site d’analyse politique et de pronostics électoraux Tresquintos, en comptant les blocs traditionnels et les indépendants du mouvement social, soixante-dix neuf listes se présentent dans tout le pays (sans parler des plus de 2 200 personnes qui le font à titre individuel). De là à supputer que la Convention tant espérée sera majoritairement composée de membres issus des partis traditionnels, par définition mieux organisés, il n’y a qu’un pas .
Indépendamment du fait qu’un tel blocage de la volonté populaire risque de provoquer, à court ou moyen terme, de nouvelles et violentes réactions d’acteurs sociaux frustrés, la droite, sur ce terrain, marque le point.

Entre le 11 avril prochain (élection des constituants) et une date encore non définie de 2022 (référendum destiné à approuver la nouvelle Constitution), aura lieu, le 21 novembre 2021, une autre consultation majeure : l’élection présidentielle. Conséquence de la gigantesque vague de contestation et du discrédit de l’appareil politique, un nouveau venu taille des croupières, dans les sondages, à Joaquín Lavín (UDI ; ministre lors du premier mandat de Piñera) et aux autres candidats présumés : le communiste Daniel Jadue.

Daniel Jadue (Photo : RedDigital)

Membre du comité central du PC, Jadue est, depuis le 6 décembre 2012, maire de Recoleta (150 000 habitants), l’une des trente-sept municipalités qui composent le Grand Santiago. C’est dans cette ville que, le 15 octobre 2015, il a créé la première pharmacie populaire du pays. Dans ce Chili du capitalisme roi, trois grandes chaînes contrôlent 90 % du marché : Cruz Verde, associée à la mexicaine Femsa ; Farmacias Ahumada, filiales de l’américaine Walgreens ; et la chilienne Salcobrand. Conséquence de cette concentration, le prix des médicaments est supérieur à ceux pratiqués en Europe, aux Etats-Unis et dans les autres pays de la région (en 1995 et 2008, les trois pieuvres en question ont été condamnées pour collusion).
En achetant à un organisme d’Etat fournisseur du système public de santé – la Centrale nationale d’approvisionnement (Cenabast) –, en négociant directement avec les laboratoires et en important des médicaments de l’étranger, la Pharmacie populaire Ricardo Silva Soto de Recoleta réduit immédiatement les prix de 30 % à 50 %.

Fort de cette réussite, bientôt imitée par plus de cent cinquante « municipios » (y compris de droite), Jadue élargit l’initiative en créant une « Optique populaire » (avril 2016), une « Immobilière populaire » (janvier 2018), une « Librairie populaire » (janvier 2019), un « magasin de disques populaire » (RecoMúsica ; avril 2019) ainsi qu’une « Université ouverte » (novembre 2018). Plébiscité par la population de Recoleta, ce laboratoire de politiques publiques ne passe pas inaperçu. Bien au-delà de la modeste influence du PC, la notoriété de Jadue s’accroît. Jusqu’à le placer en tête des sondages. Déclenchant des moues incrédules : un « rouge » à La Moneda (le palais présidentiel) ? Dans un pays où l’armée a renversé le socialiste Salvador Allende et où l’anticommunisme demeure extrêmement prégnant ?
Interrogé sur les effets possibles d’une campagne menée sur ce thème pour casser ses possibilités de succès, Jadue répond : « Tout ce qui vient aujourd’hui du pouvoir sera rejeté. Toute campagne venant du pouvoir et de la domination, de l’extrême droite, de la droite et même des secteurs de la Concertation pour essayer de convaincre les gens de ce qui est bon... eh bien… les gens ne font plus confiance à aucun d’entre eux. L’autre jour, José Miguel Insulza [PS] a déclaré qu’il ne m’aimait pas comme candidat : plusieurs personnes ont répondu que, s’il me trouvait à son goût, je ne jouirais de la confiance de personne au sein de la population
 ! »

