Après Retour vers le futur, la dernière superproduction géopolitique pourrait bien s'appeler Progression vers le passé. En Amérique latine, revendiquée chasse-gardée par Washington depuis une certaine doctrine Monroe, les événements récents semblent en effet nous faire revenir quinze ans en arrière et apportent à la scène internationale un curieux air de déjà vu qui n'est pas vraiment pour plaire à l'empire. Les partisans de l'éternel recommencement, eux, seront ravis...
Au Brésil, un vieux de la vieille ressort de sa boîte. Alors qu'on le croyait définitivement enterré, Lula vient de voir ses condamnations annulés et ses droits politiques restaurés et, s'il n'est pas à l'abri d'un énième rebondissement judiciaire, le voilà déjà catapulté favori de la présidentielle de l'année prochaine.
Lula, c'est tout un symbole, celui des années 2000 qui voyaient une Amérique latine s'opposer de manière véhémente au Washingtonistan bushien, commencer à dédollariser et embrasser avec passion la cause des BRICS.
De quoi redonner un second souffle à cette organisation multipolaire par excellence, qui faisait trembler le Potomac au milieu de la dernière décennie mais avait vu sa dynamique cassée par le coup d'Etat institutionnel de 2016. La relation de cause à effet était évidente, comme l'avait bien vu notre honorable correspondant sur place à l'époque, et, quelques mois plus tard, nous pouvions déjà le constater :
Aujourd'hui à Goa s'est ouvert le sommet annuel des BRICS. Des décisions considérables, des changements tectoniques s'y font habituellement jour, mais le sommet de cette année est quelque peu particulier et pose autant de questions qu'il n'apporte de réponses. Dans sa tentative désespérée (et, à terme, vaine) de conserver son hégémonie, l'empire semble avoir en l'occurrence réussi à partiellement casser la dynamique de développement des BRICS. L'une des rares victoires dont peut se prévaloir Washington ces derniers temps...
Le Brésil a été retourné par un coup d'Etat constitutionnel et la multipolaire Dilma a été poignardée dans le dos par son Brutus à elle, l'informateur de l'ambassade US Michel Temer. Il sera d'ailleurs amusant de voir ce bon petit pion du système impérial côtoyer Poutine ou Xi Jinping, même si une surprise n'est pas impossible. D'autre part, l'aigle essaie depuis des années et avec abnégation de détacher l'Inde du camp eurasien et de la placer sous l'égide de la pax americana. Aussi attend-on moins de ce sommet que de ceux qui l'ont précédé.
La présidence de Jair Bolsonaro n'a rien fait pour éclaircir la situation. Si le bonhomme est plus complexe que ce qu'on veut bien en dire et s'il a en plus quelques difficultés relationnelles avec le nouvel occupant de la Maison Blanche qui pourraient le pousser du côté de Moscou et Pékin, on le voit quand même mal en soldat de la multipolarité s'opposant avec fougue à l'unilatéralisme impérial...
D'ailleurs, dans un de ses derniers tweets, Mike "il voulut être César, il ne fut que" Pompeo glosait sur la stagnation des BRICS (ce qui montre d'ailleurs à quel point l'organisation continue d'obséder le Deep State) :
Si l'ex directeur de la CIA, devenu maintenant ex-secrétaire d'Etat, prend quelque peu ses désirs pour des réalités, il n'en reste pas moins que l'organisation a clairement perdu sa folle dynamique. Un retour de Lula aux affaires relancerait vraisemblablement la machine. Avec cependant un hic...
Dans cette partie du monde, les notions de gauche et de droite veulent encore vaguement dire quelque chose, au moins dans les esprits. Or, le ménage à trois se révèle bien compliqué : la gauche latino-américaine apprécie particulièrement Poutine tandis que la "gauche" US (Démocrates) le déteste corps et âme.
Certes, on sait que le parti de Joe l'Indien et de Barack à frites est de gauche comme votre serviteur est curé, m'enfin, dans ces affaires, les représentations mentales sont aussi importantes que la réalité elle-même. Et, en l'occurrence, la gauche latino a toujours eu d'évidentes d'accointances avec les Démocrates.
Avec un bon bourrin Républicain à la Maison Blanche, la cause serait entendue d'avance. Est-ce d'ailleurs tout à fait un hasard si c'est sous la présidence de George Doubleyou que l'Amérique latine a commencé à s'émanciper du dollar et de la tutelle unilatérale ? Mais gageons qu'un doucereux et intrigant Démocrate fera tout pour empêcher le Brésil de rejoindre à nouveau le camp ennemi. A suivre...
Toujours sur le continent, la Bolivie semble elle aussi nous rejouer la partition du retour aux années 2000, quand Evo s'opposait comme un beau diable à tout ce que Washington disait, de la guerre à l'impérialisme en passant par la feuille de coca, allant jusqu'à expulser le DEA (l'agence anti-drogues américaine) en 2008 pour son ingérence.
Non pas que les nouvelles autorités du MAS, gagnant éclatant des élections après le vrai-faux putsch, se soient déjà engagées dans la voie de la confrontation avec les gringos. Mais elles sont en train d'assurer leurs arrières afin qu'aucun coup (dur, mou ou d'Etat) ne vienne troubler leur domination sur le pays.
Ainsi, la douce Jeanine Añez, señora de los Ángeles, musa del Cielo altísimo y de las estrellas, protectora gloriosa del Estado, vient de se faire arrêter comme une vulgaire tout-venante, réfugiée qu'elle était chez des amis, cachée derrière un matelas. L'acte d'accusation - "sédition, terrorisme et conspiration" - est sérieux et constitue un avertissement à qui serait tenté par une nouvelle petite kermesse insurrectionnelle du côté de La Paz.
Il y a un an, Jeanine resplendissait de toutes ses dents mais, on le sait, il n'y a pas loin du Capitole à la roche Tarpéienne.
Jeanine Añez, du (court) temps
de son éphémère présidence