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Tant qu'il y a une chaine, on n'est pas libre...

Certains croient (encore) que la FI et Jean-Luc Mélenchon avancent avec un programme favorable à la souveraineté nationale. Une (ultime) mise au point s’impose.

En politique, il y a des cas de figures qui vous acculent au procès d’intention. C’est le cas lorsque la ligne d’un mouvement privilégie le flou et adopte une ligne qui change selon le contexte. C’est d’autant plus significatif lorsque les problèmes essentiels de l’époque sont depuis longtemps parfaitement identifiables, et partant stables, alors que les changements de ligne ne font que suivre une succession de préoccupations qu’il faut bien qualifier de politiciennes (attirer tel ou tel type d’électeurs potentiels par telle ou telle revendication, ou tel type d’idéologie).

Et cela se confirme lorsque l’on comprend que chacun peut interpréter les propositions de ce mouvement selon ses propres options, y compris lorsqu’elles sont pourtant contradictoires.

Dans ces cas-là, on se retrouve comme face à une séductrice ou à un séducteur : il est certes agréable de pouvoir ainsi se sentir choisi, ce qui est flatteur, mais on sent également que l’on se fait probablement manipuler.

Le programme de la FI est, comme celui de Syriza (en Grèce), celui de Podemos (en Espagne) et celui du M5’s (en Italie), volontairement plein d’ambiguïtés sur l’essentiel. Par exemple, seule une lecture très attentive de ce programme peut permettre de saisir que sa réalisation implique de nouveaux traités supranationaux.

En effet, il propose de « sortir des traités » de l’UE sans sortir de l’UE. Mais étant donné que l’UE est basée sur la logique des traités, cette option implique de refonder les grands arrangements économiques dans le cadre de négociations multilatérales. Or, la logique qui vise l’inscription des orientations économiques et sociale dans des traités internationaux est précisément celle du néolibéralisme

6 MAI 2021

En politique, il y a des cas de figures qui vous acculent au procès d’intention. C’est le cas lorsque la ligne d’un mouvement privilégie le flou et adopte une ligne qui change selon le contexte. C’est d’autant plus significatif lorsque les problèmes essentiels de l’époque sont depuis longtemps parfaitement identifiables, et partant stables, alors que les changements de ligne ne font que suivre une succession de préoccupations qu’il faut bien qualifier de politiciennes (attirer tel ou tel type d’électeurs potentiels par telle ou telle revendication, ou tel type d’idéologie). Et cela se confirme lorsque l’on comprend que chacun peut interpréter les propositions de ce mouvement selon ses propres options, y compris lorsqu’elles sont pourtant contradictoires. Dans ces cas-là, on se retrouve comme face à une séductrice ou à un séducteur : il est certes agréable de pouvoir ainsi se sentir choisi, ce qui est flatteur, mais on sent également que l’on se fait probablement manipuler.

Le programme de la FI est, comme celui de Syriza (en Grèce), celui de Podemos (en Espagne) et celui du M5’s (en Italie), volontairement plein d’ambiguïtés sur l’essentiel. Par exemple, seule une lecture très attentive de ce programme peut permettre de saisir que sa réalisation implique de nouveaux traités supranationaux. En effet, il propose de « sortir des traités » de l’UE sans sortir de l’UE. Mais étant donné que l’UE est basée sur la logique des traités, cette option implique de refonder les grands arrangements économiques dans le cadre de négociations multilatérales. Or, la logique qui vise l’inscription des orientations économiques et sociale dans des traités internationaux est précisément celle du néolibéralisme…

Autre exemple : le programme de la FI propose de rester dans la BCE en lui assignant « d’autres objectifs ». Mais l’existence-même de la BCE implique l’émission d’une monnaie pour plusieurs pays différents, ce qui revient à empêcher la maîtrise par ces pays de leur politique monétaire.

L’ambigüité est donc le maître mot de ce programme. D’un côté, la FI dit publiquement qu’il est hors de question de sortir de l’UE et de l’euro, de l’autre elle dit que quoi qu’il arrive, le programme de la FI – bien qu’incompatible avec l’UE et l’euro – sera appliqué. Que doit penser l’électeur ? Quelle garantie a-t-il de ne pas signer un chèque en blanc en votant pour elle ? Devant un tel flou artistique, la FI nous condamne à un dilemme indépassable : s’abandonner à son arbitrage final en cas de victoire électorale, ou lui faire des procès d’intention, position désagréable mais logique.

Prenons des exemples précis du « Programme en commun » qui illustrent ce constat.

« Notre indépendance d’action et la souveraineté de nos décisions ne doivent plus être abandonnées aux obsessions idéologiques de la Commission européenne ni à la superbe du gouvernement allemand et de ses alliés ! » [Introduction du chapitre 4]

Doit-on comprendre avec cette phrase que la souveraineté de l’État serait effectivement rétablie ? Non, mais ça n’est pas clairement assumé, au contraire. Le programme ne dit d’ailleurs pas de quelle manière cette souveraineté serait rétablie si la France restait dans l’UE, ce qui est la volonté de la FI. C’est pourtant tout sauf un détail ! L’interprétation possible de cette phrase est :

– que le leadership allemand (inhérent au marché unique et à la monnaie unique) et la Commission européenne sont très mal vus par la FI… ce qui nous fait une belle jambe pour ce qui est de notre souveraineté.