Ancien ministre (de 1994 à 2005) du démocrate-chrétien Eduardo Frei puis du centriste (souvent catalogué « socialiste ») Ricardo Lagos, secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA) de 2005 à 2015, sénateur depuis 2018, Insulza n’est pas le seul à s’inquiéter. La classe dominante passe à l’action. Avec en déclencheur un article du quotidien de droite La Tercera, Jadue se voit impliqué dans un scandale connu sous le nom de « Luminarias Led ». Lors d’appels d’offres, une société, Itelecom, a commis des irrégularités dans une vingtaine de municipalités du pays. Or il se trouve qu’elle a rénové l’éclairage public de Recoleta. Dès lors, le Ministère public lance une procédure au prétexte « que tous les prix d’Itelecom ont une origine irrégulière et que, dans le cas de Recoleta, un fonctionnaire peut avoir été impliqué dans le stratagème que la société a organisé pour remporter légalement les enchères (…).  » Le « peut avoir » étant quelque peu léger, une autre accusation complète la première : Itelcom a fait un don de 50 millions de pesos (56 000 euros) à la Corporation culturelle de Recoleta pour l’organisation d’une manifestation musicale de trois jours, le Festival World of Music, Arts & Dance (Womad). Pot de vin, corruption, rétro-commission ? « Je trouve absolument raisonnable qu’une entreprise qui fait des bénéfices dans une commune comme Recoleta, une commune aux ressources limitées, veuille rendre la pareille avec un don tout à fait légal », réagit publiquement Jadue le 10 janvier dernier.

La presse s’empare tout de même avec un enthousiasme certain de son cas. L’affaire n’avançant pas assez vite à leur goût, trois députés de Chile Vamos se sont adressés le 25 janvier au 3e Tribunal de garantie de Santiago pour déposer une plainte contre le maire de Recoleta, en insistant sur sa complicité dans l’affaire Luminarias et en demandant au ministère public de faire la lumière sur son implication.
Le but de l’offensive est clair et porte un nom : «  lawfare »
 Cette stratégie juridique et médiatique visant à instrumentaliser politiquement la justice pour détruire l’image d’un adversaire politique a déjà été expérimentée sur Luis Inacio Lula da Silva au Brésil, Cristina Fernández de Kirchner en Argentine et Rafael Correa en Equateur – pour ne citer qu’eux.

Vaste domaine des coïncidences : au même moment explose une bombe qui fait encore plus de bruit et dont les ondes se propagent à l’étranger. Le 29 décembre 2020, depuis Los Angeles (Californie), le célèbre Centre Simon Wiesenthal (CSW) annonce avoir placé Jadue dans le « Top10 des pires antisémites de l’année 2020 ». « Jadue, membre du parti communiste, est une personnalité nationale et est mentionné comme un futur président potentiel. En utilisant les fonds municipaux pour financer des activités pro-BDS [boycott, désinvestissement, sanctions] et anti-Israël, le maire Jadue cible la communauté juive avec des calomnies pernicieuses qui rappellent les Protocoles des Sages de Sion », précise, sans trop faire dans la dentelle, le dossier d’accusation.
Né en 1977, basée à Los Angeles et disposant de Bureaux à New York, Chicago, Miami, Toronto, Paris, Buenos Aires et Jérusalem, le CSW s’est, par le passé, gagné le respect pour sa traque des criminels de guerre nazis, en fuite ou exilés. Toutefois, ces dernières années, ses cibles naturelles ayant tendance à disparaître, rattrapées par leur âge chaque jour un peu plus canonique, le Centre, sous prétexte de « lutter contre la haine et le racisme », semble s’être donné un nouvel objectif : jeter le discrédit sur les personnes ou organisations critiques du gouvernement israélien, sommairement présentés comme antisémites.

Quelque temps auparavant en effet, suite à des déclarations très partisanes de dirigeants de la communauté juive chilienne concernant le conflit israélo-palestinien, Jadue avait réagi : « C’est une insulte que l’Etat d’Israël, par ses agents, ici, au Chili, veuille importer le conflit (…) Les dirigeants de la communauté juive du Chili agissent au nom de l’Etat d’Israël (…) Ils doivent définir s’ils sont citoyens chiliens. » La polémique enflant, Jadue, interrogé par le quotidien El Mercurio (8 novembre 2020), « aggravera » son cas : « Je m’entends très bien avec les juifs ; avec les sionistes, j’ai certains problèmes. »
Un grand classique, somme toute, dont a témoigné, en France, en décembre 2019, un appel de 127 intellectuels juifs aux députés français : « Ne soutenez pas la proposition de résolution assimilant l’antisionisme à l’antisémitisme »
  Mais qui prend une résonnance toute particulière dans le contexte chilien.

Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :