La cyberattaque contre une installation nucléaire iranienne, qui aurait été menée par les services de renseignement israéliens, est la dernière manœuvre de la coalition de dirigeants israéliens, de fondamentalistes chrétiens et de néoconservateurs bellicistes de Washington qui veulent empêcher les États-Unis de revenir à l’accord sur le nucléaire iranien. S’ils y parviennent, des millions d’Iraniens ordinaires souffrant de sanctions draconiennes en paieront le prix.
Source : Jacobin Mag, Ariel Gold, Medea Benjamin
Traduit les lecteurs Les-Crises
Alors que les négociations entre les États-Unis et l’Iran se déroulaient la semaine dernière à Vienne, une cyberattaque a été menée contre l’installation nucléaire iranienne de Natanz. Selon certaines informations, le Mossad, l’agence de renseignement israélienne, serait à l’origine de cette attaque qui a mis le site hors service, un jour seulement après le lancement par Téhéran de nouvelles centrifugeuses perfectionnées pour l’enrichissement de l’uranium, et alors que le secrétaire américain à la Défense, Lloyd Austin, était en Israël pour parler de l’engagement « durable et inébranlable » des États-Unis envers l’État juif.
Il s’agit de la dernière en date d’une série d’attaques israéliennes contre l’Iran visant à faire échouer les négociations. L’été dernier, un certain nombre d’explosions attribuées à Israël ont éclaté à travers l’Iran, dont un incendie sur le site de Natanz. Celles-ci ont eu lieu alors que les élections américaines battaient leur plein et que Biden promettait que, s’il était élu, il ramènerait les États-Unis à l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien (officiellement connu sous le nom de plan d’action global conjoint ou JCPOA) dont Trump s’est retiré en 2018. En novembre 2020, des agents israéliens ont assassiné Mohsen Fakhrizadeh, le principal scientifique nucléaire iranien, dans la ville d’Absard, à l’extérieur de Téhéran. Si l’Iran avait réagi, les États-Unis auraient pu être entraînés dans une guerre totale.
Les responsables israéliens ont également fait directement pression sur le Congrès américain pour annuler l’accord. En 2015, Netanyahou s’est rendu à Washington, pour s’adresser à une session conjointe du Congrès dans le but de détricoter les négociations initiales d’Obama. Cette fois, le chef du Mossad, Yossi Cohen, se rendra à Washington pour rencontrer des hauts responsables de la Maison Blanche et des services de renseignement américains, et il espère avec Biden directement, pour convaincre l’administration que l’Iran a dissimulé des détails sur son programme nucléaire et qu’on ne peut donc pas lui faire confiance. C’est en effet ironique, venant d’un pays qui, contrairement à l’Iran, possède effectivement des armes nucléaires et refuse de divulguer toute information sur son programme.
Comme Israël, le puissant lobby américain American Israel Public Affairs Committee (AIPAC) tente de convaincre Biden de ne pas réintégrer le JCPOA. Le mois dernier, ils ont organisé des lettres bipartites à la Chambre et au Sénat, exhortant l’administration Biden à insister sur un accord élargi incluant les missiles, les Droits de l’Homme et les activités de l’Iran dans la région. Comme Téhéran a clairement indiqué qu’un accord élargi ou modifié était voué à l’échec, ce « conseil » était une tentative d’étouffer les négociations.
Le groupe de réflexion néoconservateur Foundation for the Defense of Democracies (FDD), qui a travaillé à l’intérieur de l’administration Trump pendant et après que ce dernier se soit retiré du JCPOA, a poussé sans relâche à la guerre avec l’Iran. Après que les États-Unis ont imprudemment assassiné le général en chef iranien, Qassem Soleimani, le PDG de la FDD, Mark Dubowitz, a jubilé en tweetant que la mort de Soleimani était « plus importante que l’assassinat de [Oussama] #BinLaden » ; et le 11 avril, le même jour que la panne de Natanz, l’ancien officier de la CIA et membre de la FDD, Reuel Marc Gerecht, a exprimé sur CNN sa déception que Trump n’ait pas entraîné les États-Unis et l’Iran dans une guerre totale.
Un autre groupe opposé à un accord avec l’Iran est Christians United for Israel (CUFI), l’une des voix pro-israéliennes les plus puissantes des États-Unis. En mars 2021, CUFI a exhorté le Sénat à ne pas confirmer Colin Kahl pour un poste politique de premier plan au Pentagone, affirmant que « Kahl est un apaiseur d’Iran en série » qui « a contribué à faire avancer le désastreux accord nucléaire iranien. » En réponse à la panne d’électricité à Natanz, ils ont applaudi Netanyahou, en tweetant : « « Lutter contre l’Iran est une mission colossale » dit Netanyahou après la panne d’électricité à la centrale nucléaire iranienne.»
Les Moudjahidines du peuple d’Iran, ou MEK, que les États-Unis avaient précédemment désignés comme une organisation terroriste et qui sont connus pour les assassinats et les attentats qu’ils ont perpétrés, sont violemment opposés à la diplomatie américano-iranienne. En mars 2021, un certain nombre de sénateurs américains ont assisté à un événement virtuel organisé par l’Organisation des communautés irano-américaines (OIAC), proche du MEK, appelant au maintien des sanctions américaines et à la « chute du régime. » Le sénateur Bob Menendez, le puissant président de la commission des Affaires étrangères du Sénat, était parmi plusieurs Démocrates présents.
Les opposants à l’accord sur l’Iran tentent de maintenir en place le mur de sanctions draconiennes que l’administration Trump a imposé précisément pour qu’il soit plus difficile pour une future administration américaine de réintégrer le JCPOA. Mais ces sanctions sont à l’origine d’immenses souffrances pour les Iraniens ordinaires, notamment d’une inflation galopante et de la montée en flèche des prix des denrées alimentaires et des médicaments. Selon l’ONU, elles ont contribué à la réponse « inadéquate et opaque » du gouvernement à la pandémie de la COVID-19 qui a particulièrement touché l’Iran.
Bien qu’elles aient « réussi » à infliger des dommages au peuple iranien, les sanctions n’ont pas permis d’élargir les termes des pourparlers, ont conduit le pays à augmenter son enrichissement d’uranium, ont eu un impact négatif sur la situation des Droits de l’Homme et ont mis les États-Unis et l’Iran au bord d’une guerre totale à plusieurs reprises.
C’est pourquoi tant de gens en Iran, et ceux qui se soucient d’eux, ont été encouragés par ce nouveau cycle d’engagement diplomatique. Mais Israël, l’AIPAC, le CUFI, le FDD, le MEK, Menendez et les autres espèrent probablement plutôt que l’Iran se venge, comme l’ont demandé les responsables iraniens en réponse à la panne de Natanz. Mais alors que les saboteurs de la diplomatie espèrent une escalade violente, gardons à l’esprit – et espérons que l’Iran sera d’accord – que la meilleure vengeance serait de relancer le JCPOA.
Au sujet des auteurs
Ariel Gold est codirecteur national et analyste principal de la politique du Moyen-Orient pour CODEPINK for Peace.
Medea Benjamin est cofondatrice de CODEPINK for Peace et auteur de plusieurs livres, dont Inside Iran : The Real History and Politics of the Islamic Republic of Iran [A l’intérieur de l’Iran : l’histoire réelle et la politique de la République islamique d’Iran, NdT].
Source : Jacobin Mag, Ariel Gold, Medea Benjamin, 14-04-2021