– que le problème (pour la FI) n’est pas que la souveraineté nationale ait été abandonnée, mais à qui et comment elle l’a été. Or, même si la souveraineté de la France avait été abandonnée au profit d’autorités supranationales sympathiques, nous serions tout autant sortis de la démocratie. Celle-ci ne trouve en effet aucune voie de réalisation en dehors d’une communauté politique souveraine. Et cette communauté n’est autonome et démocratique que parce que son État est lui-même parfaitement autonome quant à ses orientations publiques, et que la souveraineté de cet État est attribuée à la nation et à personne d’autre.

Ici, comme dans les déclarations publiques des cadres FI, la souveraineté est présentée comme une sorte de marge de manœuvre. Mais cela n’a pas de sens ! La souveraineté dans un cadre démocratique est le fait juridique de ne devoir en référer à aucune autre entité que la nation souveraine pour les orientations principales de la communauté politique correspondante. Or, ce que propose le programme de la FI est de remplacer un cadre supranational (qui déplait parce que trop néolibéral) par un autre cadre supranational plus sympathique, après des négociations que l’on promet musclées[1].

Voilà ce qui transparait d’une analyse objective de cette phrase. Son objectif est de faire croire qu’en contestant la direction de l’Allemagne et de la Commission européenne, la FI veut le rétablissement de la souveraineté nationale. Elle donne donc des gages symboliques à ceux qui veulent le rétablissement de la souveraineté (incompatible avec l’UE, celle-là ou une autre), et rassure ceux qui ne veulent pas sortir des institutions européennes mais bien les « transformer », fantôme éternel de « l’Europe sociale », ce qui n’est pas autre chose que « faire du bruit avec sa bouche » …

« Protectionnisme solidaire »

On l’a dit, remplacer les traités multilatéraux actuels par d’autres traités multilatéraux revient à conserver la forme néolibérale de la gouvernance par traités, avec son corps de règles et d’interprétations juridiques supranationales, et avec les institutions dédiées à la mise en application de ces traités, découplées de tout processus démocratique. Une gouvernance de dizaines de pays aux intérêts d’autant plus divergents qu’ils font partie d’un marché unique. Et justement, la FI ne dit rien de clair non plus concernant le marché unique. Elle parle de « protectionnisme solidaire ».

De quoi s’agit-il ? Quelles en seront les modalités ? De quel périmètre sera constitué ce « protectionnisme » ? S’appliquera-t-il vis-à-vis des pays européens qui pratiquent un dumping salarial, fiscal, social et règlementaire ? Et si la réponse est oui, alors il revient à démanteler le marché unique…

Le programme de la FI n’en dit rien. Pourtant, la question du marché unique européen est fondamentale, puisqu’il opère une désindustrialisation massive des pays périphériques, France y compris, pour la concentrer en Allemagne, et dans son hinterland de l’Est et les pays dit de la « banane bleue ». Entre 2009 et 2011, 55 % des délocalisations se produisaient au sein même de l’Union européenne.

La FI parle souvent de protectionnisme « européen »[2]. Mais la plus grosse partie de la désindustrialisation des pays périphériques européens, dont la France, résulte de la concurrence intra-européenne due au marché unique. Rien que pour l’automobile (et alors que cela devient vrai même pour les services désormais), la Citroën C3 de PSA n’est plus produite à Poissy, en région parisienne, mais en Slovaquie, la Renault Clio est produite entre autres en Slovénie, la Peugeot 107 et la Citroën C1 sont produites à Kolín en République tchèque, la Peugeot 208 est fabriquée à Trnava en Slovaquie. La sous-traitance, même lorsqu’elle ne fait pas l’objet d’une délocalisation, est également touchée par les suppressions d’emplois, puisque les firmes automobiles achètent directement à bas coût dans les pays de l’Est des composants que l’on produisait en interne ou que l’on achetait à un sous-traitant français.

Les mesures à prendre pour contrôler politiquement les mouvements commerciaux internationaux (puisque c’est de cela dont on parle quand on utilise le terme « protectionnisme »), tant entre les pays européens qu’avec le reste du monde, doivent être énoncées. Pour être prises au sérieux, elles devraient notamment comporter :

  • L’institution des quotas (et non pas de simples taxes, comme on l’entend souvent), en visant explicitement le remplacement des importations par des productions nationales quand cela est possible, le tout dans le cadre d’une économie nationale de nouveau protégée de la concurrence extérieure[3].
  • Le contrôle très strict des mouvements de capitaux à même d’empêcher toute délocalisation supplémentaire.

Seules de telles mesures (avec en plus le contrôle du secteur bancaire pour orienter les investissements indispensables) sont capables de réindustrialiser notre pays et permettre ainsi une véritable transition écologique qui ne dépende plus de la production chinoise (notamment), incontrôlable par définition, acculant les ambitions écologiques françaises à n’être que des songes creux sans possibilité de réalisation significative.

La FI dit vouloir une harmonisation sociale et fiscale entre les pays de l’UE. Là encore, rien n’est dit sur le comment. En effet, comment prétendre (sérieusement) parvenir à une harmonisation sociale avec la Bulgarie (par exemple), dont le salaire minimum est à 312 euros brut par mois (cinq fois moins élevé que le SMIC français) ? Si la Bulgarie augmentait brutalement son salaire minimum au niveau du SMIC, elle perdrait immédiatement son industrie.

Que l’on s’entende bien : elle devra l’augmenter, ou du moins elle devrait et pourrait le faire, mais à condition de se placer en dehors d’une stratégie mercantile centrée sur les marchés extérieurs, et très progressivement. Même remarque sur l’objectif d’une « harmonisation fiscale« .

Avec une fiscalité française globale de 28% contre 9% en Hongrie, dans le court terme, la Hongrie n’a aucun intérêt à rejoindre le niveau français, pour les mêmes raisons que la Bulgarie sur la question des salaires. A Malte, les cotisations sociales sont à 15% contre 45.5% en France. Etc. Avec de telles disparités, comment croire à une harmonisation possible à court ou moyen terme ? Et en attendant, que fait-on alors que la France continue de se désindustrialiser ?

Une stratégie de rupture est impensable si elle n’est pas rapide, car dans le cas de la victoire électorale d’une force politique favorable à la rupture d’avec l’ordre néolibéral, cet ordre utilisera tous ses moyens pour la rendre impossible, et alors même que le refinancement de nos banques est très vulnérable à la capacité de la BCE de leur couper les vivres dans un temps très court, comme elle l’a déjà fait plusieurs fois dans ce genre de situations. Par conséquent, compter sur l’aboutissement d’accords multilatéraux à 27 pays, c’est vouer cette tentative de rupture à l’échec.

Pour pouvoir agir vite, il faut nécessairement agir de manière unilatérale dans un premier temps. Dans un second temps, ce ne sont pas des accords multilatéraux mais bilatéraux, entre nations souveraines, centrés sur la coopération qu’il faudra construire. S’il faut « rester dans l’UE« , comme le dit la FI, c’est-à-dire au sein d’un espace européen encore majoritairement néolibéral, les accords multilatéraux sont inenvisageables.

Bref, la FI prétend pouvoir concilier rupture économique, politique, sociale et écologique en France dans un environnement institutionnel supranational européen. Cette contradiction n’est tout simplement pas crédible et jette un doute dévastateur sur la faisabilité de l’ensemble. Il est en effet logique de se demander ce qui sera sacrifié in fine dans ces objectifs contradictoires : les institutions européennes ou la rupture elle-même?

Bref historique des positions de J-L Mélenchon et de la FI sur l’Union européenne et sur l’euro 

A l’occasion du référendum de 2005, J-L Mélenchon a fait campagne contre la ratification du TCE (traité constitutionnel européen). Sa campagne critiquait le contenu économique néolibéral du traité, mais pas la captation de souveraineté qu’il impliquait. D’ailleurs, en février 2008, lorsque N. Sarkozy (alors Président de la République) a réuni l’Assemblée et le Sénat en Congrès à Versailles, J-L Mélenchon a participé avec tous les élus nationaux à un vote dont le principe-même a confisqué au peuple sa décision souveraine de 2005.

La séquence 2005-2008 contient en résumé toute l’ambigüité des positions de J-L Mélenchon sur les questions européennes. Et les épisodes suivants ont confirmé cette ambiguïté en offrant le spectacle d’incessants revirements rhétoriques, aussi soudains qu’opportunistes.  

En 2011, à l’occasion d’une interview sur Europe 1, il déclarait que la sortie de l’euro était une solution d’essence maréchaliste. Il visait alors explicitement Marine Le Pen, mais aussi implicitement tous ceux qui, à gauche, commençaient à remettre en cause l’appartenance de la France à la monnaie unique, en les assimilant à l’extrême-droite[4].

Vouloir restaurer la souveraineté monétaire était donc pétainiste… Les compétences de Jean-Luc Mélenchon en droit constitutionnel et en histoire politique sont connues, il est donc très peu probable que cette déclaration ait été une simple maladresse, mais plus probablement une invective mûrement réfléchie. Pétain a volontairement supprimé la souveraineté nationale au bénéfice de l’envahisseur, alors que la guerre n’était pas encore gagnée par les nazis. Celui qui a défendu la souveraineté nationale c’est De Gaule et tous les autres résistants, certainement pas Pétain. Il s’agit donc ici d’une inversion historique qui souligne l’étrange rapport de Jean-Luc Mélenchon avec la souveraineté nationale.

En mai 2014, après la crise des dettes publiques, la prise en main des budgets publics par la Commission européenne et la crise grecque, le débat à gauche sur la sortie de l’euro est devenu inévitable. C’est alors que Jean-Luc Mélenchon (et son parti, le PG) change radicalement de position. Il n’exclue plus une sortie de l’euro, ou son effondrement. Mais en même temps, il présente ce risque d’effondrement comme négatif (sans apporter d’argument).

C’est la raison pour laquelle il réclame un changement de statut de la BCE, souhaitant que son rôle officiel ne soit pas seulement de lutter contre l’inflation[5]Comme si le problème de fond (et la solution au problème) se trouvait dans le rôle de la BCE vis-à-vis de l’euro.

En réalité, le problème est que la BCE est un organisme supranational.

C’est un problème économique car elle applique une même politique monétaire pour plusieurs communautés économiques nationales différentes[6]. Mais c’est aussi un problème démocratique car elle a la main sur la création monétaire alors qu’elle échappe à toute pression démocratique en raison même de son caractère supranational. Mais on ne peut pas séparer une politique monétaire d’une politique économique cohérente et efficace. Et une politique économique ne peut pas se décider et s’arbitrer à un niveau qui surplombe les communautés politiques existantes si on veut qu’elle reste démocratique. 

C’est évident, ou cela devrait l’être.

La souveraineté est le sujet démocratique et politique par excellence. Vouloir maintenir une banque centrale supranationale, c’est ignorer le lien entre la souveraineté et l’arbitrage démocratique.

Le 18 avril 2017, nouvelle inflexion de J-L Mélenchon : « Ne croyez pas ce qu’ils vous disent : « Il veut sortir de l’Europe, de l’euro » (…), allons, un peu de sérieux. » Le voilà qui rejette de nouveau ce qu’il décrit comme une folie, avec pour argument son enjeu supposé : « Savoir si nous allons nous opposer les uns aux autres en Europe ou si nous allons faire baisser les tensions qui existent entre les peuples« .

Un argument habituellement utilisé par les européistes naïfs, mais une pure inversion factuelle en réalité. Ce sont précisément la monnaie unique, la préemption de l’UE des politiques économiques nationales, et le marché unique, qui créent de la divergence économique entre les pays de l’UE. A quoi s’ajoute le fait que cette divergence ne peut pas être compensée par des dévaluations monétaires du fait même de la monnaie unique. En conséquence de quoi, deux phénomènes ne cessent de grandir au sein de l’UE : la montée des nationalismes, et les tensions internationales internes à la zone. Entre l’Allemagne et la Grèce, et plus globalement entre les « pays du nord » et les « pays du sud ». C’est bien le maintien de l’UE et de l’euro qui fait monter les tensions, certainement pas le fait d’en sortir, à moins de penser, comme le racontent les néolibéraux, que le commerce concurrentiel est doux et favorise la paix. Encore une inflexion majeure qui rend illisible la ligne politique.

Au cours du même discours, J-L Mélenchon dit que nous devons « discuter avec l’Allemagne », et que celle-ci est un « partenaire ». D’une part, discuter avec l’Allemagne n’est pas antinomique d’avec la sortie unilatérale de la France de la zone euro (ou alors il faudrait expliquer pourquoi).

D’autre part, au sein d’un marché unique et d’une monnaie unique, l’Allemagne n’est pas un « partenaire » mais bien un hégémon, qu’elle le veuille ou non. Pour qu’elle puisse redevenir effectivement un partenaire, il faudrait que France et/ou Allemagne se trouvent en dehors d’un tel agencement, qui polarise la production industrielle dans les régions favorisées.

Cette déclaration est donc encore une inversion de sens. On n’a de partenaires qu’au sein d’une relation équilibrée ou chacun est libre de se déterminer comme il l’entend. Au sein de structures rigides, supranationales, qui préemptent l’essentiel des orientations sans tenir compte des différences de position, on ne peut que se coordonner (mais pas coopérer) de manière asymétrique pour appliquer les principes qui guident la structure rigide, selon la seule logique des points de départ initiaux (inégaux), aggravés par la rigidité du système lui-même, qui empêche les rééquilibrages. C’est pour cela que l’UE n’est pas une « union », et n’est pas une structure de coopération. C’est une structure de gouvernance supranationale, qui gère la mise en place de règles rigidement encastrées dans des traités.

En 2018, J.L Mélenchon poursuit le virage engagé l’année précédente, mais toujours sans l’assumer. Jusqu’alors, pour la FI, il était question de « sortir des traités » aux cas où nos « partenaires européens » refuseraient de les modifier à notre convenance. C’était le fameux « plan B » de la campagne du premier tour de la présidentielle de 2017. Il reléguait la question de la souveraineté de la France en seconde division, en en faisant une solution de repli au lieu d’une (re-)conquête. Mais cette option devait paraître encore trop souverainiste puisqu’en août 2018, à l’issue d’une université d’été mouvementée, J-L Mélenchon préfère parler de « désobéir aux traités ».

Ce flou, plus grand encore en matière de souveraineté, vise à rassembler les tenants de la sortie de l’UE et ceux de l’éternelle (et très social-démocrate) « Europe sociale ». Après une éphémère et floue période « populiste », voici donc que la classique stratégie « d’union de la gauche » revient à l’ordre du jour, excluant toute position radicale sur l’UE et l’euro.

S’en suit une campagne aux élections européennes de 2019 avec une liste FI menée sur le thème de l’alter-européisme[7] : transformer l’UE mais rester dans l’UE quoi qu’il arrive et quoi qu’il en coûte. Une option qui rend spectaculairement floues les perspectives institutionnelles… Mais ce repositionnement sur l’UE est la condition sine qua non d’un rapprochement avec la « gauche » du PS. « Tout un groupe au sein du PS a des orientations sur la question européenne qui sont proches des nôtres. C’est sûr qu’ils seraient plus à leur place ici que sur une liste menée par Pierre Moscovici » (J-L Mélenchon 9 septembre 2019).

Voilà donc J-L Mélenchon prêt à s’associer à des PS « frondeurs » (sans rire), viscéralement européistes, eux-mêmes associés à des écologistes hystériquement européistes. C’est ainsi que se présente l’ultime version de la gauche plurielle – dont la seule évocation rappelle à tous les trahisons en série, avec pour toile de fond une énième promesse d’Europe sociale

Promettre à la fois le maintien dans les structures institutionnelles européennes et le respect d’un programme incompatible avec ces dernières, c’est faire une promesse ouvertement contradictoire. Et les promesses de ce genre ont un fort passif récent encore inscrit dans les mémoires collectives : celui créé par le précédent grec, celui de Syriza. On a vu dans quel sens penchait l’arbitrage final quand il fallait résoudre (fatalement) la contradiction. Syriza aussi avait promis d’appliquer quoi qu’il arrive son programme, l’arrêt de l’austérité, et de rester dans l’euro.

On connait la suite.

Cette démonstration grandeur nature fut encore confirmée par les destins politiques de Podemos et de M5’s (et même de la Ligua dans un autre genre politique). On ne peut pas affirmer que la FI a forcément le même potentiel de trahison, mais en terme de résonance politique et de crédibilité, il est plus que difficile de présenter cette contradiction fondamentale comme quelque chose de clair et de rassurant…

 

La souveraineté nationale VS la « refondation » d’une nouvelle UE

Fondamentalement, la position de la FI sur la souveraineté est illisible. La FI agite des mots mais évite toute clarification et tout engagement sur cette question. Le « plan A », comme le « plan B » de son programme ne nous disent pas quel est le périmètre des réarrangements institutionnels supranationaux qui fonde leur objectif politique. Qu’il s’agisse de « sortir » des traités ou d’y « désobéir« , ce qui se dessine en creux dans de tels propos est la reconstruction à nouveaux frais d’une structure et d’une logique supranationale européenne. Il faut lire attentivement ce qui est écrit dans ce programme. Quand sont contestés les traités, il s’agit des traités « actuels« , adverbe ajouté de manière systématique.

Mais quelle est la nouvelle organisation institutionnelle que la FI a en vue ?

La même avec un nouveau contenu, donc un nouveau machin supranational avec des institutions qui appliquent des nouveaux traités, donc encore des institutions européennes antidémocratiques mais avec un contenu que l’on espère plus sympathique ?

Ou bien une autre radicalement différente ?

La FI nous parle de coopération européenne et non plus de concurrence. On ne peut être que pour un tel objectif. Mais la coopération économique implique de démanteler le marché unique. Pourtant, elle ne le dit pas. Or, la coopération n’est possible que si elle est internationale, et non pas supranationale. En droit international, on ne peut parler de coopération qu’entre entités autonomes, c’est-à-dire souveraines. Et il importe de savoir qui arbitre et garde la main sur les accords établis. C’est une question démocratique.

Par conséquent, si cela doit être une organisation technocratique supranationale ou intergouvernementale, alors il est clair que chaque nation n’est plus libre d’engager les relations commerciales qu’elle entend. Ainsi, même si le nouveau machin supranational que la FI a en tête (mais dont elle ne nous parle pas) était « sympa » et bourré de bonnes intentions « solidaires », cela ne changerait rien au fait qu’il ne peut être qu’antidémocratique. Seuls les arbitrages intra-nationaux font que des gouvernements sont politiquement responsables de leurs choix devant leurs électeurs et seulement devant eux.

Une constituante « pour rire » ?

Le programme de la FI parle d’organiser une constituante. Mais les raisons avancées et les solutions envisagées posent question (pour le moins). Une constituante n’a de sens que lorsqu’une majorité de la population estime qu’un régime politique donné n’est plus capable de fournir un cadre adapté aux problèmes les plus urgents de la collectivité politique correspondante. La pertinence d’un projet constitutionnel se juge donc à son adéquation avec la bonne analyse du blocage institutionnel qui rend ce projet nécessaire, ce qui implique des solutions adaptées capables d’assurer le déblocage de cette situation et un vaste soutien populaire permettant de légitimer largement un tel projet.

Qu’en est-il pour le projet de constituante de la FI ?

Dans ses livrets grand public, la FI explique que la profonde crise démocratique que nous connaissons est principalement due à la monarchie présidentielle.

Si un régime primo-ministériel responsable devant le parlement est effectivement préférable à la toute-puissance présidentielle actuelle, dire que cette toute-puissance est la cause principale de la crise démocratique c’est renvoyer (encore une fois) la question de la souveraineté nationale au second plan, alors qu’elle est particulièrement indissociable des enjeux démocratiques actuels.

Commencer un projet constituant par dire que le Président a trop de pouvoir et que le scrutin majoritaire représente mal la diversité politique du pays, pour être vrai, semble en complet décalage avec le cœur du problème. Comme si nous étions restés dans les années 70 et que rien de majeur ne s’était passé, ni intégration européenne, ni mondialisation néolibérale.

Les pays insérés dans « l’Union » européenne ne sont plus souverains, par conséquent, que leur régime soit primo-ministériel, que soit mis en place ou pas un scrutin proportionnel, ou que le régime soit présidentiel (etc.), ne change rien à la situation que provoque la suppression de la souveraineté : les arbitrages électoraux ne permettent plus d’orienter l’évolution économique et sociale nationale de manière démocratique.

Dit autrement : les élections ne sont plus que des simulacres de démocratie, un simple décorum. Un projet de constituante qui ne vise pas prioritairement le rétablissement de la souveraineté est donc au mieux une blague.

En effet, de l’effectivité pleine et entière de la souveraineté nationale dépend la possibilité d’un régime démocratique. Et cette évidence n’est pas juste théorique, mais aussi pratique. Elle est d’abord institutionnelle, puisqu’une société (dans le fond) n’est faite que d’institutions (certaines implicites, d’autres explicites). Elle est ensuite matérielle, c’est-à-dire économique, mais aussi et par exemple, militaire et géostratégique.

Un État qui n’a plus d’autonomie ni institutionnelle ni matérielle a donc perdu sa capacité à être un État politique moderne.

Au sens socio-historique du terme, l’État politique moderne est issu du XVIe siècle. Il est politique parce que souverain, et donc capable d’orienter pleinement une société complexe par la modification continue de ses institutions principales, sur un vaste territoire, dans la direction qu’on estime nécessaire (tournure d’esprit, construction institutionnelle, sociale, symbolique et organisation économico-institutionnelle inconnue auparavant). C’est cet État moderne qui a permis de repolitiser les sociétés modernes, 2000 ans après les inventions des cités grecques, mais à nouveaux frais et de manière plus radicale qu’elles. Cette évolution a connu son acmé (temporaire peut-être) dans les décennies d’après-guerre, puis un spectaculaire reflux à partir des années 80. Les vraies sociétés politiques modernes sont les sociétés de ces décennies, toutes imparfaites qu’elles aient été[8]. La souveraineté nationale a également connu son acmé durant ces décennies (et ça n’est pas une coïncidence). Cette dernière a alors développé tous les moyens institutionnels nécessaires pour piloter l’économie[9]. Notamment, entre bien d’autres innovations, la capacité de contrôler le circuit des liquidités nationales, et celui du financement de l’économie, dont les limites nationales respectées (protectionnisme et contrôle du mouvement des capitaux et des devises) permettait de faire des choix de manière relativement autonome, donc politique, donc démocratique dans le meilleur des cas.

Lors des « révolutions arabes« , cette question a été la grande absente des courageux mouvements spontanés qui ont renversé les autocraties. Mais une Egypte ou une Tunisie qui ne sont pas véritablement souveraines, sur le plan économique et géostratégique, vis-à-vis des États-Unis et de l’Union européenne, ne peuvent pas devenir réellement démocratiques, quelque arrangement institutionnel formellement démocratique que l’on implémente (heureusement, là n’est pas la question) à cette occasion.

En 2014, trois ans après ses premiers soulèvements, la Tunisie s’est dotée d’une nouvelle constitution, classiquement libérale.

Mais les Tunisiens ont vite compris qu’ils n’avaient pas la main sur leur destin matériel, et que leur bourgeoisie était hélas encore très majoritairement vendue aux intérêts étrangers[10]. Cela compromet l’acquisition pour l’État tunisien d’une véritable souveraineté matérielle et géostratégique, et donc un véritable statut politique, et par conséquent la possibilité de véritables processus démocratiques.

La frustration générée par cette révolution est à la hauteur des espoirs initiaux. Et ce n’est certainement pas un hasard si le président que les Tunisiens ont finalement élu en 2019, Kaïs Saïed, est un constitutionnaliste souverainiste… Un nouveau régime ne peut surmonter une crise de régime à l’aide d’une nouvelle constitution, que dans le cadre d’un État politique moderne, donc pleinement, institutionnellement mais aussi matériellement souverain, avec des élites économiques et politiques qui s’inscrivent, volontairement ou pas, dans cette logique.

La souveraineté « populaire » ?

La FI ne parle pas de vouloir restaurer la souveraineté nationale mais la souveraineté populaire. Quelle différence cela fait-il ? Si la nation est la communauté des citoyens qui s’attribuent la souveraineté de l’État, alors vouloir la souveraineté nationale implique dans un premier temps de vouloir la souveraineté de l’État. Le principe même de la souveraineté nationale repose sur le fait d’attribuer la souveraineté de l’État au peuple de cet État. Parler de la souveraineté populaire sans parler de la souveraineté de l’État n’a donc pas de sens. Or c’est bien tout le problème : la FI ne parle pas de rétablir la souveraineté de l’État, puisqu’elle entend laisser la France insérée dans une logique supranationale, dans une économie mondialisée échappant à l’emprise du politique. Par conséquent, l’expression « souveraineté populaire » est un piège rhétorique.

Pour être crédible il faut être explicite. Dans un programme qui prétend vouloir restaurer la souveraineté perdue, il faut donner des garanties aux citoyens que le président, le premier ministre, les députés, la cours constitutionnelle (etc.) ne pourront plus outrepasser leur fonction, qu’il leur sera désormais impossible de dissoudre une souveraineté qui ne leur appartient pas. Il faudra donc que la constitution stipule noir sur blanc qu’aucune institution publique ne sera plus en droit de mettre en jeu la souveraineté de l’État sans consulter la communauté des citoyens à qui cette souveraineté étatique appartient en propre. Consultation qui devra prendre la forme d’un référendum décisionnaire, la décision étant toujours temporaire et réversible.

Puisque la crise de régime est arrivée (notamment !) en raison de cette absence de garde-fou dans l’actuelle constitution, la nouvelle devra régler ce problème essentiel, sans tourner autour du pot. Dans le projet institutionnel de la FI, on n’a pas la garantie formelle et expresse qu’il y ait de nouveau une véritable souveraineté à attribuer au peuple.

Au peuple, c’est-à-dire à la nation française, car il faut nommer précisément les choses en droit. Et la nation n’est ni un nébuleux peuple universel, ni un inexistant peuple européen, pas plus qu’une notion sociologique ou politique floue et mouvante. Il s’agit d’un concept juridique cardinal qui reconnait que la communauté des citoyens d’un territoire étatique donné s’attribue à lui-même la souveraineté de l’État correspondant. Dans un projet constitutionnel, la nation est une personne morale intangible et instituée précisément, qualifiée juridiquement et non pas socialement ou politiquement, puisque c’est le corps unifié, sans distinction aucune, des citoyens. Sur ce sujet central, il n’y a aucune place pour le flou rhétorique et pour l’à-peu-près juridique et politique.

Le gouvernement

Par ailleurs, si l’on prétend démocratiser le régime politique de la France, il faut expliquer comment l’on va garantir que la situation que nous connaissons ne se reproduira pas. Or, l’idée que se fait la gauche de ce que doit être un gouvernement date de la IIIe République : une république libérale parlementaire classique dont le gouvernement doit être le plus étroitement contrôlé par les parlementaires, les députés étant vus comme l’âme et le sang de la démocratie.

Cette dichotomie manichéenne est obsolète depuis longtemps. A l’âge d’or du parlementarisme libéral bourgeois, le parlement était distinct du gouvernement qu’il contrôlait étroitement. C’était l’époque où les gouvernements n’avaient pas à diriger véritablement une économie nationale et une administration publique gigantesque et multiforme. Il leur était d’ailleurs interdit de le faire s’ils voulaient respecter les principes du libéralisme politique.

La question du gouvernement économique est devenue incontournable à partir de la Première Guerre mondiale. La situation a rendu les formes classiques du parlementarisme libéral inapplicables. Le nœud gordien a été tranché dans l’entre-deux guerres, et les gouvernements ont acquis le pouvoir dominant dans l’État au détriment des parlements (même s’ils ne peuvent émaner que d’une majorité parlementaire). Et contrairement à ce que prétend la doxa dominante, cela n’est pas en soi un problème démocratique. La question démocratique n’est en effet pas de savoir si les parlementaires dirigent réellement l’exécutif, mais bien plutôt de savoir si les citoyens eux-mêmes peuvent contrôler à la fois leur majorité parlementaire et le gouvernement correspondant.

Le rôle des partis politiques de masse

Or, ce qui a donné du pouvoir aux citoyens sur les parlementaires, c’est l’apparition des partis politiques de masse à partir de la fin du XIXe siècle. Cette invention est d’ailleurs théoriquement incompatible avec le parlementarisme classique. Tellement d’ailleurs qu’elle n’a jamais été pleinement implémentée dans les arrangements constitutionnels. Et plus d’un siècle après, nous en sommes toujours là. C’est pourtant grâce au rôle des partis politiques de masse que les élections législatives ont radicalement changé de sens au XXe siècle. Les programmes pré-électoraux, la discipline de vote, puis le fait majoritaire[11], ont fini par faire des élections législatives une sorte de référendum législatif, où les citoyens arbitrent directement l’orientation politique générale pour toute une mandature, sur la base de programmes mis en concurrence.

La portée de cette innovation aurait pu/dû être plus importante encore, mais elle a précédé de trop peu hélas les débuts de la mondialisation néolibérale, puis la montée en puissance des institutions européennes. A partir de la fin des années 1970, cette montée en puissance est devenue le seul véritable objectif politique de la social-démocratie européenne en général et du PS (et de ses satellites) en particulier. Et c’est de cette gauche qu’est issue une bonne partie du logiciel de la FI.

Ce sujet est donc assez logiquement absent de la proposition de constituante de cette dernière[12]. Pourtant, un mouvement qui déclare vouloir redémarrer les processus démocratiques en lançant une procédure constituante ne peut pas laisser le rôle des partis politiques et de leurs programmes en dehors de la constitution. L’arbitrage des citoyens en amont des mandatures, par sa capacité à former une majorité parlementaire sur la base d’un programme politique, ne doit pas être laissée sans la garantie de l’effectivité de cette pratique démocratique.

La proportionnelle VS le fait majoritaire

Bref, comme le reste de la gauche, la FI ne met pas la question de l’État en lien avec les processus démocratiques, et elle ne mesure pas la portée constitutionnelle des partis politiques. La vertu démocratique du fait majoritaire va à l’opposé de son idéologie. Sa passion pour la proportionnelle le prouve. Pour elle, la proportionnelle semble répondre à l’appel d’une plus fidèle représentation de la diversité politique des individus et des groupes.

Et c’est plutôt vrai.

Mais comme on vient de le voir, la véritable question démocratique qui se pose lors des élections législatives c’est de faire arbitrer par la majorité du peuple l’unique orientation qui sera celle de la mandature à venir. Le mot important dans la dernière phrase est unique. Car la diversité est une notion sociologique mais n’est pas une question politique pour ce qui est de la direction de l’État. Son orientation sera celle des institutions publiques, elle ne saurait donc prendre plusieurs directions contradictoires à la fois, tout comme la société.

La société est diverse, et abrite même des tensions internes irréfragables, et cela ne saurait être autrement. Mais son orientation principale, elle, est une, et cela non plus ne saurait être autrement. Elle peut prendre et elle prend, bien sûr, plusieurs directions, mais en série, l’une après l’autre. La question est donc : qui va arbitrer cette direction temporairement unique ? Une majorité de citoyens… ou le résultat de négociations parlementaires entre les directions des partis ?

Si c’est la dernière option, alors nous avons une situation oligarchique classique, celle des négociations qui se font dans le dos des électeurs, transformant les programmes pour lesquels ils ont voté en bouillie. L’arbitrage final leur est volé par la logique même de la proportionnelle, particulièrement antidémocratique per se. Cette pente fatale de la proportionnelle peut éventuellement être redressée, mais par des procédures qui assurent que… le fait majoritaire soit respecté !

Le fait majoritaire laisse aux citoyens la responsabilité de l’arbitrage et l’enlève aux politiciens dont ce n’est pas la mission. Ces derniers ont pour rôle (à travers les partis) de faire sourdre et d’organiser les courants d’idées qui traversent la société et qui correspondent à ses divisions, puis d’appliquer l’arbitrage qui s’est révélé majoritaire[13]. Il faut donc aussi obliger les partis à appliquer leurs programmes et à ne pas se substituer aux citoyens quant aux grands arbitrages.

Pour ça, le référendum doit occuper une place centrale dans la vie politique du pays (et pas uniquement par leRIC). Bref, une véritable réflexion doit reprendre à nouveaux frais la question de l’État, des partis politiques et du référendum, et non pas se contenter d’égrener les poncifs de la gauche qui ont prouvé leur nocivité ou leur inefficacité démocratique. Etant donné que ça n’est pas le cas, le projet de constituante de la FI donne nettement le sentiment de n’être là que pour masquer et compenser le refus de prendre le problème du supranational à bras le corps, de manière explicite, compréhensible et crédible.

La question de la définanciarisation de l’économie et des budgets publics

Sur ce sujet, on observe le même phénomène que pour les autres sujets cardinaux : le discours semble vouloir faire face au problème, mais lorsqu’il s’agit des propositions concrètes, on ne trouve rien de vraiment sérieux. Et c’est assez logique, car il fallait que ces propositions soient conciliables avec des formes supranationales de gestion de la création monétaire et des circuits bancaires. Il est question de créer un pôle bancaire public pour les investissements. Mais cette mesure est complètement sous-dimensionnée par rapport au problème. Car il s’agit bien de récupérer le contrôle politique de l’investissement privé et public, comme c’était le cas durant les trois décennies qui ont suivis la Libération[14].

En effet, laisser le marché privé (banques et marchés financiers) le contrôler librement, c’est laisser filer l’endettement privé (bien plus dangereux que l’endettement public), créant des bulles déstabilisatrices (immobilier et marchés financiers notamment) et provoquant un sous-investissement dans les secteurs stratégiques. La nécessaire réindustrialisation du pays et le tout aussi nécessaire investissement structurel dans la transition énergétique, cela n’est plus une option. Alors pourquoi se contenter de l’ersatz de cette action nécessaire au lieu de la proposer en bonne et due forme ?

Conclusion

Tout est à l’avenant avec la FI. Les propos ont la couleur, l’odeur, et l’apparence de la volonté démocratique et sociale. Il y a une belle étiquette, un bon travail de marketing, mais rien n’est opérationnel. Le manque de clarté, ainsi que cette manière d’éviter systématiquement d’aborder le sujet qui fâche, celui de la souveraineté nationale, contraignent ceux qui la lisent et qui l’écoutent à lui faire un procès d’intention sur ses intentions réelles.

Entre déconstruire les structures institutionnelles et économiques de la mondialisation sur notre territoire, ou bien seulement proposer une énième Europe sociale, la FI ne tranche pas.

Entre désobéir à des traités ou bien sortir de l’UE, entre démanteler la puissance des marchés financiers ou bien créer une simple banque publique, entre forger une force politique populiste contre la gauche et la droite actuelles ou recréer une gauche plurielle pépère, la FI ne tranche pas…

Et cela fait plus de dix ans que ça dure.

Par conséquent, dans la partie de l’opinion publique qui ne fait plus confiance aux partis classiques pour faire face à la mondialisation, partie désormais majoritaire, elle n’est qu’une composante de la nébuleuse des organisations de gauche, une gauche largement discréditée pour de très sérieuses raisons et qui de ce fait a son avenir derrière elle.

Notes :


[1] De telles négociations auraient elles-mêmes un caractère anti-démocratique, puisqu’il s’agirait d’imposer aux citoyens allemands ou hollandais des orientations qui ne sont pas les leurs, qu’ils n’ont pas arbitrées, par le biais de leurs gouvernements qui n’ont pas reçus ce mandat lorsque les majorités correspondantes ont été élues.

[2] Par exemple : discours de Mélenchon du 28 août 2018 à Marseille.

[3] Ce qui n’exclue en rien les échanges commerciaux classiques, mais les module de nouveau sur des bases politiques et démocratiques, et non pas selon le seul facteur prix.

[4] Le fameux stigmate « rouge-brun », fort pratique pour cornériser les revendications démocratiques dans l’enfer d’un supposé fascisme inconscient ou latent.

[5] Officieusement, cet objectif se doublait déjà de celui de sauver l’euro et l’UE. La BCE se livrait pour cela à une politique de quantitative easing de dimension historique pour que ne s’écroulent pas les dettes publiques et les banques au sein de l’UE.

[6] Les économies européennes sont très différentes, pour très longtemps, et d’autant plus qu’elles participent d’un marché unique. L’Italie du sud ne s’est jamais développée malgré une politique de transfert conséquente des gouvernements italiens successifs, du fait que le marché italien fut unifié trop tôt, détruisant dans l’œuf le début d’industrialisation de cette région que ce marché unique national a tiers-mondisé durablement. Alors à l’échelle européenne…

[7] Version européenne de l’alter-mondialisme qui prétend transformer la mondialisation mais sans remettre en cause ses fondements, à savoir la gouvernance par des institutions supranationales (et des traités supranationaux).

[8] Par sociétés « politiques », on ne veut pas dire ici que les gens étaient massivement encartés dans des partis politiques, mais « politiques » parce que la société se savait plastique, c’est-à-dire profondément modifiable, et que cette plasticité était accessible à la puissance collective des citoyens, ces derniers étant en capacité de peser réellement sur les grandes orientations.

[9] Ce qui ne signifie pas bien sûr une économie réellement centralisée, mais une centralisation de son orientation, c’est très différent.

[10] Bizarrement, la France a acquis elle aussi cette triste et surtout très problématique caractéristique qu’elle n’avait pas – ou peu, et alors que d’autres classes dirigeantes continuent de privilégier leur capitalisme national.

[11] Expression qui signale le changement de comportement des électeurs voulant donner une majorité stable et efficace aux gouvernements représentant l’option politique qui réussit à réunir une majorité de scrutins.

[12] Elle est d’ailleurs plus globalement absente de la réflexion des constitutionnalistes car cette possible et nécessaire évolution de la constitution heurte les bases des théories qui fondent leur discipline

[13] Une majorité relative bien sûr sinon nul besoin d’arbitrage en fait s’il s’agit d’un quasi consensus.

[14] Ce qui ne signifie pas la centralisation du financement privé mais son stratégique contrôle politico-économique.

 

 
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